Intervention de Michel Castellani

Séance en hémicycle du mardi 15 juin 2021 à 15h00
Restitution des travaux des commissions des finances et des affaires sociales sur le printemps de l'évaluation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Castellani :

Inévitablement, le millésime 2021 du Printemps de l'évaluation est marqué par les répercussions de la crise sanitaire sur les grands équilibres budgétaires et sur l'élaboration même du budget de la France : quatre lois de finances rectificatives ont été adoptées dans des conditions difficiles, et des milliards d'euros ont été engagés dans l'urgence. Aussi le groupe Libertés et territoires tient-il à saluer le travail accompli par l'ensemble des rapporteurs spéciaux – je remercie en particulier ma collègue Jennifer De Temmerman pour son engagement relatif à la mission "Administration générale et territoriale de l'État" .

Dans un environnement budgétaire fragile, il est essentiel de s'assurer que l'exécution des crédits est soumise à la même vigilance que l'autorisation parlementaire – or l'année 2020 ne fut pas exemplaire en la matière. Sans surprise, de nombreux rapports spéciaux ont été consacrés à l'évaluation des dispositifs et des mesures d'urgence instaurés face à la crise. Je ne reviendrai pas sur l'ensemble des sujets abordés dans les commissions d'évaluation des politiques publiques successives, et je me bornerai à des remarques sur quelques sujets spécifiques.

Je ne suis pas le premier à le souligner : la sous-exécution des crédits a été inédite. La seule mission Plan d'urgence face à la crise sanitaire en concentre l'essentiel : après quatre collectifs budgétaires et l'ouverture de 70 milliards d'euros, il reste un reliquat non négligeable, de 28,8 milliards. Ces crédits non utilisés expliquent la quasi-totalité des reports de 2020 à 2021 – ce point a été longuement débattu en commission. Par ailleurs, mon groupe regrette la difficulté pour les parlementaires de suivre l'ensemble des crédits mobilisés face à la pandémie. En effet, la mission "Plan d'urgence face à la crise sanitaire" n'offre qu'une vision partielle des efforts budgétaires de l'État, de nombreux crédits étant dispersés dans les missions ordinaires : à titre d'exemple, la mission "Économie " laisse apparaître une ouverture de 1,4 milliard d'euros pour financer l'achat de masques et des mesures de soutien à certaines filières.

En raison de cet aperçu fragmenté des finances publiques, il a été difficile de dresser un bilan de l'année 2020 lors de ce Printemps de l'évaluation. Pour 2021, il serait donc souhaitable que nous disposions d'une vision agrégée des missions Plan d'urgence face à la crise sanitaire et Plan de relance – d'autant que cela éviterait également une confusion néfaste de leurs crédits.

Au-delà de ces remarques, j'aborderai trois missions particulières. Concernant l'exécution de la mission "Plan d'urgence face à la crise sanitaire" , nous avons longuement débattu de l'efficacité de la prise en charge de l'activité partielle et du fonds de solidarité : si ces deux dispositifs, soutenus par mon groupe, ont eu des effets indiscutablement bénéfiques, ils n'ont pas permis de répondre à l'ensemble des difficultés causées par la crise – je pense en particulier aux dettes des acteurs économiques.

Dans une note de 2020, la direction générale du Trésor relève, de manière assez inquiétante, que les mesures de soutien du Gouvernement n'ont pas su remédier au problème de l'endettement : les aides n'ont permis de réduire l'endettement supplémentaire lié à la crise que 96 à 76 milliards. Ce constat reste d'actualité, ce qui n'est pas sans conséquences. À plus long terme, la crise risque de peser sur le développement des entreprises et sur leur capacité à investir. La direction générale du Trésor estime qu'à l'échelle de l'économie nationale, ce surcroît d'endettement général aurait réduit l'investissement de quelque 4 milliards d'euros. Il appartient plus que jamais au Gouvernement de mobiliser pleinement les aides de France relance pour accompagner au mieux les entreprises et rectifier le tir du mieux possible.

Par ailleurs, notre groupe regrette, une fois encore, l'uniformité des mesures déployées face à l'urgence. Le sur-mesure prend du temps, nous le savons, mais, au fil des quatre collectifs budgétaires, le Gouvernement n'a pas tenté d'adapter ses outils aux spécificités des tissus économiques locaux. Or les territoires sont divers et inégaux face à la crise ; certains sont plus fortement touchés que d'autres, et la pandémie a même aggravé quelques fractures. J'ai déjà rappelé ici que la Corse était le territoire le plus touché : ses entreprises sont en très grande difficulté et font face à un véritable mur de dettes de plus de 1,3 milliard d'euros. L'accompagnement budgétaire reste insuffisant et – je tiens à le dire –, largement inadapté à la structure des entreprises corses. J'ai eu l'occasion, à de nombreuses reprises, de souligner que les 6 000 entreprises corses en grande difficulté avaient besoin d'un accompagnement dédié. Je salue l'initiative du Gouvernement de prolonger l'octroi de prêts garantis par l'État, mais je regrette que l'exécutif n'ose pas aller plus loin en optant pour leur transformation en quasi-fonds propres. Il faut parfois oser l'audace !

J'en viens à un autre sujet d'importance : l'exécution de la mission "Cohésion des territoires" . Alors que la crise économique a engendré près de 2,3 milliards de dépenses supplémentaires en 2020, le programme 162 Interventions territoriales de l'État, de taille modeste face aux enjeux financiers de la mission, comprenait encore, cette année, le plan exceptionnel d'investissement en Corse. Ce programme, qui reste essentiel pour le territoire, est en pleine mutation, puisqu'il laisse la place au plan de transformation et d'investissement en Corse (PTIC). Ce dernier constitue un outil de rattrapage exceptionnel pour la Corse : il accompagne des réalisations concrètes, soit près de 730 opérations. Il a joué, et joue encore, un véritable rôle d'accélérateur pour des investissements indispensables au développement de l'île. Il contribue notamment à résorber un retard inéquitable entre la Corse et le continent, en soutenant des équipements publics dans les transports, l'hydraulique, l'électrification rurale ou le développement urbain dans les quartiers prioritaires – Dieu sait que j'ai plaidé pour qu'il en soit ainsi, et pour que la contrepartie des collectivités soit ramenée à des niveaux plus compatibles avec leur potentiel financier ! Le nouveau PTIC doit répondre aux besoins prioritaires des habitants, et il paraît essentiel d'en conserver un pilotage associant les élus locaux : l'État doit accompagner le territoire et non se substituer aux élus de l'île ou décider à leur place.

Je souhaite à présent aborder la précarité étudiante, qui s'est fortement accrue lors de la crise sanitaire. Début 2021, on estimait que 60 % des étudiants exerçant une activité rémunérée parallèlement à leurs études avaient perdu leur emploi ou avaient été contraints de la réduire. Concrètement, cela correspond à une perte mensuelle de 274 euros, autant dire une perte massive pour les jeunes. Nous l'avons tous constaté : une grande partie d'entre eux n'ont pu assumer des dépenses alimentaires de base. Il ne suffit pas d'examiner les résultats présentés dans les rapports annuels de performance ; encore faut-il regarder, dans les rues, les queues interminables d'étudiants qui attendent un repas ! Notre groupe a rappelé son soutien indéfectible à l'instauration du repas à un euro pour les étudiants, en dépit de son impact budgétaire pour 2020. Mais, là encore, les fractures territoriales qui traversent la France ont été accentuées par la pandémie, et des ruptures d'égalité se sont produites entre territoires : certaines villes, et par conséquent certains étudiants, n'ont pas pu bénéficier de cette mesure en raison du trop grand éloignement des restaurants universitaires. Il est regrettable que l'exécutif n'ait pas su rectifier immédiatement ces injustices. La garantie jeunes reste par ailleurs insuffisante, et les chèques alimentaires promis en décembre tardent à voir le jour.

Je terminerai par un constat : le Printemps de l'évaluation 2021 a eu son utilité – c'est indéniable. Il a permis de revenir sur le difficile exercice de la crise, et de dresser un bilan indispensable. Pour que ces travaux ne soient pas vains, et que les rapports spéciaux ne demeurent pas lettre morte, il importe de tirer les leçons de 2020. D'année en année, le Printemps de l'évaluation s'installe dans le paysage institutionnel, sans pour autant être devenu un rendez-vous incontournable. Nous partageons tous ici la volonté de renforcer encore le pouvoir de contrôle du Parlement, cette pierre angulaire de la séparation des pouvoirs qui constitue un impératif démocratique auquel je ne doute pas que nous soyons tous attachés.

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