Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous ne pourrez pas vous plaindre de ne pas avoir une opposition qui vous fait des propositions alternatives.
De ce point de vue, je commencerai par vous répondre brièvement, monsieur le ministre, même si vous vous adressiez plutôt au président de mon groupe. En dehors des dictateurs et des dirigeants de régimes totalitaires, dans le degré de dangerosité, il n'est pas de pires dirigeants qui ceux qui s'aveuglent sur la réalité, car ils nous privent précisément de ce qui est nécessaire pour la changer. Votre réaction m'a un peu fait penser à celle de tous ces économistes libéraux qui n'ont pas vu arriver la crise spéculative de 2008 mais nous ont ensuite expliqué pourquoi elle devait nécessairement se produire. Pour comprendre ce qui arrive à notre planète, il faut être conscient que le décalage croissant entre l'économie financière et l'économie réelle, ce ne sont pas seulement des mots. Cette économie financière, ce capitalisme financiarisé, cette financiarisation de l'économie tirent justement leur force de l'exploitation de tous les producteurs de richesses, de ce que nous appelons l'économie réelle. Le jour où l'écart est trop important, inévitablement, cette bulle explose. C'est ce qui s'est passé en 2008, et c'est ce qui arrivera de nouveau, d'ici peu, à notre pays comme à tous ceux du globe. Je le regrette, et j'espère que l'heure où nous nous retrouverons pour en parler sonnera le plus tard possible, monsieur Darmanin.
Vous avez utilisé tout à l'heure une métaphore maritime ; c'est un domaine qui m'est cher à moi aussi. Pour cette dernière motion de procédure, je voudrais donc vous inviter à prendre le large, mes chers collègues, et à regarder vers d'autres horizons : ceux que nous ouvrirons quand nous gouvernerons le pays, le plus tôt possible.
Nous avons en effet la faiblesse de penser que s'opposer, c'est aussi répondre par une proposition alternative à votre politique. Voilà pourquoi nous avons tenu à présenter un contre-budget au cours des débats sur le projet de loi de finances pour 2018 et sur le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022. Bien évidemment, pour le préparer, nous ne disposons pas de toute l'administration, de toutes les forces et capacités de l'État, mais la France insoumise a en notre sein beaucoup d'économistes, de hauts fonctionnaires, d'experts qui, sans toujours pouvoir, pour des raisons de discrétion compréhensibles, donner leur nom, nous ont permis de produire ce budget alternatif, que nous espérons pouvoir bientôt présenter comme membres du Gouvernement.
Ce budget, nous l'avons voulu prudent : nous avons retenu les hypothèses qui le rendent le plus réaliste possible à vos yeux.
Par exemple, nous sommes partis du principe que nous ne récupérerons que la moitié du résultat de l'évasion fiscale dont souffre notre pays chaque année, laquelle s'élève à 80 milliards d'euros ; nous avons donc tablé sur la récupération de 40 milliards, en renforçant l'administration fiscale, en prenant de véritables mesures contre les banques qui continuent à travailler avec les paradis fiscaux et en mettant fin au verrou de Bercy.
Nous avons aussi choisi le moins avantageux des différents scénarios proposés par le Fonds monétaire international : celui selon lequel 1 euro de dépense publique investi dans l'économie ne rapporte qu'1,4 euro.
Enfin, nous avons joué les règles de votre jeu dans la mesure où nous n'avons pas pris en compte, contrairement à ce que nous ferions si nous gouvernions demain, les retombées positives attendues du protectionnisme solidaire, du processus européen de renégociation de la dette et de la fin de l'indépendance de la Banque centrale européenne vis-à-vis des États et de la politique.
Ce budget repose sur un trépied. Premièrement, nous disposerions de 170 milliards d'euros de recettes supplémentaires. Deuxièmement, nous mettrions celles-ci au service des dépenses publiques nécessaires, conçues d'une manière pas très radicale puisque nous nous contenterions en réalité de revenir à la situation antérieure au quinquennat de Nicolas Sarkozy, avant les dix ans de baisse des dépenses publiques et des recettes de l'État que nous venons de connaître. Troisièmement, nous ambitionnons d'investir 100 milliards d'euros – bien loin des 57 milliards d'investissement que vous prévoyez – , notamment dans la transition écologique, et nous assumerions le fait de les financer par la dette.
Commençons donc par la présentation des recettes.
Vous avez décidé d'augmenter la CSG. Nous l'avons dit, c'est un impôt injuste puisqu'il est non progressif. Dans le plan de révolution fiscale que nous proposons d'appliquer, nous rendrons donc la CSG progressive.
Concernant l'impôt sur le revenu, vous décidez de ne toucher à rien, alors que ses cinq tranches pèsent actuellement sur les classes moyennes. Nous créerons donc neuf nouvelles tranches, pour un système à quatorze tranches d'imposition, comme c'était le cas jusqu'en 1986. Le nouveau barème sera ainsi plus progressif : tout le monde paiera l'impôt sur le revenu, mais à hauteur de ses moyens. Notre réforme de l'imposition des revenus bénéficiera aux 91 % des Français qui gagnent moins de 4 000 euros par mois, tandis que nous mettrons les plus riches à contribution ; ce sera, pour ces derniers, un effort de solidarité nationale nécessaire pour faire face aux urgences sociales et écologiques. Cette réforme rapportera 10 milliards d'euros supplémentaires à l'État.
Concernant la TVA, nous souhaitons créer un nouveau taux sur le grand luxe, porté de 19,6 % à 33 %, qui rapportera près de 5 milliards d'euros. Un tel taux majoré, je le rappelle, existait jusqu'en 1992.
Notre contre-budget prévoit également un renforcement du barème de l'ISF – nous ne songeons donc pas, comme vous, à l'amputer des deux tiers – ainsi qu'un élargissement de son assiette, pour introduire davantage de progressivité entre les très riches et ceux qui le sont un peu moins.
Nous prévoyons aussi de plafonner l'héritage, tout simplement parce qu'il se crée dans ce pays, depuis plusieurs décennies, ce qu'il convient d'appeler une véritable noblesse d'argent. Vous le savez, la part du patrimoine dans l'enrichissement des Français n'a cessé de croître : elle a presque doublé en trente ans, évidemment à l'avantage des plus fortunés d'entre eux.
Nous prévoyons également de supprimer une grande partie des niches fiscales antisociales et anti-écologiques, un objectif que l'Assemblée nationale se fixe chaque année, mais sans se donner les moyens d'y parvenir. Nous estimons que cette démarche rapportera 49 milliards d'euros.
Nous instaurerons une taxe énergétique sur le kérosène du transport aérien et sur les entreprises les plus coûteuses pour le changement et le réchauffement climatiques.
Nous renforcerons, je l'ai dit, la lutte contre la fraude fiscale, en en faisant l'une de nos priorités, ce qui pourrait rapporter 40 milliards d'euros supplémentaires. Je voudrais répondre au prétendu économiste François Lenglet, qui a eu le culot de considérer sur France 2 que ces milliards devaient être inclus dans les hausses d'impôt, alors qu'il s'agit simplement de restaurer un peu de justice dans ce pays.
Enfin, pour parvenir à 170 milliards d'euros de recettes supplémentaires, nous comptons sur le cercle vertueux né de l'investissement dans la dépense publique, qui devrait rapporter 55 milliards d'euros à l'économie, par l'intermédiaire des cotisations et impôts payés par un plus grand nombre de personnes et de la diminution des dépenses sociales induite notamment par la réduction du chômage.
Venons-en aux dépenses.
Je viens de vous le dire, la mise en oeuvre du programme « L'avenir en commun » générera de nouvelles recettes, qui permettront d'équilibrer de nouvelles dépenses, hors investissement.
Nous voulons une relance de l'activité économique non seulement écologiquement soutenable mais suffisamment intelligente pour réduire notre dette écologique. Certes, cela ne suffira pas à réparer l'ensemble des dégâts de la crise et à satisfaire notre ambition fondamentale d'en finir avec la pauvreté, mais nous ambitionnons nous orienter, en cinq ans, vers une bifurcation de notre modèle de production. Il faut pour cela davantage de moyens publics au service d'une planification écologique.
Globalement, l'idée est d'augmenter de manière équilibrée la part des prélèvements obligatoires et de la dépense publique dans la richesse totale. Au bout de cinq ans, chaque année, nous percevrons 173 milliards d'euros de ressources supplémentaires, qui autoriseront 160 milliards de dépenses supplémentaires, à l'inverse de votre logique consistant à réduire les dépenses de 80 milliards.
Nous voulons ainsi rétablir la retraite à soixante ans. Dans ce domaine, je rappelle que toutes les réformes, celle de Nicolas Sarkozy comme les précédentes, qui tendaient à nous convaincre de la nécessité de travailler toujours plus longtemps pour faire redémarrer l'emploi, ont en réalité provoqué – tous les chiffres sont très clairs – une explosion du chômage parmi les travailleurs seniors. En effet, le fait de ne pas pouvoir partir à la retraite à soixante ans oblige souvent ces derniers, malheureusement, à continuer non pas de travailler, mais de cotiser à Pôle emploi – on ne crée pas de l'emploi par magie pour les personnes qui approchent de l'âge de la retraite. Nous assurerons donc la retraite à soixante ans à taux plein et une pension de retraite forcément supérieure au SMIC, car comment vivre dans ce pays avec un revenu inférieur au SMIC, surtout sans perspective d'avenir ni espoir d'évolution sociale dès lors que l'on est retraité ?
Nous revaloriserons également l'ensemble des minima sociaux afin que personne ne soit en dessous du seuil de pauvreté dans un pays qui reste tout de même la cinquième puissance économique au monde.
Nous lancerons un plan zéro sans-abri, prévoyant la création de nombreuses places en centre d'hébergement et de réinsertion sociale.
Nous financerons une éducation publique gratuite, avec une cantine 100 % bio.
Nous recruterons le nombre d'enseignants nécessaire et créerons le nombre de places nécessaire à l'université plutôt que de faire l'inverse, c'est-à-dire d'adapter le nombre d'étudiants à une politique d'austérité dans les universités.
Nous augmenterons les embauches dans le secteur public.
Nous mettrons en place un système efficace de lutte contre le chômage, à rebours du plan que vous prévoyez pour le premier trimestre, qui va se révéler catastrophique non seulement pour les chômeurs mais aussi pour l'ensemble de l'économie.
Je viens donc de présenter nos recettes et nos dépenses, qui s'équilibreront.
Nous assumons en outre le lancement d'un plan d'investissement de 100 milliards, qui sera financé par la dette – à ce propos, je ne reviendrai pas sur la démonstration que vient de faire Jean-Luc Mélenchon.
Cette dette sera évidemment avant tout au service de la transition écologique. Je rappelle encore une fois que, selon le FMI – le Fonds monétaire international – , cette dépense publique au service de la transition écologique et des besoins sociaux rapportera en réalité de l'argent à l'économie. Pour le comprendre, il suffit de saisir que, lorsqu'on investit dans le bâtiment, dans la construction sociale, qu'on prévoit de faire sortir de terre 1 million de logements sociaux en cinq ans, on fait vivre le BTP.
Sur ces 100 milliards, nous consacrerons 50 milliards à l'isolation thermique des logements et au développement des énergies renouvelables, qui, quoi que vous disiez, quoi qu'il soit annoncé, reste malheureusement, notamment dans le domaine marin, proche de zéro – il est même à zéro à l'heure où je vous parle – , bien loin de ce qui se passe dans la plupart des pays d'Europe du Nord.
Si le plan du Gouvernement est censé développer les énergies renouvelables et de nouveaux transports, c'est nous qui le mettrons en application grâce à cet investissement.
Nous allouerons 45 milliards d'euros à l'urgence sociale.
Je l'ai dit, nous développerons la construction de logements publics, absolument nécessaires.
Nous ouvrirons davantage de places en crèche et en maison de retraite.
Nous rénoverons les prisons. C'est en effet à l'état de ses prisons et à la dignité dont y bénéficient les détenus que l'on juge le mieux de l'état d'une République ; de ce point de vue, il y a de quoi s'interroger, car ces conditions sont très souvent une véritable honte.
Nous n'avons pas à craindre que cet argent public soit investi hors de nos frontières ; en effet, la relance par l'investissement public est intelligente, car elle est moins intensive en importations qu'une relance par la consommation. Par exemple, le bâtiment, l'un des piliers de notre plan d'investissement, est également l'un des secteurs les moins utilisateurs de ressources importées.
De plus, la redistribution des richesses réduira le poids des importations, puisque, vous le savez, les plus pauvres consomment moins de produits importés que les plus riches.
Enfin, par la planification écologique, nous pourrons créer des filières nationales en matière d'énergies renouvelables, ce qui permettra aussi, à moyen terme, de relocaliser l'activité. Cette relocalisation passera aussi par la renationalisation de certains secteurs, comme la production d'éoliennes marines.
L'abandon de l'austérité que nous prévoyons permettra enfin de sortir de la crise économique. L'activité devrait croître en moyenne, selon nos calculs, de 2,1 % par an sur le quinquennat par rapport au scénario actuel de programmation des finances publiques. Nous prévoyons que 2 millions d'emplois seront créés en cinq ans : la moitié dans le secteur privé du seul fait de la relance ; l'autre moitié du fait des embauches de fonctionnaires, par un simple retour, là encore, aux années d'avant Nicolas Sarkozy et sa politique délétère consistant à supprimer l'emploi d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Nous voulons aussi nous appuyer sur les contrats coopératifs que nous proposerons dans le cadre de l'État employeur en dernier ressort. Le taux de chômage tombera ainsi à 6 % en 2022.
Notre déficit moyen annoncé sera de 3,3 % du PIB, beaucoup mieux que sous François Hollande – il était alors de 3,6 %. Mieux, au terme du quinquennat, on arrivera à 3 % du PIB et à une dette au sens de Maastricht de 87,1 %, contre 96,3 % actuellement.
Vous voyez que nous disposons là d'un budget à même de relancer l'activité économique du pays et, dirai-je, de montrer la voie vers la bifurcation écologique.
Deux modèles sont donc sur la table : d'un côté, le ruissellement et le libre-échange que vous voulez instaurer ; de l'autre, la redistribution, la relocalisation et l'investissement public. Vous aurez compris que, au budget des ultra-riches que vous allez voter, nous espérons bientôt pouvoir substituer le budget de l'intérêt général.