Intervention de Dominique Potier

Séance en hémicycle du mercredi 6 octobre 2021 à 21h30
Rémunération des agriculteurs — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier :

Néanmoins, puisque, avec réalisme, je constate que nous sommes loin d'une inversion des rapports de force permettant la construction du prix à partir des coûts de production et garantissant le respect de la dignité des travailleurs et de l'environnement dans le cadre d'une agroécologie, il convient de dresser les perspectives qui pourraient être celles du débat présidentiel et de la prochaine législature. S'offre à nous un horizon de réformes qu'on peut exposer en cinq points. Certains le partageront, d'autres non ; peu importe, je tiens à vous livrer notre propre analyse.

Il faudra tout d'abord revenir sur la loi de modernisation de l'économie. À notre grande surprise, le Président de la République l'avait annoncé ; que ne l'avons-nous pas fait ? Je le dis sans agressivité – au cours de la précédente législature, nous avons passé cinq ans au pouvoir sans la remettre en cause –, mais nous ne pourrons pas, à loi de modernisation économique constante, sortir d'une situation que d'aucuns décrivent comme oligopolistique et qui crée de façon structurelle des rapports léonins entre une poignée d'agro-industriels et de grands distributeurs, et un monde paysan dispersé et fragmenté, quels que soient ses niveaux de regroupement. Notre première proposition consiste donc à réformer la loi de modernisation de l'économie.

La deuxième s'inspire de travaux esquissés dans la loi Sapin 2 et que nous avons repris avec Éric Andrieu dans diverses tribunes qui n'ont pas eu assez d'écho dans le débat sur la réforme de la politique agricole commune : il s'agit des organisations de producteurs. Je crois profondément que c'est une règle d'or : qui maîtrise le volume ne maîtrise pas le prix, mais commence à le maîtriser. Or nous ne maîtrisons pas les volumes puisque tout repose souvent sur des illusions de conquête de marchés internationaux – je pense à l'illusion asiatique dans le domaine du lait, où 9 litres sur 10 étaient produits et consommés sur le continent européen, ou encore à la fin des quotas, qui auraient pu être remplacés par autre système de régulation, et qui a provoqué un effondrement des prix au bénéfice uniquement de certains industriels et de la grande distribution, mais en tout cas pas en faveur des producteurs. Cela a accéléré un mouvement de concentration parfois contradictoire avec l'agroécologie.

Il y a donc matière à réfléchir à des organisations de producteurs qui maîtriseraient les volumes et qui pourraient de ce fait maîtriser les prix. Elles pourraient être les bénéficiaires de programmes opérationnels de l'Union européenne, comme nous l'avons fait dans certains compartiments de la production alimentaire, ce qui permet de construire des orientations de marchés plus performantes et de fixer les prix en tenant compte des conditions pédoclimatiques, de la densité de la production, bref des écosystèmes dans des grandes régions. On pourrait imaginer quatre ou cinq bassins laitiers, je ne me prononcerai pas pour le reste. Voilà l'esprit de ces grandes organisations de producteurs dont le seuil pourrait être fixé par la loi.

Notre troisième proposition consiste à en finir avec les concurrences déloyales. Nous sommes à peu près d'accord : les traités que nous avons signés, y compris les derniers avec le Canada, sont, quoi qu'on en ait dit et quel que soit l'habillage qu'on en ait fait, des traités d'ancienne génération. Il faut bâtir, au-delà d'une perspective multilatérale indispensable pour la sécurité alimentaire mondiale, les perspectives d'un commerce plus loyal. Les travaux très intéressants menés par la Fondation Nicolas Hulot (FNH) et la Fédération nationale bovine (FNB) sur les clauses miroirs ont abouti à des propositions politiques très innovantes. Émanant de la société civile, nous devons les prendre en compte et les considérer comme une bonne nouvelle.

Reste, mesdames et messieurs les membres de la majorité, monsieur le ministre, que je me méfie énormément des compétitions internes et je regrette que, ni sur les organisations de producteurs ni sur la réforme foncière, nous n'ayons pu organiser la fin d'une concurrence pour le moins déloyale au sein du monde paysan.

Enfin, la dernière piste que j'esquisserai rapidement sera celle d'une réforme de la taxonomie. Il s'agirait de revoir non seulement la haute valeur environnementale (HVE) et l'agriculture biologique (AB), mais également d'intégrer l'indice de partage de la valeur entre les producteurs et les consommateurs, de même que tout le partage de la valeur entre les salariés. Les travailleurs de la terre, de l'agroalimentaire, des abattoirs ou encore les caissières : tous ceux qui gagnent parfois 300 fois moins que ceux qui les dirigent méritent d'être reconnus comme contribuant à la fabrique des produits alimentaires.

Je terminerai en revenant sur la perspective ouverte par le président de la commission des affaires économiques : celle d'une mission d'information ou, en tout cas, d'un travail en profondeur sur le monde coopératif qui représente près de 40 % du négoce agricole. Une réforme éthique en faveur d'une nouvelle performance du monde coopératif s'impose comme un des éléments majeurs de la construction des prix par le bas, en remontant vers le haut de la filière. Voilà un modèle d'économie sociale de marché qui pourrait inspirer un nouveau modèle alternatif à un libéralisme qui ne nourrit ni la terre, ni les hommes, ni les producteurs, ni tous les travailleurs de la terre. Nous avons du pain sur la planche et de belles perspectives de débats et de constructions au service de nos territoires et de nos paysans.

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