Décidément, nous nous rendons compte qu'il est toujours nécessaire de définir ce que n'est pas cette loi.
Est-elle la loi qui évitera que des attentats aveugles ne soient commis par des monstres ? Non, ce n'est pas son objet. Nous avons voté des lois pour lutter contre le terrorisme. Nous avons été critiqués par les uns, qui les trouvaient trop molles, par les autres, qui les jugeaient attentatoires aux libertés : généralement quand on se trouve sous un tel tir croisé, c'est qu'on est arrivé à une forme d'équilibre.
Ce texte n'est pas non plus un texte d'égalité des chances, qui est déjà l'objectif central de nos mesures contre la pauvreté, du dédoublement des classes en REP – réseau d'éducation prioritaire –, du « quoi qu'il en coûte » face à la crise sanitaire, qui a permis d'abord de secourir le plus faible. Ce n'est surtout pas un texte contre l'Islam – je reviendrai sur ce point. Nous voulons un texte de concorde, qui prenne simplement en compte l'état de notre pays, une réalité parfois cruelle eu regard à l'échec de notre promesse républicaine.
On intente à cette majorité le procès d'avoir fait de la laïcité un sujet d'inquiétude dans les quartiers. Mais je vous renvoie à un double truisme : d'abord, la crise d'identité des quartiers, la crise sociale ne datent pas de ce gouvernement ; ensuite, je récuse ce présupposé selon lequel nous serions en train de confondre laïcité et athéisme d'État. Dans une forme de retournement du discours, le fait de mettre en place les conditions d'un exercice libre d'un culte deviendrait un acte athéiste : on croirait entendre un propos des indigénistes, qui taxent de racisme ceux qui refusent le différentialisme.
Nous voulons simplement construire une loi qui prenne en compte la réalité. La lutte contre le séparatisme, c'est-à-dire contre l'idéologie des groupes qui portent un projet politique et religieux visant à l'instauration d'une contre-société au sein même de la République, est un impératif depuis bien trop longtemps, un impératif qui a prospéré sur l'incapacité de la puissance publique à tenir son rang et sur un certain aveuglement vis-à-vis du communautarisme. Dans certains de nos territoires, sous nos yeux, des écosystèmes islamistes se sont créés, formant le terreau du terrorisme. Ce qui est insupportable, c'est que des fanatiques aient trouvé des angles morts dans nos règles et dans notre État de droit.
Notre collègue Cécile Untermaier s'étonnait tout à l'heure qu'on ait besoin de rappeler que pas un euro de la République ne devait aller aux ennemis de la République. En théorie, chère collègue, je suis tout à fait d'accord avec vous, mais en pratique, les choses sont différentes. Il y a la réalité, il y a ces associations à qui on a confié parfois les clés des quartiers, il y a les dissimulations et l'entrisme, il y a les idiots utiles, les apprentis sorciers qui n'ont pas vu l'évidence ou qui n'ont pas voulu la voir. Avec ce texte, enfin, un gouvernement – le nôtre – agit pour lutter contre le séparatisme partout où celui-ci s'est infiltré, et il agit avec clarté parce que nos règles expriment les principes républicains qui nous font vivre ensemble, et avec transparence pour que ceux qui voudraient les manipuler ne puissent en aucun cas profiter des brumes administratives pour le faire en toute impunité.
C'est aussi pour cette raison que ce projet de loi ne caractérise pas les comportements séparatistes. Ces comportements sont aujourd'hui majoritairement islamistes mais l'adversaire pourra demain ou après-demain être différent. La loi doit garder une visée universelle, une certaine hauteur de vue. Je vous rappelle d'ailleurs que c'est une attitude constante de la République que de procéder ainsi et que la loi de 1905 ne fait aucune mention du catholicisme qui était alors visé.
Aujourd'hui, dans cet hémicycle, pour cette nouvelle lecture, notre volonté politique est claire : rétablir et conserver les équilibres de ce texte, qui ont été entachés dans son premier chapitre et concernant l'instruction en famille. Je regrette que nous ne soyons pas arrivés à un consensus avec le Sénat sur la défense des valeurs de la République. Nous aurions pu arriver à cet accord à l'issue de l'examen en commission au Sénat et sur la base de ce texte, mais les positions caricaturales adoptées en séance par la droite sénatoriale, à qui il importait plus de régler ses bisbilles internes que de défendre l'esprit de la République, nous poussent à rétablir, pour l'essentiel, le texte voté en première lecture.
La commission mixte paritaire a achoppé en particulier sur deux points irréductibles.
Le premier est la question du voile qui confine parfois, et je le déplore, à l'obsession. Ce n'est pas en stigmatisant ni en interdisant tout ni en réagissant sans recul à des éléments d'actualité qu'on arrivera à lutter contre la radicalisation. Je le dis ici, cette obsession du voile n'est pas cohérente avec la laïcité, et repose sur une incompréhension. La laïcité, c'est la neutralité du service public, la liberté de conscience. Nous étendons le principe de laïcité à tous ceux qui assurent le service public, mais nous laissons les usagers libres de faire ce qu'ils veulent tant que cela ne vient pas nuire à l'ordre public.
Le second point d'achoppement est la suppression totale par le Sénat de toutes dispositions de contrôle de l'instruction en famille. Nous le savons, il est nécessaire de renforcer les contrôles a priori, mais cela n'empêche pas que le contrôle de l'IEF soit nécessaire. Je rappelle que plus de la moitié des effectifs de l'école clandestine de Bobigny était théoriquement en IEF.
À chaque texte de cette ampleur, certains – c'est le jeu démocratique – tentent d'en dénaturer le contenu, mais nous pouvons dire que ce projet de loi respecte la diversité des points de vue de tous les groupes. L'objectif visé –agir contre les ennemis de la République – ne peut souffrir de discorde politicienne. Il faut faire bloc par-delà ce qui nous sépare, en renforçant notre État de droit.
Nous avons conservé du travail du Sénat les améliorations utiles. Nous attendons de cette lecture qu'elle permette de préciser ce qui doit encore l'être, mais, je le répète, ce texte doit être respecté dans ses grands équilibres : la lutte contre les pratiques séparatistes est à ce prix. C'est un sujet qui ne peut être compris que dans la clarté.
Je rappellerai quelques enjeux de ce texte. Nous étendons le principe de neutralité religieuse à l'ensemble des acteurs de l'action publique, tout en respectant les usagers du service public dans l'intimité de leurs convictions, y compris quand ils accompagnent les enfants dans les sorties scolaires. Nous renforçons certaines obligations administratives et financières des associations, parce qu'il est hors de question que l'argent public serve à combattre la République. Nous insistons sur la dignité humaine en nous occupant de la protection des personnes les plus fragiles, les victimes de mariages forcés et ceux qui sont spoliés de leur héritage. Nous combattons la haine distillée par les influenceurs salafistes et fréristes sur les réseaux sociaux. De manière générale, nous combattons toute cette forme de haine. Nous confortons enfin le rôle prééminent de l'école dans l'éducation sans attenter à la liberté des familles.
Nous examinons un projet de loi qui nous protège tous. Je lui promets le même avenir qu'à la loi de 1905 et même à celle de 2004 : toutes deux ont provoqué des passions, mais en définitive elles ont créé une forme d'évidence. Aujourd'hui, nombre de nos concitoyens de confession musulmane sont pris entre le marteau et l'enclume : le marteau de ceux qui les assimilent à l'islamisme dans un grand tout suspect, l'enclume des radicaux qui jouent des frustrations pour proposer une contre-société identitaire. En apportant la protection de la loi à ceux qui veulent pratiquer une religion en toute quiétude, nous faisons œuvre de laïcité.
Par ce texte, il s'agit non d'exclure mais d'unir, non de stigmatiser une religion mais de permettre aux croyants de l'exercer dans un cadre protecteur. Cette loi va permettre à celle de 1905 d'être pleinement opérante en 2021 et dans les années qui suivront. Notre pacte républicain comprend profondément le respect de la pensée de chacun. Nous sommes dans un pays où, lorsqu'on parle de terrorisme, beaucoup d'entre nous pensent religion : c'est exactement ce que cherchent les séparatistes. Il faut remettre les choses à leur place et nommer les choses comme il faut : quand nous parlons du terrorisme, nous devons penser fanatisme et quand nous parlons de religion, nous devons penser liberté de croire ou de ne pas croire et laïcité.
C'est ce que nous faisons ici pour le bien de tous et, je le dis, pour le plus grand bénéfice d'une religion qui participe à la richesse de notre nation autant que les autres : je veux parler de l'islam.