Intervention de Éric Woerth

Séance en hémicycle du mardi 15 juin 2021 à 15h00
Restitution des travaux des commissions des finances et des affaires sociales sur le printemps de l'évaluation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Woerth, président de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Nous avons créé, il y a quatre ans, une nouvelle saison parlementaire consacrée à l'évaluation des politiques publiques : le Printemps de l'évaluation. En s'appuyant sur l'examen du projet de loi de règlement du budget pour l'année écoulée, les quarante-six rapporteurs spéciaux de la commission des finances se sont intéressés à la fois à l'exécution des crédits budgétaires et à des thèmes d'évaluation choisis en accord avec le bureau de la commission. Les ministres sont conviés en commission et les rapporteurs pour avis des autres commissions associés à ces travaux, qui intéressent donc l'ensemble de l'Assemblée.

Automne pour le budget, printemps pour l'évaluation des dépenses publiques : nous essayons, avec ces saisons, de répondre à une lancinante et récurrente question : à quoi sert la loi de règlement, et quels enseignements pouvons-nous en tirer ? Le Printemps de l'évaluation, né d'une initiative parlementaire, est devenu le symbole du contrôle et de l'évaluation des politiques publiques. Il démontre la capacité du Parlement à évaluer en dépassant – ou, du moins, en tentant de dépasser – des clivages et querelles politiques bien normaux dans une assemblée comme la nôtre.

Ce travail est enrichi par les notes d'exécution budgétaire de la Cour des comptes et les rapports remis en application de l'article 58, alinéa 2, de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), qui apportent un éclairage particulièrement précieux sur certaines questions. Ces rapports, commandés par la commission des finances, permettent aux rapporteurs spéciaux d'approfondir des sujets, comme cela a été le cas très récemment encore avec le rapport sur l'activité des juridictions judiciaires pendant la crise, ou avec l'évaluation des établissements pour l'insertion dans l'emploi, les EPIDE. Nous continuons de faire évoluer les choses, et cette année, la commission des affaires sociales participe au débat en séance publique – et c'est une bonne nouvelle –, après s'être réunie autour de l'évaluation des politiques sociales.

Sur le fond, nos travaux ont permis de dégager quelques grandes lignes d'analyse.

Tout d'abord, l'année 2020 a conduit à l'ouverture de crédits supplémentaires en cours d'année dans des proportions jamais connues par le passé – cela n'aura échappé à personne. Ces rehaussements de crédits ont cependant souvent excédé la capacité de consommation finale sur toute l'année, conduisant ainsi à des reports de crédits très significatifs sur l'année 2021. L'année 2020 n'a d'ailleurs pas dérogé à la pratique de mise en réserve des crédits appliquant des taux forfaitaires, qui ne sont adaptés qu'à certaines politiques budgétaires très spécifiques. Cela peut paraître d'autant plus insatisfaisant que des missions dont une part importante des crédits avait été placée en réserve ont, dans le même temps, fait l'objet de nouvelles ouvertures de crédits dans le cadre des collectifs budgétaires. C'est un paradoxe qui résulte probablement d'une mauvaise utilisation des méthodes budgétaires et du gel de crédits en période de crise.

Pourtant, en 2020, le Gouvernement a également recouru à des mécanismes budgétaires spécifiques pour tenter d'apporter une réponse plus ajustée à la crise. Ainsi, dans son rapport spécial sur la mission "Crédits non répartis" , Éric Alauzet a montré que la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles, abondée lors du deuxième collectif budgétaire, avait pleinement joué son rôle, permettant de financer près de 632 millions d'euros de surexécutions dues à la crise sanitaire. J'ajoute que cette dotation n'a pas été utilisée pour financer les fonds spéciaux : cela confirme donc que les crédits des fonds spéciaux ont été sincèrement intégrés au budget de l'année, ce qui n'était pas le cas auparavant.

Dans leur rapport spécial sur la mission "Relations avec les collectivités territoriales" – RCT, pour les intimes – Christophe Jerretie et Jean-René Cazeneuve ont montré comment cette mission a été mobilisée pour certaines mesures exceptionnelles en faveur des collectivités locales, comme la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et l'abondement du fonds de stabilisation des départements. Combinées aux autres dispositifs de soutien, en particulier au filet de sécurité pour les pertes de recettes fiscales et domaniales, ces mesures auront contribué à la bonne résistance dont les collectivités ont globalement fait preuve face aux conséquences de la crise.

De même, les modifications apportées au compte d'affectation spéciale "Participations financières de l'État" , qu'il s'agisse de la suppression, dans le premier collectif budgétaire, des 7 milliards d'euros de recettes prévisionnelles de la privatisation du groupe Aéroports de Paris (ADP), qui n'a pas eu lieu, ou encore de l'ouverture de 20 milliards d'euros de crédits supplémentaires par le deuxième collectif, ont illustré la volonté de protéger les entreprises stratégiques mises en difficulté par la crise – je pense à Air France et à la SNCF –, même si la rapporteure spéciale, Valérie Rabault, s'est clairement interrogée sur le manque de transparence de la politique de l'État actionnaire.

Certains choix suscitent également beaucoup d'interrogations. Ainsi, en analysant la mission "Investissements d'avenir" , Marie-Christine Dalloz a relevé de nombreux redéploiements en cours d'année. S'ils ont principalement eu pour objectif de soutenir les entreprises, elle a toutefois appelé notre attention sur l'utilisation de crédits de la mission pour financer des dépenses sans aucun lien avec l'objectif poursuivi par les PIA – programmes d'investissements d'avenir.

Plusieurs rapporteurs spéciaux nous ont alertés sur des difficultés préoccupantes.

Jean-Noël Barrot et Stella Dupont, rapporteurs spéciaux de la mission "Immigration, asile et intégration " ont évalué les moyens consacrés par les préfectures à l'instruction des demandes de titre de séjour. Ils ont relevé une aggravation des tensions résultant du contexte sanitaire, le développement d'un nouveau contentieux portant sur l'accès aux préfectures. Plus grave encore : le développement du phénomène de revente de créneaux de rendez-vous en préfecture, qui existait déjà à l'époque des files d'attente, a pris une tout autre ampleur avec la prise de rendez-vous électronique, qui favorise ce type de comportements illégaux. Ainsi, dans une douzaine de préfectures, les plateformes de rendez-vous en ligne seraient saturées, empêchant l'accès effectif aux guichets. Face à de tels phénomènes, notre action publique doit trouver des parades efficaces.

Véronique Louwagie, rapporteure spéciale de la mission "Santé" a évalué le coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière : avec 1,5 milliard d'euros par an, il dépasse très largement, de 60 %, le coût déjà considérable de la seule aide médicale d'État (AME). Mme Louwagie a en particulier relevé que 30 000 à 50 000 étrangers en situation irrégulière ont continué à bénéficier du dispositif de maintien des droits expirés à la protection universelle maladie et à la complémentaire santé solidaire, alors qu'ils auraient dû relever du dispositif de l'aide médicale d'État. Là encore, il s'agit de revoir les modalités de notre action publique.

Certains des rapporteurs spéciaux ont proposé des évolutions fortes de certaines politiques.

Je pense à Gilles Carrez, rapporteur spécial des crédits relatifs au patrimoine, qui a proposé d'élargir de manière encadrée la possibilité de recours à l'emprunt pour les établissements culturels qui disposent normalement de ressources propres significatives, mais qui ont été très entamées par la crise.

François Cornut-Gentille, rapporteur spécial de la mission "Défense" est également revenu sur des sujets très sensibles. S'il a relevé que certaines recommandations, comme le renforcement du contrôle technique des appareils et matériels utilisés, avaient été suivies, il s'est en revanche inquiété que perdure le recours à des sociétés privées non soumises à un contrôle strict des services de renseignement.

Julien Aubert, rapporteur spécial des crédits relatifs à l'énergie, a pour sa part démontré que le calendrier très ambitieux retenu pour l'élimination progressive des équipements de chauffage au fioul d'ici 2029 se révèle tout à fait intenable. Il a donc formulé toute une série de propositions.

François Jolivet, rapporteur des crédits relatifs au logement, est également allé au-delà de sa zone de confort, comme plusieurs autres rapporteurs spéciaux. Il n'a pas hésité à appeler à un changement du modèle de financement du logement et à préconiser l'abandon progressif du recours aux dépenses fiscales, dont l'efficacité est, selon lui, contestable.

Il faudrait pouvoir citer tous les rapporteurs, mais je n'en ai hélas pas le temps. Ils le seront évidemment dans le rapport général, qui sera publié très prochainement.

Il existe bien entendu un immense décalage entre la qualité et l'intérêt de ces travaux, et la médiatisation dont ils font l'objet – comme l'écho de la politique interne propre à l'Assemblée nationale, d'ailleurs. Nous devons progresser et aller beaucoup plus loin sur ce point, car le contrôle et l'évaluation des politiques publiques sont une mission fondamentale du Parlement. Celui-ci a-t-il réellement la capacité et la volonté d'évaluer de façon méthodique et transversale des politiques publiques ? Telle est la question qui nous est posée, celle à laquelle nous devrons répondre au fur et à mesure que les années passent.

Le Printemps a désormais quatre ans, c'est l'occasion de tirer quelques enseignements de la méthode pour les années à venir.

Tout d'abord, nous n'allons pas abandonner l'exercice : il faut continuer à le faire vivre au sein de notre assemblée. Nous avons progressé et le dialogue avec le Gouvernement, en particulier, doit se poursuivre. Il ne s'agit pas de mettre les ministres en difficulté mais bien de faire en sorte que les rapporteurs spéciaux les mettent au défi lorsque cela est nécessaire. Les ministres ne doivent d'ailleurs pas répondre uniquement sur les crédits consommés, mais s'exprimer aussi sur les questions soulevées par les rapporteurs.

Pour ce qui est de la séance publique, nous devons utiliser au maximum le recours aux propositions de résolution, c'est-à-dire la capacité à voter. En effet, l'Assemblée existe avant tout lorsqu'elle vote, et pas seulement lorsqu'elle débat, et je regrette que nous n'ayons pas pu aller plus loin cette année en la matière.

Enfin, il faudra se poser les questions de l'équilibre et de l'utilisation des finances publiques, de la hiérarchisation de la dépense publique, du choix du politique. On aurait pu espérer que cette crise nous pousse à nous les poser réellement, ce qui n'est pour l'heure pas tout à fait le cas. J'espère que nous pourrons, au fur et à mesure des Printemps de l'évaluation, placer l'Assemblée au cœur de la rationalité et de l'efficacité des politiques publiques.

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