Je ne suis pas certaine, au vu de l'heure, que nous puissions aller jusqu'à l'examen des articles de la proposition de loi. Quoi qu'il en soit, je crois à peu près connaître l'issue du vote dont ils feront l'objet. Il n'empêche qu'il était essentiel, pour le groupe GDR, de se faire le porte-parole de celles et ceux qui, depuis de longs mois, tentent de se faire entendre – et comprendre – auprès de vous.
La présente proposition de loi cherche à instaurer des mesures d'urgence en faveur des intermittents de l'emploi ; elle est le fruit d'un travail mené avec nombre d'entre elles et d'entre eux, avec des représentants syndicaux qui les accompagnent mais aussi avec des parlementaires des deux chambres, issus de différents groupes. Nous nous sommes mobilisés en voyant arriver la réforme de l'assurance chômage, pour pouvoir la combattre ensemble.
La crise sanitaire et économique que nous traversons n'a épargné personne, mais nous savons que certains secteurs clés ont été particulièrement touchés : l'hébergement, la restauration, l'événementiel, le tourisme et la culture se trouvent, par nature, beaucoup plus affectés que d'autres. Dans ces secteurs et dans d'autres, 2,3 millions de travailleurs et de travailleuses, précaires pour la plupart, sont les grands oubliés des mesures d'urgence prises lors du premier confinement. Si les salariés en emploi stable ont bénéficié – et c'est bien normal – de mesures de soutien pérennes grâce à la mise en place de l'activité partielle, les salariés en emploi discontinu restent pour la plupart et encore aujourd'hui sans mesures d'accompagnement.
C'est le cas par exemple de quelqu'un que je connais bien, qui s'appelle Xavier et qui est maître d'hôtel, de formation et de métier. Employé pendant de nombreuses années en contrat à durée déterminée d'usage (CDDU), il gagnait 33 000 euros en 2019 ; désormais, il est sans ressources suffisantes pour vivre et se loger et se retrouve menacé d'expulsion. Je peux aussi vous parler de Yolanda, guide conférencière, elle aussi employée en contrat à durée déterminée d'usage et qui gagnait 18 000 euros en 2019 ; depuis juin 2020, ses droits aux allocations ont pris fin et elle ne gagne donc plus rien. Aucun d'entre eux n'a pu bénéficier de la prime exceptionnelle que vous avez instaurée, qui est arrivée trop tard et dont le montant est de toute façon bien insuffisant.
Seuls 600 000 intermittents auraient à ce jour touché au moins une fois cette prime exceptionnelle, dont le montant s'est élevé en moyenne à 350 euros mensuels. Outre la faiblesse de cette aide, un nombre significatif d'intermittents de l'emploi s'en sont trouvés exclus, soit parce que le niveau de leurs revenus était jugé trop élevé – on parle de 900 euros –, soit parce qu'ils n'ont pas pu satisfaire aux multiples conditions établies pour en bénéficier.
Je vais vous donner un exemple pour illustrer ces conditions d'éligibilité. Le calcul de la durée requise d'activité pour pouvoir toucher la prime était fixé en jours et non en heures de travail ; or c'est souvent la caractéristique de celles et ceux qui enchaînent les contrats courts : leur temps de travail est calculé en heures et non en jours. C'est notamment le cas d'une guide conférencière qui a travaillé 1352 heures mais seulement sur 112 jours ; elle n'a pas pu bénéficier de l'aide puisque pour toucher celle-ci, il fallait avoir travaillé 138 jours. Elle a donc dû rendre son appartement et retourner vivre chez ses parents.
Des millions de Françaises et de Français ont été violemment touchés par la crise économique ; la multiplication des plans de licenciement entraîne une importante augmentation du nombre de chômeurs, et le nombre de demandeurs d'aide alimentaire – vous le savez toutes et tous – a connu une hausse de 45 %. C'est pourtant dans ce contexte, avec plus de 10 millions de pauvres et un chômage qui augmente, que le Gouvernement a choisi de mettre en œuvre sa réforme profondément injuste de l'assurance chômage, qui va pénaliser l'ensemble des Françaises et des Français mais plus particulièrement les précaires, les intermittents de l'emploi dont une majorité se trouve désormais en fin de droits.
Je sais que vous racontez partout, madame la ministre, que votre réforme ne va pas affecter les droits ni les réduire, mais les études d'impact réalisées par l'UNEDIC sont alarmantes : lors de la première année d'instauration de la réforme, nous disent-elles, plus d'un million de demandeurs d'emploi subiront une baisse du montant de leurs allocations ; 190 000 personnes verront l'ouverture de leurs droits retardée d'un an ou plus ; pour 285 000 autres, le retard sera de cinq mois en moyenne. D'ailleurs, la représentante de Pôle emploi nous l'a dit elle-même, au cours de son audition : dès le 1er juillet 2021, un nombre important de chômeurs verront leurs droits diminuer. Espérons que la réponse du Conseil d'État, que nous devrions recevoir d'ici quelques heures, permettra que cela n'arrive pas.
Pour justifier cette réforme aberrante, le Gouvernement invoque sa volonté de lutter contre l'explosion des contrats courts, constatée depuis une dizaine d'années. J'ai d'ailleurs entendu ce matin, madame la ministre, que vous parliez non plus d'une dizaine d'années mais d'une quinzaine d'années.