D'autres encore sont des libéraux sans limite qui ne souffrent aucun cadre républicain. Ceux-là ne voient pas à quel point une société multiculturelle à l'anglo-saxonne est inadaptée à la France, ni à quel point, à la vérité, elle est presque tout aussi inadaptée aux sociétés anglaise et américaine. Qui voudrait vivre dans cette Amérique où les communautés se regardent en chiens de faïence, où l'on court bien plus de risques d'être condamné si l'on est noir de peau ou latino et où l'on peut mourir étouffé sous le genou d'un policier blanc au seul motif que l'on est un citoyen noir ?
Qui peut envier ce modèle-là ? Certainement pas la France, cette France des droits de l'homme où nous naissons libres et égaux en droits depuis 1789 – et c'est bien ainsi. Contrairement à ceux qui voudraient nous faire vivre continûment dans la repentance, j'estime que notre République universaliste n'a aucune leçon à recevoir de ces sociétés bâties sur l'idée même de discrimination. Elles ne sauraient en aucun cas constituer des exemples pour nous.
Si je connais les ressorts des opposants à la neutralité étendue aux collaborateurs occasionnels du service public, je ne méconnais pas ceux qui animent certains partisans de cet amendement car je ne suis pas dupe de la laïcité à géométrie variable qu'ils prônent, laïcité qui n'en est pas une car elle change selon que l'on parle de christianisme ou d'islam. La seule laïcité possible, c'est celle qu'ont votée nos prédécesseurs en 1905. Elle assure la liberté de conscience en France et s'applique à ceux qui croient comme à ceux qui ne croient pas, et à ceux qui croient quelle que soit leur foi. C'est cela la laïcité et cette laïcité nous assure que les lois de la République l'emportent à jamais sur les dogmes religieux.
Je sais encore qu'au sein de notre majorité, nombreux sont ceux qui voteraient volontiers en faveur de cet amendement, avec lequel ils sont d'accord, si le feu vert leur était donné ; mais il ne le sera pas. D'aucuns pensent en effet que voter cet amendement mettrait le feu aux poudres. Au fond, ce raisonnement établi sur la crainte d'offenser une partie de nos concitoyens prouve à quel point ce projet de loi est indispensable, à quel point il est précisément urgent de voter cet amendement pour la simple et évidente raison qu'aucun dogme ne doit jamais pouvoir prendre le dessus sur nos principes républicains, raison même pour laquelle nous sommes réunis ce soir pour débattre de ce texte.
La clef de cet amendement, la voici : dans la sphère du service public, aucun dogme ne doit perturber l'intérêt général ; aucun dogme ne doit pouvoir rompre l'égalité à laquelle ont droit tous les usagers, quels qu'ils soient. À ces collègues hésitants, je souhaite dire qu'ils ne seront pas de plus mauvais députés, qu'ils ne seront pas moins loyaux s'ils votent en fonction de leur conscience et de leurs convictions. Ils ne seront que de meilleurs députés s'ils refusent le piège tendu car certains voudraient réduire ce débat sur l'article 1er aux mamans voilées. C'est rendre un bien mauvais service à notre République.
Quant à nous, nous cherchons à conforter cette république à laquelle nous devons tant. C'est la raison pour laquelle nous présentons cet amendement qui crée dans la loi la catégorie de collaborateur occasionnel du service public déjà présente dans la jurisprudence : le Conseil d'État nous invite à légiférer, ne pouvant le faire à notre place. Par ailleurs, il étend à cette nouvelle catégorie l'obligation de neutralité, qui s'impose déjà aux agents de la fonction publique, à ces usagers particuliers que sont les collégiens et les lycéens – c'est l'objet de la loi de 2004 –, aux salariés des entreprises de droit privé ou de droit public délégataires d'un service public – c'est l'objet même de notre article 1er .
Au fond, mes chers collègues, cet amendement est un amendement de protection et de confiance.
C'est un amendement de protection des usagers du service public qui auront l'assurance d'être respectés dans leurs droits, quel que soit le statut de la personne qui concourt à la mission de service public dont ils sont bénéficiaires – peu importe qu'il s'agisse d'un expert devant les tribunaux ou d'un accompagnateur de sorties scolaires – et quelles que soient leurs options religieuses, philosophiques, politiques. Nous devons le réaffirmer : la neutralité du service public est une garantie pour son usager. C'est à cette aune qu'elle doit être mesurée, et non à celle des droits particuliers des personnes qui accomplissent la mission de service public, car si nous devions tomber dans ce travers, alors c'en serait fini de l'idée même de service public.
Mais cet amendement est aussi un acte de confiance dans l'intelligence de nos concitoyens. J'ai l'intime conviction que l'immense majorité d'entre eux comprend combien il est important de respecter l'obligation de neutralité lorsqu'ils concourent à une mission de service public, ne serait-ce que parce qu'ils ne voudraient pas être discriminés lorsqu'ils sont eux-mêmes en position d'usager : ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse.
Mes chers collègues, nous avons la possibilité ce soir de légiférer en étendant l'obligation de neutralité à l'ensemble de la sphère du service public, rien ne nous en empêche. Et je vous invite à le faire, en tant que députés républicains de progrès. Si nous ne le faisons pas aujourd'hui, alors nous aurons à y revenir plus tard, ce que je ne manquerai pas de faire.