Intervention de Manuel Valls

Réunion du mardi 18 juillet 2017 à 15h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaManuel Valls :

Il est normal que ce texte soit présenté maintenant, étant donné les engagements qui ont été pris et les attentes de nos concitoyens – même si nous savons tous qu'il ne résoudra pas la crise de la représentation que nous connaissons et qui est intrinsèque à la démocratie. Quoi qu'il en soit, il est normal de légiférer, même dans une sorte d'urgence, quoique nos débats fassent parfois apparaître davantage de questions que de réponses.

Je crois néanmoins qu'il existe un manque que je tiens à souligner devant vous, madame la garde des sceaux, puisque vous allez certainement défendre des réformes constitutionnelles. L'exercice du mandat de député est confronté à trois changements majeurs. Le premier concerne l'entrée en vigueur – je m'honore de l'avoir défendue – du non-cumul des mandats, qui modifiera profondément l'exercice du mandat parlementaire sans que l'on n'en mesure encore – nous en avions débattu il y a trois ans – toutes les conséquences. Le deuxième événement tient au renouvellement profond de l'Assemblée nationale, dont vous incarnez le nouveau visage et que nous sommes quelques-uns, très minoritaires, à ne pas représenter – et c'est heureux, pour ce qui me concerne. Troisième changement : les réformes à venir. Je pense en particulier à la diminution du nombre de parlementaires et à l'introduction d'une dose de proportionnelle. Il restera alors environ trois cents députés élus au suffrage direct dans des circonscriptions qui devraient à peu près doubler en taille – ce qui, incidemment, met presque fin au débat sur la réserve parlementaire puisqu'il faudrait donc la doubler pour être vraiment efficace.

Or, aucune réflexion, y compris dans le présent texte sur la fonction de député, n'intègre ces trois éléments profonds. Nous légiférons certes dans une certaine urgence, et c'est bien normal, même si la navette avec le Sénat nous laissera un peu de temps, mais nous ne tenons pas compte de la question suivante, déjà posée : qu'est-ce aujourd'hui qu'être député ? Quelle est sa mission, qu'il s'agisse de contrôler l'exécutif, de voter et d'évaluer la loi mais aussi de représenter les territoires ? Faute de mener cette réflexion, le texte que nous allons voter risque d'être pour partie remis en cause dans les années qui viennent, soit par l'évolution constitutionnelle, soit par la réalité des pratiques, soit encore parce que l'Assemblée nationale comptera beaucoup moins de députés. Il faut pourtant partir de cette question fondamentale : au coeur de la crise démocratique que nous connaissons se trouve la question de la représentation du député, sans doute aujourd'hui la personne publique la moins comprise et la moins soutenue par nos concitoyens qui, à l'inverse, font confiance au Président de la République ou au maire. L'abstention en est l'illustration – à relier à l'inversion du calendrier électoral intervenue il y a quelques années.

J'insiste : l'indépendance est au coeur de la mission du parlementaire. L'indépendance par rapport au monde économique, tout d'abord, d'où la nécessité de légiférer sur les conflits d'intérêts, mais aussi l'indépendance par rapport à l'exécutif, d'où la nécessité de donner aux parlementaires les moyens d'agir. De ce point de vue, il faut de la clarté. M. Habib vient de le dire, mais allons jusqu'au bout de ce débat : la demi-mesure sera inutile. Je vous mets en garde contre la demi-mesure au sujet de la réserve parlementaire : soit l'on considère que le député peut agir sur son territoire alors qu'il ne cumule plus de mandats, soit qu'il n'agit plus mais, dans un cas comme dans l'autre, il faudra être clair. À cet égard, le texte dont nous débattons aujourd'hui ne me satisfait pas. M. Carlos Da Silva, qui fut mon suppléant pendant quatre ans et demi, a parfaitement bien utilisé la réserve parlementaire dans la plus grande transparence et les associations en sont très heureuses. La question qu'il faut poser, et qui n'est guère présente dans nos débats, est donc celle-ci : est-ce utile ?

De même, s'agissant de l'indemnité de parlementaire et de l'IRFM, toutes les propositions évoquées sont des demi-mesures. Nous pourrions décider d'augmenter l'indemnité des parlementaires – c'est une question que devra défendre le Président de l'Assemblée nationale – contre l'opinion, et ce serait très violent … Mais le travail effectué par le Sénat, qui n'entretient pas le même rapport avec l'opinion, est à terme voué à l'échec. Nous verrons ce qu'il en est lors de l'examen des amendements, et chacun des groupes pourra s'exprimer mais là encore, le député a son rôle. Je me fais une certaine idée de ce qu'est ce rôle du député, qui est au coeur de la fondation de la République en 1789 ; cela vaut pour son indemnité, sa retraite et son rapport avec l'exécutif. Nous touchons à des sujets essentiels. L'enthousiasme est certes important, mais il recouvre la conception même du rôle du député. Même à l'ère de la mondialisation, du numérique et de l'exigence citoyenne, la représentation parlementaire ne changera pas. Les députés sont des hommes et des femmes élus pour représenter le peuple. Démocratie directe ou non, il n'existe qu'un seul système démocratique – que l'on me prouve que les autres ont fonctionné ! – qui consiste en la représentation souveraine du peuple dont chacun d'entre nous exerce une part.

Parce que ce que nous faisons est essentiel, je souhaite vivement que nous allions au bout du débat avec le Sénat, au sein de l'Assemblée et avec vous, madame la garde des sceaux, car je vous sais soucieuse des fragilités dont souffre parfois la démocratie. Nous devons poursuivre la discussion, car nous sommes saisis de plusieurs sujets qui touchent au coeur de ce qu'est le mandat du député. Qu'est-ce qu'un député ? C'est à cette question qu'il nous faut tous répondre non seulement dans le texte que nous allons voter dans les prochains jours mais aussi dans les prochains mois, si réforme constitutionnelle il y a.

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