Je souhaite d'abord remercier le groupe Agir ensemble pour l'organisation de ce débat sur un sujet fondamental, la représentation nationale, j'en suis convaincu, ayant toute sa place pour s'y associer.
L'espace de discussion que nous ouvrons aujourd'hui est nécessaire ; il doit nous permettre d'évaluer sereinement, loin de tout registre émotionnel, les conséquences des mesures de protection mises en œuvre depuis un peu plus d'un an et demi dans notre pays, mais aussi, au-delà de la focale nationale, dans le monde. Mais, si nous devons nous tenir à distance du registre émotionnel, nous ne devons pas non plus tomber dans une analyse froide qui superpose le court et le long terme en comparant les « vies prolongées » et les « vies gâchées », pour reprendre les mots d'une tribune qui a fait florès.
Je ne reprendrai pas ici la chronologie de la gestion de la crise. Beaucoup de choses ont été dites dans les différentes interventions, auxquelles je voudrais répondre dans ce propos liminaire.
S'agissant de l'évaluation de l'impact des mesures prises par notre pays, je crois pouvoir dire, sans risque de me tromper, madame Petit, que nous sommes à ce stade le seul pays au monde à avoir fait réaliser une enquête internationale indépendante qui englobe la totalité des éléments de la crise, c'est-à-dire les décisions sanitaires, logistiques et d'organisation, mais également les décisions économiques et celles prises en termes d'éducation. C'est le rapport de la mission Pittet : une mission très polyvalente composée d'experts connus, certains français, d'autres étrangers, qui ont pu travailler pendant des mois en toute liberté et qui ont eu accès à toutes les données de la gestion de la crise française. Ils ont rendu un rapport totalement indépendant, qui est critique par endroits – c'est tout à fait normal –, et qui l'est un peu moins en d'autres.
Je rappelle également, pour y avoir participé, que deux commissions parlementaires se sont constituées assez tôt, pour évaluer, alors même que nous gérions la crise, comment nous faisions notre travail.
Vous citez le rapport d'un think tank libéral dont l'analyse est intéressante, mais dont je ne retiens pas les principes. Finalement, la question que sous-tend ce type de rapport, c'est : peut-on quantifier le coût d'une année de vie humaine ? Une année de vie humaine sauvée d'un côté vaut-elle plus ou moins qu'une année de vie humaine sauvée de l'autre ? Un pays s'est risqué à répondre à une telle question, il y a des années de cela : c'est l'Angleterre, qui a défini le quality-adjusted life year, le QALY, qui donne une valeur monétaire à une année de vie en bonne santé ; le protocole y est toujours en cours, et ils se servent de cet indicateur pour déterminer le prix des médicaments qu'ils sont prêts à rembourser. Nous en sommes très loin. Pour tout vous dire, je suis très anti-QALY : on ne doit pas se poser la question du prix d'une vie humaine, et il est très difficile de comparer des vies qui ont été sauvées dans l'urgence et l'espérance de vie qui peut être perdue sur le long terme.
Je veux également répondre à Mme Agnès Thill sur un sujet important, même s'il sort un peu du contexte de ce débat. La période est assez troublée pour ceux qui exercent des fonctions publiques, cela ne vous aura pas échappé ; vous twittez d'ailleurs régulièrement pour condamner le fait que des élus puissent être victimes de violences. Je suis convaincu que la violence parfois dirigée contre les élus ou dans la société – et à laquelle sont d'ailleurs exposés les Français quasiment où qu'ils aillent dans leur quotidien – est exacerbée, aussi, par certaines prises de parole publiques. Quand vous dites, face à moi, dans l'hémicycle, que la raison pour laquelle nous avons pris des mesures d'isolement des personnes âgées en EHPAD pendant la crise, c'était pour nous couvrir pénalement contre un risque juridique, vous êtes couverte par l'immunité parlementaire, vous êtes fondée à dire tout ce que vous voulez, mais je voudrais vous dire que je trouve ça proprement indigne.