Vous le savez, l'article 24 de la Constitution indique que le Parlement « évalue les politiques publiques ». Dans la mesure où il n'impose aucune limite à cette mission, il était normal que le Printemps de l'évaluation ait un pendant dans le domaine de la sécurité sociale, d'autant plus que celui-ci concerne des politiques publiques essentielles pour nos concitoyens : maladie, vieillesse, famille, autonomie, accidents du travail. Dans le contexte de la crise actuelle, et compte tenu de la place qu'elles occupent dans le champ social, ces politiques ne pouvaient échapper à notre mission d'évaluation. Gardons également à l'esprit que les volumes financiers dont il est question sont supérieurs à ceux du budget de l'État.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires sociales s'est engagée dans la démarche d'évaluation en 2019 ; elle l'a enrichie en 2020 et l'a reconduite en 2021 selon des modalités qui, me semble-t-il, ont été favorablement accueillies par l'ensemble des commissaires. Ces modalités sont nécessairement différentes de celles retenues par la commission des finances, dans la mesure où les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) ne sont pas des lois de finances, mais je tiens à souligner que le passage en séance du Printemps social de l'évaluation est un pas de plus vers la reconnaissance indiscutable de la particularité et de l'importance des finances sociales dans notre pays.
Aussi la nouvelle étape franchie aujourd'hui en séance publique marque-t-elle l'aboutissement de notre démarche, dans le cadre d'un débat avec les ministres, conjointement avec la commission des finances. Entreprendre des travaux, c'est bien, mais porter nos conclusions à la connaissance de l'ensemble de nos collègues et entendre le Gouvernement sur les questions soulevées par notre commission, c'est tout de même mieux. C'est même indispensable.
Vous vous en souvenez, chers collègues, le Printemps social de l'évaluation avait été retardé l'an dernier par la crise sanitaire. Heureusement, nous avons pu cette année l'organiser en commission dès la fin du mois de mai, ce qui est plus conforme à son intitulé. Nous avons reconduit l'innovation introduite en 2020, qui consiste à recentrer les activités de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) sur son objet premier : évaluer et contrôler les lois de financement de la sécurité sociale.
Les LFSS ne faisaient jusqu'alors l'objet que d'un rapport d'application à six mois, conformément aux dispositions du règlement. Nous connaissons tous cet exercice important, quoique très académique, qui consiste à réaliser un point d'étape des textes réglementaires impliqués par la LFSS de l'année en cours. Cet exercice était clairement devenu insuffisant au regard des enjeux soulevés par ce grand texte que nous examinons chaque année à l'automne pour définir et financer nos politiques de sécurité sociale.
Le rapporteur général et les coprésidents de la MECSS ont donc proposé un dispositif d'évaluation que nous avons reconduit cette année. L'idée principale en est la suivante : plusieurs collègues membres de la MECSS se consacrent à l'évaluation de certaines dispositions des LFSS des années précédentes – cinq en 2020, sept en 2021. Leurs travaux sont présentés durant trois séances de notre commission, dont chacune est consacrée à une thématique plus large : l'équilibre général et les recettes ; l'offre de soins ; l'autonomie et la famille. Dans ce cadre, nous demandons aux responsables des administrations centrales et des caisses nationales de réagir aux conclusions des rapporteurs sur leurs différentes évaluations. Aussi, je profite de cette intervention pour remercier l'ensemble des rapporteurs pour leur implication ainsi que les administrations et les caisses de sécurité sociale qui ont contribué au succès de la présente édition du Printemps social de l'évaluation.
Le rapporteur général de la commission des affaires sociales ayant conduit deux de ces évaluations, il souhaitera sans doute en parler lui-même dans quelques instants. Pour ma part, je me dois d'évoquer les cinq autres évaluations dans le temps qui m'est imparti.
En ce qui concerne l'assurance maladie, notre collègue Cyrille Isaac-Sibille a poursuivi l'évaluation qu'il avait entamée l'an dernier du 100 % Santé, autrement dit du reste à charge zéro. Les conclusions présentées sont très positives : il s'agit d'une réforme connue et appréciée de nos concitoyens, qui a surtout atteint ses objectifs en matière de prothèses dentaires et d'aides auditives. Le renoncement aux soins a reculé, le reste à charge a diminué et les bénéficiaires de la complémentaire santé solidaire peuvent désormais avoir accès à des produits de bien meilleure qualité sans reste à charge. Cela correspond à l'état d'esprit de la réforme proposée, en faveur de l'égal accès aux soins pour plus de justice sociale. Il faut désormais atteindre les mêmes résultats pour ce qui concerne les équipements optiques. À cette fin, le rapporteur insiste sur le respect de la réforme par les professionnels, qui jouent également un rôle central dans sa réussite.
Notre collègue Marc Delatte s'est quant à lui intéressé aux expérimentations dites de l'article 51, c'est-à-dire les expérimentations innovantes et dérogatoires au droit commun relatives à l'organisation du système de santé et à l'amélioration de la pertinence de la prise en charge des produits de santé. Notre rapporteur souligne la dynamique indéniable de ces projets mais relève la lourdeur et la complexité de certaines procédures et des évaluations. En commission, plusieurs collègues ont d'ailleurs évoqué le retard observé dans les zones rurales par rapport aux zones urbaines.
Annie Vidal a évalué l'article 47 de la LFSS pour 2021, relatif à la revalorisation des salaires des personnels dans le secteur de la prise en charge à domicile des personnes âgées à hauteur de 200 millions d'euros par an, une mesure ô combien attendue. En effet, la ministre déléguée chargée de l'autonomie, Brigitte Bourguignon, a annoncé récemment la revalorisation de l'avenant 43, qui permettra pour la branche de l'aide à domicile une refonte intégrale du système de classification des emplois et des rémunérations. Cet avenant fera donc l'objet d'un agrément qui permettra de le rendre opposable à la fois aux départements et aux employeurs.
Le nouveau système de rémunération sera constitué d'une rémunération de base définie en fonction de la catégorie, du degré et de l'échelon, à laquelle s'ajouteront des éléments de rémunération complémentaires liés à la qualification et à l'ancienneté ou liés aux contraintes du poste occupé. Ces mesures techniques vont se traduire par des résultats très concrets, à savoir une hausse des rémunérations de 16 %, ce qui n'est pas négligeable. Face aux inquiétudes exprimées par les employeurs, la rapporteure plaide pour l'instauration d'un tarif plancher national pour l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) et pour la prestation de compensation du handicap (PCH), accompagnée d'un complément de financement. La politique familiale a, quant à elle, bénéficié de deux évaluations portant sur des mesures phares, à savoir le congé parental et les pensions alimentaires.
Notre collègue Monique Limon a effectué des travaux sur les dispositions des lois de financement de la sécurité sociale relatives au congé parental dans le but d'évaluer les résultats de la mise en place de la prestation partagée d'éducation de l'enfant (PREPARE). Ce dispositif visait à l'origine à renforcer l'égalité entre les femmes et les hommes quant à la parentalité. Cependant, son application reste complexe et les effets attendus, notamment sur le retour à l'emploi pour les mères, sont très nuancés. La rapporteure souligne les adaptations à envisager au regard de l'évolution du droit européen et plaide plutôt pour un congé court, égalitaire, convenablement rémunéré et s'appuyant sur une couverture territoriale renforcée des modes de garde.
Enfin, Stéphane Viry a évalué l'article 72 de la LFSS pour 2020, relatif à l'intermédiation financière pour le versement des pensions alimentaires, une mesure concrète qui représente une véritable avancée sociale pour un grand nombre de parents devant élever seuls leurs enfants. Le rapporteur souligne que l'objectif à la fois financier et social de cette réforme a été appuyé par des moyens importants, qu'il s'agisse des effectifs des caisses d'allocations familiales (CAF) ou du recours à l'allocation de soutien familial (ASF). Il a toutefois relevé quelques incertitudes en ce qui concerne l'information insuffisante des parents, la perception de l'intermédiation comme un signe de défiance envers l'ex-conjoint, le manque d'appropriation par les professionnels du droit, ou encore le fait que le recouvrement vient parfois se déduire des minima sociaux au lieu de bénéficier directement aux parents.
Vous le constatez, chers collègues, le Printemps social de l'évaluation n'a donc rien de formel ou de bureaucratique car le reste à charge zéro, la rémunération des personnels de l'aide à domicile, le congé parental et le versement des pensions alimentaires sont autant de thèmes d'évaluation correspondant en réalité au quotidien de millions de Français.
Face à ces défis sociaux majeurs, la commission des affaires sociales a su garantir le rôle d'évaluation qui lui revient, et je consacrerai donc les derniers mots de mon intervention à nos collègues qui se sont fortement mobilisés lors de ce Printemps social de l'évaluation et que je tiens à féliciter, tout comme l'ensemble des services de la commission et des administrateurs de l'Assemblée, sans lesquels rien n'aurait été possible.