Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du jeudi 21 décembre 2017 à 9h30
Projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 - projet de loi de finances pour 2018 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

C'est l'occasion, pour celles et ceux qui seraient passés à côté, de rappeler l'étymologie du nom de votre fonction. « Ministre » vient de minister, terme latin qui signifie « celui qui sert ». Or supprimer, comme vous le faites, la majeure partie de l'ISF et créer une flat tax qui est une ruine pour la nation, cela dénote une idée particulière du service. Elle est d'ailleurs résumée dans ce proverbe bien connu, qui a le mérite de la clarté : « On n'est jamais mieux servi que par soi-même. »

Nos finances publiques souffrent depuis trop d'années des baisses successives d'impôts pour les plus fortunés. Vous continuez de créer les conditions d'un délabrement de l'État, avec cette certitude des idéologues libéraux, ceux qui ne souffrent pas la contradiction et qui, pétris d'une assurance infondée, appliquent toujours les mêmes recettes inefficaces.

Ce budget repose sur un raisonnement téléologique. Vous estimez que si les politiques appliquées ces vingt dernières années n'ont pas fonctionné, c'est qu'elles n'ont pas été menées au bout de leur logique. Nous avons donc eu droit aux refrains habituels : flexibilité, réforme, adaptation, modernité et toutes ces notions depuis bien longtemps vidées de toute espèce de sens dans le débat public. Vous nous avez répété le discours supposément moderne des années 1990. Trois décennies nous en séparent. Entre-temps, ce discours est devenu archaïque.

Ces vieilles politiques ne correspondent en rien aux défis de notre époque. Parmi ceux-ci – j'espère que vous commencez à vous en rendre compte – , celui qui les commande tous et doit les articuler entre eux est le défi écologique, qui se traduit par le changement climatique et la sixième phase d'extinction des espèces. J'insiste sur ce point : le problème écologique n'est pas un problème parmi d'autres. Il ne peut pas, comme la pensée technocratique aime tant à le faire, être rangé dans une case et soigneusement écarté par quelques tableaux comptables.

L'écologie impose une réorganisation sociale et économique profonde de notre pays. C'est vers la transformation générale des modes de consommation et de production qu'il faut désormais avancer. Or le budget de l'État que vous nous soumettez ne répond pas à cet objectif fondamental. Il tourne le dos à notre époque.

Toutes les études relatives au changement climatique témoignent d'une aggravation du problème. Les trajectoires actuelles conduisent à un réchauffement climatique de 4 à 5 degrés d'ici à la fin du siècle. Si rien n'est fait, non seulement pour atténuer ce phénomène, mais également pour s'y préparer sérieusement, alors les bouleversements qui s'annoncent devant nous pourraient détruire nos sociétés et faire de ce siècle l'un des plus chaotiques de l'histoire de l'humanité. Rien dans ce budget, ni d'ailleurs dans la cohérence générale que présentent vos politiques publiques, n'est à la hauteur de la situation. Vous réussissez l'exploit d'être à la fois les hommes et les femmes du passé et ceux du passif.

Le caractère inégalitaire de ce budget est ce qui, au premier chef, en fait un budget anti-écologique. Je vous conseille d'ailleurs, à vous, monsieur le ministre, comme à mes collègues de la majorité, de se procurer l'excellent ouvrage du journaliste Hervé Kempf. Son titre est assez éloquent et n'a rien perdu de sa pertinence : Comment les riches détruisent la planète. Hervé Kempf y décrit le mode de consommation ostentatoire qui est profondément lié au système d'accumulation irrationnel des richesses.

Cette pensée générale, qui voudrait qu'en dehors de l'argent il n'y ait pas de salut, est non seulement dangereuse mais, il faut bien avouer, également marquée du sceau de l'ignorance. Non, notre époque n'est certainement pas celle où les jeunes doivent rêver de devenir millionnaires, elle l'est même moins qu'une autre.

Les sciences sociales nous informent à ce sujet : plus une société est inégalitaire, moins elle engagera des politiques favorables à l'environnement. Et comme j'espère que vos vacances vous laisseront le temps de lire, si vous n'en êtes pas convaincus, l'article d'Éloi Laurent intitulé « Écologie et inégalités » vous sera des plus utiles.

Les politiques inégalitaires que vous conduisez sont donc doublement anti-écologiques : d'une part, elles favorisent la consommation gaspillage et polluante d'individus qui ne savent même plus quoi inventer pour dépenser leur argent ; d'autre part, elle rend les plus fragiles plus vulnérables aux problèmes environnementaux.

Elles favorisent également une conception étroite de l'économie et donnent bien trop de pouvoirs à des individus qui, par leur seule richesse, se sentent autorisés à fuir l'impôt et à exiger des politiques uniquement centrées sur la croissance à tout prix.

« Toujours moins de normes environnementales ! », crient de concert le MEDEF et la FNSEA. Vous leur cédez bien trop. Nous leur répondons que l'État doit être garant de l'intérêt général et ne doit pas aborder les problèmes vastes qui sont les nôtres à travers le prisme d'étroits intérêts particuliers.

Je veux souligner un paradoxe, qui dit assez bien le peu de cas que vous faites de l'environnement, en comparaison aux égards sonnants et trébuchants que vous avez pour les plus fortunés. Vous supprimez donc l'ISF, que vous remplacez par l'IFI. Les capitaux financiers ne sont plus imposés sur la fortune, contrairement au patrimoine foncier. Or dans le foncier non bâti se trouvent toutes sortes de propriétés naturelles, qui nécessitent soins et protection. Celles et ceux qui se trouvent posséder un tel terrain seront donc toujours soumis à l'impôt, là où des actions d'entreprises d'énergies fossiles seront hors taxes.

Vous avez créé une incitation à vendre de telles parcelles, ce qui peut encourager une artificialisation croissante des sols. Si de telles considérations passent sans doute bien loin des salons dorés, elles sont toutefois la condition du maintien de notre territoire dans un état correct.

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