Une motion de rejet préalable ayant été déposée, mon intervention s'inscrira dans ce cadre et se substituera à celle prévue dans la discussion générale. Je m'exprimerai notamment au nom de l'une des composantes de notre groupe Libertés et territoires, celle des radicaux de gauche – ce centre gauche profondément laïque et républicain dont le combat historique pour les valeurs de la République n'est plus à démontrer et qui est l'héritier des grands fondateurs radicaux de la III
Ce projet de loi avait commencé par un symbole. En choisissant la date du 9 décembre pour sa présentation en conseil des ministres, le Gouvernement disait sa volonté de s'inscrire dans la lignée de la loi de séparation des Églises et de l'État de 1905. La référence était manifeste. Elle n'était d'ailleurs pas pour me déplaire, bien au contraire. Mais jouer sur l'analogie, c'était aussi prendre le risque de la comparaison. Nous savons que la loi de 1905, adoptée après d'intenses débats qui ont marqué l'histoire de cet hémicycle, fut au final une très grande loi – probablement la plus belle de toutes – car, 115 ans après son adoption, elle demeure une loi fondamentale autant que fondatrice pour notre République. C'est une loi qui, pour reprendre les termes du Conseil d'État, constitue la « clé de voûte de la laïcité », laquelle est devenue à son tour la clé de voûte de notre République.
La laïcité, c'est en effet l'âme et la flamme de la République, le magnifique trait d'union entre ce qui nous est si précieux : la liberté, l'égalité et la fraternité. La liberté d'abord, car la laïcité, c'est la construction de l'autonomie de la personnalité et de l'esprit critique, tout particulièrement à l'école, grâce à l'apprentissage des matières et disciplines scolaires. C'est aussi la mise à distance des assignations identitaires. C'est enfin un droit précieux, particulièrement apprécié des enfants venus de pays où l'on est d'abord défini par son origine et par sa religion : la laïcité, c'est aussi le droit d'être différent de ses différences. L'égalité ensuite, car la laïcité, c'est la commune appartenance à la nation et le partage de la citoyenneté – de ses droits comme de ses devoirs. La fraternité enfin, car la laïcité impose de privilégier ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous sépare.
Oui, la laïcité est un joyau de paix et de concorde. Elle n'est pas un glaive, elle est un bouclier. Et puisqu'elle nous protège, nous devons aussi la protéger. Or, depuis au moins trente ans, la laïcité n'a pas été suffisamment défendue et ses défenseurs n'ont pas été assez entendus. Le plus inquiétant peut-être est que, souvent, la remise en cause de la laïcité à la française prend moins la forme d'une contestation frontale que celle d'une édulcoration sournoise. Les adjectifs dont certains affublent le mot « laïcité » – ouverte, inclusive, positive, etc. – sont des parasites qui, telle une tique, ne se fixent sur ce substantif que pour mieux le vider de sa substance. Depuis des années, se sont accumulés les accommodements, les renoncements, les petites et grandes lâchetés et les aveuglements volontaires qui étaient censés acheter la paix sociale. Le résultat de ce lâche et coupable aveuglement est aujourd'hui devant nous : c'est la montée des communautarismes et des séparatismes ; l'essor alarmant des fondamentalistes ; l'émergence, au cœur même de notre communauté nationale, de véritables projets de contre-société intégriste. Il est plus que temps de reconquérir le terrain perdu par la République depuis des années.
Pourtant, me direz-vous, tout le monde aujourd'hui se proclame républicain, la main sur le cœur et une larmichette à l'œil. La réalité n'est pas tout à fait celle-là. Il y a – pardonnez-moi l'expression – les faux derches de l'idéal républicain, ceux qui emploient de grands mots et font de belles déclarations mais qui, dans la pratique, abîment, fragilisent et bafouent ses principes.