Intervention de Pieyre-Alexandre Anglade

Séance en hémicycle du lundi 21 juin 2021 à 16h00
Article 1er de la constitution et préservation de l'environnement — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPieyre-Alexandre Anglade, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

« Le point de bascule vers le réchauffement climatique irréversible est peut-être déjà franchi avec, à la clef, des conséquences dévastatrices pour l'ensemble de la planète » : telles sont les conclusions publiées la semaine dernière par la mission MOSAIC – multidisciplinary drifting observatory for the study of arctic climate –, l'une des plus grandes expéditions menées dans la région du pôle Nord. Voilà des années que les missions, les rapports et les alertes scientifiques se succèdent pour nous dire l'urgence à agir.

Cette urgence pour le climat se trouve précisément au cœur de cette réforme constitutionnelle. C'est elle qui guide notre volonté de rehausser notre ambition constitutionnelle et juridique en faveur de la lutte pour le climat. Mes chers collègues, le moment est venu de donner à l'écologie et à la défense du climat, de l'environnement et de la diversité biologique sa juste place dans notre Constitution.

Sa juste place est d'en faire un principe constitutionnel plein et entier ; sa juste place est de l'inscrire à l'article 1er de la Constitution qui fonde les grands principes de notre République. Voilà tout l'enjeu de la réforme que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture.

Avant d'entrer dans le détail du texte, je voudrais clairement réaffirmer devant vous notre objectif, dont nous n'avons jamais dévié : soumettre, comme l'a dit le garde des sceaux, au vote de tous les Français par référendum cette modification de la Constitution pour y intégrer la lutte pour le climat. En février et mars derniers, lors de la première lecture, la majorité a fait un choix très clair, celui du respect de la parole donnée aux membres de la Convention citoyenne pour le climat et celui de l'ambition écologique, en érigeant la préservation de l'environnement, et en son sein la protection de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique, au rang de principe constitutionnel plein et entier.

Avec le verbe « garantir », nous introduisons un principe d'action positif pour les pouvoirs publics : qui peut dire que celui-ci ne serait pas nécessaire aujourd'hui ? Nous avons également fait ce choix pour que la France soit le premier État européen et l'un des premiers pays au monde à inscrire la lutte contre le dérèglement climatique dans sa loi fondamentale. N'y aurait-il pas là un motif de fierté collective pour notre pays ?

Nous avons fait ce choix, enfin, pour permettre à notre pays de poursuivre son action nationale et internationale en faveur du climat avec plus de force encore. On ne peut pas être le pays de l'accord de Paris, fixer des objectifs ambitieux pour l'ensemble de la planète et ne pas faire de cette volonté un principe d'action cardinal de l'action de notre République. C'est une question de cohérence et de crédibilité.

La majorité sénatoriale a, elle, fait un choix rigoureusement différent du nôtre, préférant torpiller le texte plutôt que créer les conditions qui permettraient l'expression des Français par référendum : je le regrette profondément. Le Sénat a en effet proposé une nouvelle rédaction de l'article unique visant à affirmer que la France « préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004 ».

Permettez-moi, chers collègues, de m'interroger comme je l'ai fait en commission des lois sur les intentions du Sénat : je réitère cette interrogation car le rapporteur de la commission des lois du Sénat a en effet reconnu que cette nouvelle disposition n'avait pas pour objet de produire d'effet juridique nouveau. Quel serait l'intérêt de convoquer le peuple français pour se prononcer sur une disposition dont la portée serait uniquement symbolique ? Voilà, à mon sens, l'hypocrisie de la proposition sénatoriale : notre Constitution serait un texte avec lequel nous pourrions jouer, auquel nous pourrions ajouter des dispositions purement cosmétiques ne faisant que confirmer le droit existant. Cette logique apparaît d'autant plus dénuée de sens que Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, qui était rapporteure du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement, semblait déjà appeler de ses vœux, en 2004, une nouvelle ambition en indiquant que « la Charte, loin d'apporter une solution définitive, intégrale et préfabriquée, inaugure un vaste mouvement politique et lance un défi juridique ».

C'est précisément ce mouvement que nous voulons poursuivre car la lutte pour le climat l'exige, aux antipodes du conservatisme affiché par la proposition sénatoriale qui ne fait qu'affaiblir la portée de l'article unique dont nous débattons. La rédaction proposée par le Sénat ne tend à inscrire les politiques publiques de préservation de l'environnement et de lutte contre le dérèglement climatique que dans les conditions d'ores et déjà définies par la Charte de l'environnement. Or cette référence serait ici source d'ambiguïté car, comme l'a souligné le rapporteur du texte au Sénat, le juge cherche toujours « l'effet utile d'une révision constitutionnelle ». L'incertitude juridique prétendument combattue serait ici renforcée.

J'ajoute, pour terminer sur ce point, que la mention de la Charte de l'environnement voulue par les sénateurs n'a pas sa place à l'article 1er de la Constitution. Je rappelle, si cela était nécessaire, que l'objet de cet article n'est pas de lister les textes du bloc de constitutionnalité, mais d'exprimer les principes directeurs de la République ; en y faisant référence, le Sénat ne propose ni plus ni moins que d'inscrire dans la Constitution que celle-ci doit s'appliquer – tautologie suprême, vous en conviendrez. En d'autres termes, la majorité sénatoriale a réduit le projet de révision constitutionnelle à une réforme purement cosmétique, ce à quoi nous nous refusons.

Un autre point de désaccord avec le Sénat est la suppression du verbe « garantir », qui ferait perdre toute sa force à la révision constitutionnelle. Je rappelle à cet égard que l'emploi du verbe « garantir » n'a pas pour objet d'accorder quelque forme de priorité que ce soit à un principe constitutionnel, pas plus que l'inscription à l'article 1er n'emporte de prééminence d'ordre juridique sur les autres normes constitutionnelles. En revanche, il accorde à l'écologie sa juste place dans notre droit, une place équivalente à celle des autres principes constitutionnels. Le choix du verbe « garantir », comme je l'ai dit en commission et comme vient de le rappeler M. le garde des sceaux, trouve une triple justification : il permet d'instaurer un principe d'action positive des pouvoirs publics en faveur de l'environnement dans l'ensemble des politiques publiques ; il permet, ensuite, de créer une obligation de moyens renforcée de nature à étendre la responsabilité des acteurs publics en matière environnementale ; il permet, enfin, d'ériger la préservation de l'environnement en principe constitutionnel, lequel pourra donc être invoqué contre une disposition législative dont la finalité contreviendrait à cette exigence.

Conformément à l'engagement pris par le Président de la République devant la Convention citoyenne pour le climat, nous avons repris mot pour mot, virgule pour virgule, la formulation des citoyens en première lecture. En deuxième lecture, je souhaite réaffirmer cette ambition tout en marquant notre volonté d'avancer avec le Sénat vers le référendum ; ainsi, suivant le texte que nous avons adopté en commission la semaine passée, je souhaite que rétablissions l'article unique dans sa version issue de la première lecture à l'Assemblée tout en tenant compte de la volonté du Sénat de substituer au verbe « lutter » le verbe « agir » – contre le dérèglement climatique. Soyons clairs contre celles et ceux qui voudraient instiller le doute : cette nouvelle rédaction ne dénature en rien l'ambition initiale. La rédaction repose toujours sur le verbe « garantir » ; dans le même temps, en substituant le verbe « agir » à celui de « lutter », nous conservons l'apport du Sénat et tenons compte de la suggestion du Conseil d'État. C'est pour cela que, fidèles à l'esprit de dépassement et de rassemblement qui nous anime, nous proposons une nouvelle formulation qui doit nous permettre de trouver la voie d'un accord avec le Sénat.

Voilà, mes chers collègues, ce que je veux défendre devant vous : la volonté d'aller de l'avant, de ne pas détourner le regard de l'urgence climatique et de rehausser notre exigence constitutionnelle. Je forme le vœu que nous puissions nous rassembler nombreux autour de cet objectif.

Au lendemain d'élections marquées par l'abstention, je voudrais vous livrer, en conclusion, une réflexion sur le sujet qui nous rassemble aujourd'hui. Toutes les formations politiques du pays appellent au sursaut démocratique. Tous les partis appellent, à juste titre, à une implication grandissante des citoyens dans la vie politique. Nous avons justement ici, de la Convention citoyenne pour le climat au référendum, en passant par le Parlement, un modèle de ce que pourrait être la démocratie participative en France. Je ne crois pas qu'il nous revienne à nous, parlementaires, de nous mettre en travers de la volonté citoyenne et présidentielle d'aller au référendum.

Une deuxième réflexion concerne l'abstention de la jeunesse dans des proportions absolument stratosphériques. Ce sont 82 % des 18-35 ans qui se sont abstenus, et ce chiffre monte à 87 % chez les 18-25 ans. Il y a pourtant, chez la jeunesse de France, une volonté farouche de s'engager, notamment pour le climat qui est le combat de notre siècle et l'une des préoccupations principales des 18-30 ans. En ce sens, le texte que nous examinons est crucial : il répond à l'urgence écologique et aussi, en partie, à l'urgence démocratique. Adopter ce texte dans une version quasi identique – à un mot près – à celle de la Convention citoyenne pour le climat, et ce pour parvenir à un référendum, c'est montrer à nos concitoyens qu'ils sont des acteurs à part entière de la vie démocratique du pays. Soyons à la hauteur de cette exigence en nous montrant capables de partager la même ambition.

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