Intervention de François Cornut-Gentille

Séance en hémicycle du mardi 26 octobre 2021 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Défense ; anciens combattants mémoire et liens avec la nation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Cornut-Gentille, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

Après les trois précédents, ce quatrième budget de la loi de programmation militaire (LPM) respecte lui aussi la trajectoire initialement prévue. Si l'on s'en tient à ce point de vue, il n'y a aucun souci à se faire, tout va bien ; chacun est invité à saluer la performance.

Vous me pardonnerez, madame la ministre des armées, de ne souscrire que partiellement à cette vision avantageuse. Certes, je reconnais bien volontiers l'effort accompli, mais ce redressement n'a de sens que s'il participe à une stratégie crédible dans la durée. Or c'est là que le bât blesse car, si les crédits prévus sont jusqu'à présent au rendez-vous, il est malheureusement impossible de savoir où nous allons. Telle est la situation dans laquelle nous nous trouvons.

Dans tous les domaines, les difficultés sont devant nous. Et elles ne sont pas des moindres. Les optimistes parleront d'incertitudes, les pessimistes d'impasses. Je vous laisse le soin de choisir.

Incertitude ou impasse budgétaire, tout d'abord, qui menace gravement notre modèle d'armée 2030. À court terme, la réalisation de ce modèle est déjà fragilisée par nos succès à l'export, dont nous nous réjouissons par ailleurs. La situation peut rapidement devenir critique pour notre marine ; elle l'est déjà pour notre armée de l'air. Mais la réalisation du modèle 2030 repose surtout sur le franchissement de trois marches budgétaires successives de 3 milliards d'euros chacune. Dans le nouveau contexte économique post-covid, cette ambition paraît de moins en moins tenable. Que faire ? Le lissage de l'effort risque d'être coûteux et, par ailleurs, destructeur de la cohérence d'ensemble. Le risque de multiples ruptures capacitaires est avéré.

J'ajoute que, si l'on souhaite prendre en compte les réflexions des chefs d'état-major sur la guerre de haute intensité et les conflits hybrides, des crédits supplémentaires seraient nécessaires. Où les trouver, alors que les moyens pour atteindre le modèle 2030 sont déjà insuffisants ?

Incertitude ensuite sur notre action au Sahel. Depuis près de dix ans, c'est l'opération extérieure (OPEX) emblématique de la France. Nos militaires se battent admirablement. Il est cependant de plus en plus clair qu'ils n'ont pas et ne sont pas la solution. Un retrait partiel a été annoncé mais comment faire pour qu'il ne soit pas perçu comme un début de désengagement ? Peut-être est-il déjà trop tard. À juste titre, nous protestons régulièrement auprès du gouvernement malien, qui multiplie les provocations. Mais avons-nous une stratégie ? Celle de nos opposants ou concurrents est extrêmement claire. Quelle est la nôtre ?

Incertitude ou impasse, enfin, sur nos alliances. Sur le plan industriel, l'époque du rapprochement franco-britannique semble close. Depuis cinq ans, le choix prioritaire est celui du franco-allemand, envisagé comme le pilier fondateur de la future Europe de la défense. En vérité, ce pilier paraît très virtuel : les deux projets les plus importants sont en effet loin d'être engagés de façon irrémédiable. Le char du futur, qui, à l'origine, soulevait le moins de difficultés, est aujourd'hui enlisé ; rien ne dit qu'il verra le jour. Quant au système de combat aérien du futur (SCAF), ce sont à la fois les divergences entre les industriels et les aléas de la vie politique allemande qui l'hypothèquent, et les vives tensions rencontrées lors de la modeste première phase ne sont pas de bon augure pour la suite du programme.

Sur le plan diplomatique, le constat est également rude. Nous sommes isolés au sein de l'OTAN, tandis que notre discours sur l'Europe de la défense suscite de la méfiance et ne recueille au mieux qu'une indifférence polie. En outre, personne ne semble voir que notre vieille idée de l'Europe de la défense comporte, pour nous, deux risques contradictoires. Le premier, qui se vérifie actuellement, est qu'elle ne se fasse pas. Le second, à terme, est qu'elle finisse par se faire mais sous leadership allemand, avec un budget de la défense de nos voisins dépassant désormais le nôtre. Est-ce vraiment cela que nous voulons ?

Nous pouvons être fiers de nos militaires. Et nul ne peut ignorer que nos armées ont bénéficié d'un soutien appréciable au cours des dernières années. Cependant, l'avenir est loin d'être assuré. Sur le plan budgétaire, comme en matière industrielle et diplomatique, il est urgent et impératif de cesser de prendre nos désirs pour des réalités.

C'est dans ce contexte que la non-révision de la LPM a constitué une occasion manquée. Car tout indique la nécessité d'un débat approfondi sur notre défense. Ma crainte est que ce dernier n'intervienne à présent plus vite que prévu, mais sous l'angle unique de la contrainte budgétaire. Pour être tenable, notre effort de défense a besoin d'une stratégie crédible que nous n'inventerons pas dans l'urgence.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.