Vous avez mentionné le rapport « Années de vie gagnées, années de vie perdues ». Le think tank qui en est à l'origine omet un grand nombre de paramètres. Il s'agit d'un organisme libéral ; si le libéralisme sans entraves avait sauvé beaucoup de vies pendant l'épidémie, on s'en serait aperçu. Un interventionnisme très fort de l'État et des structures publiques a été nécessaire, en France et à l'étranger.
Imaginez qu'on passe de 50 à 100 000 cas par jour, puis de 100 à 200 000 ; qu'on passe de 1 000 à 2 000 patients admis chaque jour en réanimation, puis à 3 000, puis à 4 000. Imaginez que les hôpitaux soient complètement débordés, trient les gens, que les malades de plus de 60 ans ne soient plus admis en réanimation, ne soient plus intubés, meurent à l'extérieur des hôpitaux. Certains pays se sont approchés de cette situation. Ils avaient affirmé qu'ils ne confineraient pas – tous ont fini par le faire. Un rapport doit évaluer avec intelligence et impartialité, chercher le contre-modèle montrant qu'on aurait fait mieux en agissant autrement. Durant une partie de l'année 2020, deux tiers des habitants de la planète étaient confinés.
Il faut donc prendre en considération tous les paramètres. Je conteste très fortement certains éléments du rapport, en particulier concernant l'évolution de la pauvreté. Les auteurs assurent qu'il y aurait 1 million de pauvres supplémentaires. Une multitude d'amortisseurs sociaux ont été installés ; la protection sociale française, la sécurité sociale, qui n'ont pas été créées par le Gouvernement mais datent du lendemain de la seconde guerre mondiale, ont évité à beaucoup de gens de perdre leur travail ; personne n'a été obligé de payer ses soins ; personne n'a dû renoncer à se faire tester ou vacciner parce que cela coûtait trop cher. Certes, cette protection sociale entraîne des dépenses, mais elle a sauvé énormément d'années de vie, pour des gens qui seraient tombés malades et peut-être seraient décédés, pour ceux qui auraient perdu leur boulot. Je ne parle même pas de la politique du « quoi qu'il en coûte », notamment le chômage partiel.
À l'analyse du think tank Génération libre, je préfère celle de la mission Pittet. Elle n'est pas tendre concernant certains aspects, qu'elle a dénoncés à bon droit, mais elle compare avec justesse la situation en France et celle à l'étranger.