Je dois dire que j'apprécie toujours autant de prendre la parole à la tribune sur des sujets auxquels on ne peut pas changer grand-chose. Mais puisqu'il me faut m'exprimer sur ce qui est déjà acté dans ce projet de loi de règlement, j'en profiterai pour formuler quelques remarques sur vos pratiques budgétaires parfois peu orthodoxes.
Vos comptes ne se caractérisent pas par la clarté. Ce n'est pas moi qui le dis mais la Cour des comptes dans la note d'analyse d'exécution budgétaire qu'elle a consacrée à la mission "Plan d'urgence face à la crise sanitaire" . Les ressources budgétaires disponibles ont varié selon les mois entre 25 milliards d'euros et 37 milliards d'euros, excusez du peu, et au 31 décembre 2020, les crédits non consommés atteignaient 17,1 milliards, soit le montant des crédits ouverts dans le PLFR 4 un mois plus tôt. Autant dire, comme le souligne la Cour des comptes, que ce quatrième PLFR n'était pas forcément utile : il a surtout contribué à rendre illisibles les comptes publics.
J'en veux pour preuve les reports massifs de crédits qui ont dû être faits entre 2020 et 2021 pour tenir compte des crédits non consommés : ils s'élèvent à plus de 43 milliards d'euros, du jamais vu. Notons que pour le constater, il nous a fallu parcourir près de soixante-dix arrêtés de reports de crédits, ce qui est quand même assez peu pratique, vous en conviendrez. La difficulté d'obtenir un budget lisible complique le travail du Parlement et de la Cour des comptes. Contrôler l'action du Gouvernement est notre rôle et le Gouvernement entrave, dans une certaine mesure, l'exercice de cette mission, ce qui n'est pas tout à fait normal.
Je m'interroge sur un autre point : le déploiement des crédits du plan d'urgence et du plan de relance. Là aussi, je constate un manque de lisibilité.
En avril, lorsque nous vous avions interrogé, monsieur le ministre délégué, sur les raisons pour lesquelles les décaissements de crédits du plan de relance recensés dans l'application Chorus se faisaient à un rythme quatre fois moins rapide que prévu, nous avions eu droit à une réponse quelque peu évasive. Depuis, nous avons enfin pu obtenir une explication qui tient la route, non pas grâce à vous mais aux services de l'Assemblée, que je tiens à remercier.
Au sein de la mission « Plan d'urgence », tous les crédits, sauf ceux relevant du fonds de solidarité, sont dépensés par les opérateurs comme l'Agence de services et de paiements (ASP) ou l'URSSAF Caisse nationale, l'ex-ACOSS, et il en va de même pour les crédits du plan de relance. Le processus est le suivant : ces agences puisent d'abord dans leur trésorerie, puis une fois celle-ci vidée, se tournent vers l'État pour la restaurer, ce qui explique le fait que les décaissements de crédits apparaissent de manière décalée dans Chorus. Si nous pouvons comprendre ces raisons opérationnelles, il n'en reste pas moins que nous nous trouvons désarmés pour analyser et contrôler l'exécution des crédits relevant du plan d'urgence et du plan de relance en 2021.
Peut-être allez-vous nous annoncer en novembre que vous constatez avec surprise que telle ou telle aide n'a pas été consommée et nous dire que vous trouvez cela dommage. Mais à ce moment-là, le Parlement ne pourra rien faire, à part se désoler d'être ainsi mis devant le fait accompli. Ce n'est pas acceptable.
Il y a pourtant un moyen de remédier à cela. À l'occasion du PLFR, et je vous en remercie, vous nous aviez fourni un tableau de consommation des crédits 2021, programme par programme, y compris pour les missions Plan d'urgence et Plan de relance. Nous vous demandons de nous en présenter un équivalent, chaque mois, en allant dans le détail de chaque action.
J'en viens à un autre facteur du manque de lisibilité de l'exécution budgétaire. Le fait d'avoir ouvert les crédits relevant du plan de relance dans le cadre des missions classiques en 2020 et de les avoir ensuite transférés vers une nouvelle mission consacrée au plan de relance, qui n'a été ouverte qu'à partir de 2021, a substantiellement compliqué le suivi du budget pluriannuel des mesures, au point que même la Cour des comptes semble avoir renoncé à l'exercice de consolidation. La Cour vous demande donc un tableau précisant les programmes d'origine des crédits pour l'année 2020 et je vous serais reconnaissant de penser à mettre notre groupe en copie de la réponse que vous lui enverrez.
Enfin, je constate que les derniers mois ont été marqués par des annonces d'aides et de primes et que vous semblez vouloir attendre le budget 2022 pour les intégrer, en pratique, au dispositif de soutien. En 2020 comme en 2021, nous n'avons eu de cesse de vous implorer de débloquer des moyens. Je trouve curieux que vous prévoyiez de le faire si tard. Je devine que vous visez un objectif surtout électoral : vous faites ces annonces avant les élections départementales et régionales et l'argent sortira en pleine campagne présidentielle. Mais quel heureux hasard, monsieur le ministre ! Je déplore que vous fassiez ainsi primer votre stratégie politique sur le soutien aux plus précaires et à nos jeunes.