Intervention de Véronique Louwagie

Séance en hémicycle du mardi 15 juin 2021 à 21h30
Couverture santé des étrangers en situation irrégulière — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaVéronique Louwagie :

…mais cela impose de lutter résolument contre l'immigration irrégulière. Or le compte n'y est pas.

En commission, M. le ministre a dit qu'un migrant ne traversait pas la Méditerranée pour bénéficier de l'AME. Sur ce point, madame la ministre déléguée, le Gouvernement a à la fois raison et tort. Vous avez raison, car ceux qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie ne le font pas pour se faire recoller les oreilles, c'est vrai. Mais vous avez tort, car le principal flux d'immigration irrégulière n'est pas constitué de ces populations. En effet, les étrangers en situation irrégulière sont surtout des personnes qui arrivent en France légalement et qui y restent alors que la validité de leur visa ou de leur titre de séjour est expirée.

À cet égard, je prendrai un exemple simple, figurant dans une décision rendue en 2020 par le Défenseur des droits, relative à un couple d'Algériens venu en France avec un enfant nécessitant des soins. Devinez à quelle date ce couple, entré en France le 8 octobre 2018, a demandé l'AME pour son enfant ? Le 10 octobre 2018, soit deux jours après son arrivée. Et il l'a obtenue, puisque les enfants sont automatiquement éligibles à l'AME.

Madame la ministre déléguée, quand un couple d'Algériens dépose une demande d'AME deux jours après son arrivée en France, croyez-vous réellement qu'il ne s'agit pas d'une immigration pour soins ? Le Président de la République l'a d'ailleurs dit lui-même dans un entretien accordé le 31 mai au Journal du dimanche. « Si la jeunesse africaine n'a pas d'opportunité économique […], si on n'a pas de bons systèmes de santé en Afrique, alors elle émigrera », a déclaré le chef de l'État.

Madame la ministre déléguée, l'immigration irrégulière pour soins est une réalité et vous savez comme moi qu'il y a des abus. Notons d'ailleurs qu'Olivier Véran a reconnu en commission l'existence de problèmes avec « certains pays, notamment d'Europe de l'Est ».

Pour illustrer ces abus, je prendrai un autre exemple concret. Dans mon rapport, j'ai publié une note de votre ministère portant sur les fraudes à l'AME, dans laquelle on apprend que des dizaines de Géorgiens en situation irrégulière « arrivent dans les centres de référence parisiens en matière de tuberculose ». La note indique que nombre d'entre eux avaient un passé carcéral. Madame la ministre déléguée, croyez-vous vraiment que l'AME soit faite pour cela ?

Bien sûr, l'AME ne se résume pas à des abus, mais ceux-ci minent l'acceptation sociale de ce type de dispositifs et alourdissent leur coût. Pour y remédier, notre réglementation n'est pas adaptée, notamment en ce qui concerne les demandeurs d'asile provenant de pays d'origine sûrs, c'est-à-dire où ils ne risquent pas d'être persécutés. C'est par exemple le cas de l'Arménie, de la Géorgie ou de la Moldavie.

En 2019, plus de 30 000 demandes d'asile ont été déposées par des ressortissants de pays d'origine sûrs et le taux d'acceptation par l'OFPRA – Office français de protection des réfugiés et apatrides – a été inférieur à 7 %, soit trois fois moins que le taux d'acceptation global des demandes d'asile.

Dans certains cas, ce taux est même ridiculement bas. En 2019, savez-vous combien de demandes d'asile l'OFPRA et la CNDA – Cour nationale du droit d'asile – ont acceptées sur les 468 qui avaient été introduites par des Moldaves ? Une seule. Une seule demande d'asile a été acceptée sur les 468 introduites par des Moldaves, soit un taux d'acceptation de 0,2 %. Selon vous, madame la ministre déléguée, les dépenses de santé relatives aux 467 autres demandeurs d'asile moldaves pris en charge pendant des mois étaient-elles également des dépenses incompressibles ?

Ce type d'abus concerne aussi une autre singularité française : la procédure d'admission au séjour pour soins. Dans l'Union européenne, seuls deux pays sur vingt-sept, la France et la Belgique, permettent à des étrangers en situation irrégulière d'être régularisés pour un motif médical – deux pays sur vingt-sept ! En 2019, 30 000 étrangers étaient titulaires d'un tel titre de séjour. Madame la ministre déléguée, à l'heure où l'hôpital souffre, pourquoi ouvrir grand ses portes ?

Je terminerai en évoquant le maintien des droits, dispositif permettant à un étranger dont le titre de séjour arrive à expiration de bénéficier d'une prolongation automatique de son droit à l'assurance maladie pendant au moins six mois, afin de couvrir un éventuel retard de traitement de sa demande. Dans son principe, ce mécanisme est intéressant, mais en pratique, les difficultés sont nombreuses. En effet, il est ouvert à tout étranger justifiant de trois mois de résidence régulière sur le territoire. Autrement dit, si vous avez un titre valable quatre mois et que vous tombez dans l'irrégularité à son expiration, vous bénéficierez tout de même de la protection universelle maladie pendant six mois supplémentaires au lieu de relever de l'AME. S'agit-il, là encore, d'une dépense incompressible ? À l'évidence, non.

C'est dans ce contexte que nous, députés Les Républicains, invitons le Gouvernement à agir. Nous, députés Les Républicains, renouvelons notre demande d'aligner la situation française sur le droit commun européen. Nous, députés Les Républicains, ne demandons pas de faire moins que les autres pays, mais de faire comme eux, ni plus ni moins.

Madame la ministre déléguée, dénoncer les abus comme vous le faites, c'est bien, mais les combattre résolument, comme nous le proposons, ce serait encore mieux.

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