Intervention de Bertrand Pancher

Séance en hémicycle du lundi 28 juin 2021 à 16h00
Respect des principes de la république — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Pancher :

Résumons ce projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme : beaucoup d'affichage et de contraintes, peu d'efficacité.

Comme toute personne attachée à la République, les membres du groupe Libertés et territoires approuvent évidemment la nécessité de lutter ardemment contre le fondamentalisme islamiste qui présente un vrai danger, une réelle menace pour notre pays. La question qui se pose est celle des moyens à mobiliser pour faire face à cette menace. Or une majorité des membres de notre groupe considère que les outils prévus par ce texte ne sont pas les bons.

Dans vos discours, vous visez les terroristes islamistes mais, dans les faits, de nombreuses mesures de ce texte s'appliqueront à tous les cultes et toutes les religions, qui sont des religions de paix. Elles vont donc s'appliquer à des personnes, des associations, des familles qui respectent les valeurs de la République et qui vont se voir imposer une surcharge de contraintes inutiles. La laïcité n'est pas l'opposition aux religions, je veux le dire ici, à l'Assemblée nationale. La laïcité impose aux religions la nécessité de s'exercer dans un cadre respectant pleinement les valeurs de la République. Aussi notre groupe considère-t-il qu'à de nombreux égards ce projet de loi rate sa cible. Le Sénat avait fait preuve de sagesse sur certains aspects, moins sur d'autres. Quant à la commission spéciale, elle a peu pris en compte l'avis du Sénat et a en grande partie rétabli le texte issu de l'Assemblée en première lecture.

Nous avons classé les articles de ce projet de loi en trois catégories différentes. Nous soutenons la première, qui vise le renforcement des principes de laïcité et de neutralité du service public et la protection des fonctionnaires. C'est le cas de l'article 1er qui élargit les obligations de neutralité aux organismes privés effectuant une mission de service public. Il s'agit d'une mesure de bon sens. Nous soutenons également l'article 2, qui étend la procédure de référé accéléré aux actes des collectivités territoriales qui portent atteinte au principe de neutralité. Nous ajoutons un moyen d'exercer un contrôle de légalité des actions des collectivités territoriales alors qu'il en existe déjà de nombreux. Dont acte. Nous approuvons aussi les articles 4 et 5 qui permettront de mieux protéger les fonctionnaires.

Une deuxième catégorie de mesures réunit des articles que nous approuvons dans leur objectif mais qui sont, soit déjà couverts par le droit existant, soit inapplicables en pratique. Nous pouvons citer par exemple l'article 13 concernant la protection des héritiers réservataires. Le Sénat avait fait preuve de sagesse en supprimant cet article inapplicable, et nous déplorons l'entêtement de la majorité à le maintenir. Nous pouvons aussi citer l'article 14 visant à lutter contre la polygamie, dont le champ d'application n'est pas clairement défini et qui ne produira pas les résultats escomptés. C'est du pur affichage.

Enfin, la troisième catégorie de mesures recouvre les articles auxquels nous nous opposons car nous considérons qu'ils portent atteinte à des libertés fondamentales, alors que leur efficacité laissera à désirer. Nous pensons à l'article 6 qui prévoit la création, pour les associations, d'un contrat d'engagement à respecter les principes de la République. Nous ne voyons pas le bien-fondé de la création d'un tel contrat alors que, par définition, les principes de la République s'appliquent à tous et tout le temps dans notre pays. Cela signifie-t-il que les associations qui ne souscriraient pas à ce contrat ne seraient pas tenues de les respecter ? Nous considérons qu'un contrat ainsi formulé contribue bien davantage à l'affaiblissement de l'autorité de la puissance publique qu'à son renforcement. Encore une mesure d'affichage sans réelle portée.

Nous pensons aussi à l'article 18, qui crée un délit de diffusion d'informations ou d'images aux fins d'atteinte à la personne, dont le champ d'application est plus large que l'article de la loi pour une sécurité globale, censuré le mois dernier par le Conseil constitutionnel. Et paf ! Ce dernier avait souligné que le législateur n'avait pas suffisamment défini les éléments constitutifs de l'infraction. Le même raisonnement va s'appliquer à l'article 18 du présent texte – et vous le savez ! En effet, avec une disposition rédigée en des termes aussi larges, il y a plus qu'un risque que cet article ne s'applique à des personnes n'ayant en réalité aucune intention malveillante. Encore une mesure d'affichage inutile.

Nous pensons enfin à l'article 21, qui vise à passer d'un régime de simple déclaration à un régime d'autorisation concernant l'instruction en famille. Cet article, utilement modifié par le Sénat, a été rétabli dans sa version initiale lors de l'examen en commission spéciale. Cet article est très dangereux pour nos libertés ! La liberté de choisir les modalités d'instruction d'un enfant est le corollaire du principe de la liberté de l'enseignement. Il figure au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Ainsi cet article a de fortes chances d'être jugé contraire à notre constitution. Un de plus ! Il nous semble surtout peu efficace pour lutter contre le fondamentalisme puisque, dans ce domaine, il s'agit de contrôler les personnes pratiquant l'instruction au sein de la famille, afin de s'assurer que les enfants reçoivent une éducation conforme, et non pas de s'attaquer au principe de l'instruction en famille lui-même et à toutes les familles qui ont fait ce choix.

Enfin, les dispositions relatives aux associations cultuelles continuent de prévoir des contraintes superflues en imposant des lourdeurs administratives et comptables à l'ensemble des associations alors que, dans leur immense majorité, celles-ci sont parfaitement respectueuses des valeurs de la République. Elles n'avaient surtout pas besoin de ces nouvelles contraintes.

En définitive, vous voulez à juste titre lutter contre une très petite minorité de personnes qui nous posent de graves problèmes, mais vous bridez les libertés de la majorité de la population. Vous imposez de nouvelles contraintes aux cultes par le biais de mesures qui se révéleront inefficaces. C'est pourquoi notre groupe s'exprimera une nouvelle fois très majoritairement contre ce texte.

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