Intervention de Sébastien Nadot

Séance en hémicycle du mardi 15 juin 2021 à 21h30
Couverture santé des étrangers en situation irrégulière — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Nadot :

Je souhaite remercier les députés du groupe Les Républicains d'avoir mis à l'ordre du jour de notre assemblée la question ô combien importante des migrants, et de montrer, à travers leur proposition de résolution très politicienne, la plus mauvaise manière d'aborder le sujet.

Alors que les migrations sont et seront l'un des défis majeurs de notre siècle, on ne peut que se désespérer de voir le débat toujours aussi mal posé dans notre pays. La proposition de résolution s'inscrit dans le droit fil d'une conception de l'immigration qui s'est imposée en France depuis le quinquennat de Nicolas Sarkozy. C'est l'idée que l'immigration est un problème en soi et que, comme face à la peste, il faudrait nous enfermer derrière des murs infranchissables, étant persuadés que les étrangers – de préférence noirs ou arabes – sont la cause de tous nos maux.

Croire que l'on pourrait tarir les flux migratoires comme on coupe l'eau en fermant le robinet relève de la pure illusion, et donc du pur mensonge. Qu'elles soient la conséquence de la guerre, de la misère économique, de la répression politique ou de la dégradation de l'environnement, les migrations sont factuellement inévitables ; elles sont historiquement anciennes et nécessaires aux nations pour prospérer, dès lors qu'elles sont gérées avec raison et dans le respect des principes de l'État de droit et des droits fondamentaux. Il n'y aura plus d'immigration vers la France, mes chers collègues, quand notre pays remplacera le Yémen, la Centrafrique et le Vénézuela dans le classement de la misère mondiale.

Non, l'immigration n'est pas un problème ; l'immigration est un fait, un fait majeur de notre siècle qu'il nous faut aborder avec raison et dignité. Le problème, ce sont nos politiques d'immigration indignes, leur échec total et l'impasse dramatique dans laquelle nous a conduits le ministère de l'immigration, de l'intégration et de l'identité nationale institué par le président Nicolas Sarkozy. Le problème, c'est l'incapacité du président François Hollande à prendre la mesure des conséquences de la guerre en Syrie et son abandon en rase campagne de l'Allemagne d'Angela Merkel – capable, elle, de s'extraire de l'idéologie de son camp pour accueillir dignement les centaines de milliers de réfugiés. Le problème, c'est la lâcheté française, au diapason de la plupart des pays de l'Union, consistant à rejeter toutes les responsabilités – qui sont pourtant aussi les nôtres – sur l'Europe en général ou, plus directement, sur la Hongrie ou la Pologne, abandonnant dans le même temps à leurs difficultés les pays d'arrivée que sont la Grèce, l'Italie, Malte et l'Espagne. Le problème, c'est l'escalade vers le néant qui attise les passions tristes en activant la théorie du bouc émissaire étranger, dans un suivi coupable de l'extrême-droite.

Parce que le débat sur l'immigration est décidément mal posé dans notre pays, le groupe Libertés et territoires a voulu lancer une commission d'enquête parlementaire sur les migrations, que j'ai l'honneur de présider. Nous avons l'intime conviction que la crise de l'accueil des migrants en France est devenue une crise de la dignité humaine et qu'une société ne peut détourner indéfiniment son regard des atteintes à la dignité humaine sans en subir directement ou insidieusement les maux. Il ne s'agit pas seulement d'un coût économique, social ou sécuritaire, mais également d'un prix moral aux conséquences plus profondes.

Au lieu de subir les migrations dans un esprit de forteresse assiégée au détriment de tous, migrants comme Français, en multipliant jusqu'à la nausée les atteintes à nos valeurs et à nos principes les plus fondamentaux pour, croit-on, dissuader les migrants de venir sur notre sol, nous ferions mieux d'adopter résolument l'approche inverse. Nous ferions mieux de gérer avec toute l'humanité qui est en notre pouvoir l'accueil de ces femmes, de ces hommes et de ces enfants qui quittent leur pays pour venir en Europe. Nous ferions bien mieux, aussi, de prévenir autant que possible les parcours du danger à travers les déserts, les mers et les océans par une véritable politique partenariale avec les pays d'émigration.

Aussi, à l'idée de diminuer l'assistance médicale aux migrants qui traverse votre proposition de résolution, je réponds qu'il faut, au contraire, améliorer autant que possible les dispositifs de santé pour les étrangers. Je le dis pour deux raisons : d'abord parce qu'en France, ni l'absence de droit au séjour, ni le fait d'occuper illégalement un site ne sauraient priver une personne de la jouissance des droits les plus fondamentaux tels que le droit d'être hébergé, d'être soigné, d'être scolarisé, de demander l'asile ou de ne pas subir de traitement inhumain ou dégradant ; ensuite, parce que la santé publique d'un pays se mesure à la qualité des soins prodigués aux plus précaires – et les migrants le sont pour beaucoup d'entre eux.

Mes chers collègues, plutôt que de tendre un doigt rageur vers les plus démunis, il faut comprendre les raisons de notre échec collectif en matière de politique migratoire. L'être humain en souffrance ne peut continuer d'être notre bouc émissaire.

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