Une fois encore, ce sont les catégories défavorisées qui seront le plus touchées. Car les familles non « expertes » ne choisiront pas la bonne option, le bon collège ou le bon lycée ; elles ne sauront pas présenter un dossier de candidature ou rédiger la lettre de motivation adaptée. En outre, les enfants de ces catégories font partie des 50 % d'étudiants obligés de travailler pour financer leurs études. Pour eux, une année ou du temps d'accompagnement supplémentaires ne sont pas tenables financièrement. À ceux-là, votre projet de loi réserve une voie de garage universitaire : l'arrêt choisi en licence ou l'arrêt forcé en master sélectif.
Mais il semble, madame la ministre, que le vernis de votre réforme commence à se craqueler, les moyens pour l'accompagner étant largement insuffisants, comme c'était prévisible. J'en veux pour preuve les votes du conseil des études et de la vie universitaire de l'université Paul-Valéry de Montpellier III, qui refuse d'appliquer la réforme de l'accès à l'université sans un investissement massif ; de l'assemblée générale de l'unité de formation et de recherche – UFR – d'histoire de Paris I, qui refuse de transmettre ses attendus ; du conseil de l'UFR de sciences de l'université d'Aix-Marseille, qui vous demande de surseoir à la mise en oeuvre de ce plan jugé précipité ; de l'assemblée générale des personnels et étudiants de l'université de Bourgogne, lesquels ne voient pas comment proposer des dispositifs d'accompagnement alors qu'ils ont perdu 40 000 heures d'enseignement ; de l'université Jean-Jaurès de Toulouse, qui a mobilisé plus de 700 personnes, désormais en grève contre le projet de fusion de leurs établissements. J'en veux pour preuve, aussi et enfin, les nombreux retours d'enseignants du secondaire qui refusent d'être les acteurs de l'orientation sélective en se chargeant du travail d'orientation qui incombe normalement aux psychologues de l'éducation nationale et aux centres d'information et d'orientation – CIO.
Venons-en aux attendus. Nombre d'entre eux ont déjà été publiés ; certains sont pour le moins rocambolesques. À titre d'exemple, pour les sciences de la santé seront demandées les qualités suivantes : empathie, bienveillance et écoute – ce n'est malheureusement pas encore une matière enseignée au lycée ! D'autres demandent la connaissance d'une langue sanctionnée par un examen coûtant plusieurs centaines d'euros et assuré par des organismes privés. N'est-ce pas mettre en concurrence ceux qui ont les moyens et ceux qui ne les ont pas ?
Comprenons-nous bien : être contre la sélection, ce n'est pas être pour le tirage au sort ou pour l'échec, comme le rapporteur n'a cessé de le suggérer. Nous avons besoin que tous les jeunes, dans toute leur diversité, accèdent à l'enseignement supérieur et y réussissent. Voilà pourquoi nous sommes pour la généralisation des dispositifs d'accompagnement ; mais nous souhaitons, surtout, qu'ils ne conditionnent pas l'entrée à l'université et que le lycéen soit libre de les suivre ou non.
Notre groupe votera donc contre ce texte, pour des raisons qui tiennent à sa faisabilité comme à sa philosophie. Les jeunes, madame la ministre, sont aujourd'hui en pleines révisions mais, demain, nous nous efforcerons de leur rappeler quel avenir vous leur préparez.