Intervention de Muriel Ressiguier

Séance en hémicycle du vendredi 29 octobre 2021 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Recherche et enseignement supérieur

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMuriel Ressiguier :

Le budget de l'ESR – enseignement supérieur et recherche –, qui s'élève à 29,24 milliards d'euros, illustre cette année encore la vision libérale du Gouvernement, calquée sur le modèle anglo-saxon. Lors de la conférence de presse de la rentrée 2021, vous avez reconnu, madame la ministre, que les organismes de recherche souffraient d'un sous-financement chronique depuis des décennies. Si nous partageons ce constat, nous désapprouvons la réponse que vous y apportez. En effet, dans la dynamique de la LPR, la hausse du budget consacré à la recherche profite à l'ANR et au financement par appel à projet, au détriment des crédits récurrents. Les crédits de l'action 2 Agence nationale de la recherche, du programme 172 Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires, augmentent ainsi de 17,44 %, pour un montant de 884,35 millions d'euros. Or, non content de limiter les sujets de recherches, d'accroître la concurrence entre les chercheurs et d'être chronophage, ce mode de redistribution par appel à projet des dotations publiques pour la recherche est fortement inégalitaire. Aujourd'hui déjà, 80 % des moyens de recherche compétitifs, comme les projets de l'ANR, sont attribués à vingt établissements d'enseignement supérieur seulement, parmi la centaine qui existent.

Le CIR représentera en 2022 pas moins de 7,43 milliards d'euros, soit environ un quart du budget de l'ESR. Cette niche fiscale opaque est accordée sans contrepartie, sur simple déclaration. Sanofi par exemple, qui en bénéficie, a investi en janvier 610 millions d'euros dans une nouvelle usine de production de vaccins, puis a annoncé en septembre dernier l'arrêt du développement de son vaccin contre le covid. « Il n'y a pas d'argent magique », disait Emmanuel Macron ; en réalité, cela dépend pour qui.

Par idéologie, ce budget reflète aussi une volonté d'en finir peu à peu avec le statut de fonctionnaire. Le CNRS voit ainsi le nombre de ses emplois sous plafond baisser de 128 ETP travaillés et ses emplois hors plafond augmenter de 995 ETPT, laissant le champ libre aux CDI de missions scientifiques, aux chaires de professeur junior et aux contrats doctoraux de droit privé. Globalement, le recrutement d'enseignants-chercheurs titulaires a diminué de près de moitié au cours des dix dernières années. Les contractuels occupent désormais 25 % des postes et 6 millions d'heures supplémentaires sont effectuées par les enseignants, ce qui représente 30 000 postes de titulaires.

Le désengagement de l'État qui est à l'œuvre dans le domaine de la recherche se retrouve, hélas, dans l'enseignement supérieur. Malgré la hausse de 1,48 % des crédits du programme 150 Formations supérieures et recherche universitaire, dédié à la dotation des universités et atteignant désormais 14,21 milliards d'euros, vous continuez en réalité de sous-doter les universités en ne prenant pas en compte leurs besoins réels ni l'augmentation du nombre d'étudiants. La Conférence des présidents d'université (CPU) confirme cette sous-dotation : « La baisse de la dotation par étudiant est constante et ne donne aucune marge de manœuvre aux établissements. »

Vos choix budgétaires, madame la ministre, renforcent la sélection et le déterminisme social. Entre la mise en œuvre d'un baccalauréat local, le portail Parcoursup, la sélection en master et le manque de places, ce sont sans surprise les plus précaires qui se retrouvent majoritairement sur le carreau. En effet, alors qu'il y a 19,2 % d'ouvriers dans la population active, leurs enfants ne représentent que 12,3 % des étudiants en licence, 8,5 % des étudiants en master et 5,9 % des doctorants. Quant aux cadres, qui constituent 20,4 % de la population active, leurs enfants représentent 29,3 % des étudiants en licence, 40,2 % des étudiants en master et 40,3 % des doctorants.

Par ailleurs, la précarité dont souffraient déjà les étudiants avant la crise sanitaire s'est considérablement aggravée : renoncement aux soins, difficultés à se nourrir, à se loger, à assumer les dépenses du quotidien et évidemment à étudier sereinement. En réponse à leur détresse, ce PLF marque la fin des aides exceptionnelles comme le repas à 1 euro pour tous les étudiants. Les bourses ne sont revalorisées qu'à hauteur de 1 % alors que l'inflation est de 1,8 %. Le Gouvernement n'investit toujours pas massivement dans les CROUS et l'allocation autonomie jeunesse n'est pas à l'ordre du jour. C'est dommage, car elle permettrait de sortir de la charité.

En somme, les crédits de la mission "Recherche et enseignement supérieur " actent la marchandisation du savoir et la priorité donnée à l'employabilité, et aggravent les inégalités sociales. Le Gouvernement refuse d'assumer ses missions de service public et renonce au principe d'un savoir universel et émancipateur. C'est pourquoi nous voterons contre les crédits de la mission.

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