Intervention de Mathilde Panot

Séance en hémicycle du jeudi 28 octobre 2021 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Cohésion des territoires

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMathilde Panot :

Non, ils n'existent pas, car si des Français étaient pauvres, vous n'auriez probablement pas réformé l'aide au logement, ni baissé les allocations de 5 euros, ni encore désindexé le montant de l'APL de l'inflation. D'après une récente étude, cette réforme aurait fait plus de perdants que de gagnants, près de 30 % d'allocataires ayant vu le niveau de leur APL baisser de 73 euros par mois en moyenne. Cette réforme touche particulièrement les jeunes, puisque avec le nouveau mode de calcul, un étudiant dont le revenu augmente entre la fin de ses études et son premier emploi ne percevra plus l'APL, bien que son revenu soit encore faible.

Mais rappelez-vous : en Macronie, les pauvres n'existent pas. Donc cette réforme n'aura fait que des gagnants. La preuve, grâce à elle, l'État a pu économiser 1,1 milliard d'euros en 2021. Comment des pauvres peuvent-ils produire autant de richesses ? C'est bien parce qu'ils sont riches et que les pauvres n'existent pas.

Autre preuve, si vous n'étiez pas déjà convaincus : vous baissez de 16,81 % les crédits alloués aux associations qui œuvrent à l'information relative au logement et à l'accompagnement des personnes en difficulté. Pourquoi ? Parce qu'il n'est pas nécessaire d'informer ou d'accompagner des personnes qui n'existent pas. Vous aviez supprimé l'Observatoire de la pauvreté pour la même raison. L'Observatoire n'ayant rien à observer, il était aussi absurde de le maintenir que de créer – pourquoi pas ? – un observatoire des licornes.

Après tout, s'il y avait des pauvres en France, il faudrait construire davantage de logements sociaux. Or leur construction s'est effondrée. En 2020, 87 500 logements ont été agréés pour un objectif de 110 000 logements. 1,7 million de familles sont en demande d'un logement social, et quand on compte les demandeurs déjà logés dans le parc social, ce chiffre s'élève au total à 2,2 millions de familles.

Mais depuis 2017, vous avez fortement ponctionné les recettes des organismes HLM. Ces organismes ont dû compenser la baisse de l'APL en accordant une RLS. Cette réduction, qui atteint 1,3 milliard d'euros cette année, pèse lourdement sur leurs ressources, tant et si bien qu'ils ont dû rogner sur l'entretien des immeubles et réduire leur production de logements neufs.

Si vous appauvrissez autant les organismes HLM, on imagine que c'est en raison du fait que la demande a baissé car, sinon, vous n'auriez pas augmenté la TVA sur la construction de logements sociaux pendant votre quinquennat, la faisant passer de 5,5 % à 10 %. Si nous n'avons pas besoin de logements sociaux, c'est que les pauvres n'existent pas !

Et si dans les outre-mer, le nombre d'habitats insalubres est estimé à 100 000 d'après le ministère de la transition écologique et que 70 % de nos compatriotes ultramarins sont éligibles à des logements sociaux, c'est que les outre-mer n'existent pas, c'est limpide ! Par ailleurs, aucun gouvernement, certainement pas le vôtre, ne laisserait des réseaux de canalisations en ruine, empêchant les habitants de se laver les mains en pleine crise sanitaire.

De toute façon, si les pauvres existaient, ils seraient probablement victimes de précarité énergétique et vous en feriez les premiers bénéficiaires d'une aide à la rénovation thermique des logements. Or votre dispositif MaPrimeRénov' est ouvert à tout le monde et le reste à charge pour les plus précaires est de 20 %. Il est majoritairement utilisé pour de petits travaux tels que l'isolation des fenêtres ou le changement d'une chaudière, et non pour une rénovation performante qui permettrait d'éliminer les passoires thermiques et garantirait des gains de consommation énergétique. Cette mascarade vous permet de gonfler artificiellement les chiffres de la rénovation énergétique, sans jamais vous attaquer aux logements affichant les plus mauvaises performances énergétiques.

Mais ce doit être parce que les logements nécessitant une rénovation globale n'existent pas, et ceux qui les occupent non plus ! Tout comme n'existent pas les quartiers populaires ou les zones rurales ni leurs habitants : la preuve, l'État y est absent, puisque les services publics ont déserté.

Pour finir, sachez que, depuis fin 2017, les pauvres à la rue n'existent pas. Emmanuel Macron l'avait dit : « La première bataille, c'est de loger tout le monde dignement. Je ne veux plus, d'ici la fin de l'année, avoir des femmes et des hommes dans les rues […]. » Pourtant, d'après le collectif Les Morts de la rue, 587 personnes sans abri sont mortes en 2020, dont une personne sur quatre d'une mort violente. Ce bilan non exhaustif est sûrement beaucoup plus lourd. Mais il donne raison au Président de la République : quelque part, les pauvres n'existent plus. Et ils continueront à disparaître, parfois brutalement, parfois lentement, faute de ressources et d'accompagnement, aussi longtemps que la politique du logement ne sera un droit que pour ceux qui peuvent se le payer.

Toutefois, collègues, si ces personnes existent, ce dont vous faites douter tant elles sont absentes de vos politiques publiques, le groupe La France insoumise tient à leur rendre hommage, bien conscient de la honte que représente leur mort, quand notre pays compte autant de richesses. Un mot donc, en conclusion, pour les 300 000 personnes qui vivent dans la rue – parfois avec des enfants –, pour les 15 millions de personnes mal logées en France, pour les 2 millions de personnes privées d'accès à l'eau courante, à un moyen de chauffage, à une douche ou à un coin cuisine, pour tous ces invisibles dont vous préférez croire qu'ils n'existent pas.

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