Pour la dernière fois au cours de la législature, nous avons l'occasion de nous exprimer au sujet des missions budgétaires qui regroupent des institutions disparates mais toutes essentielles au bon fonctionnement du pays. J'ai envie, si le président de l'Assemblée nationale m'y autorise – j'espère ne pas réveiller ses fureurs –, de vous parler du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel. À la faveur de la crise sanitaire et de la multiplication des lois d'urgence, ces organismes ont montré qu'ils occupaient une place prépondérante dans notre démocratie. J'aimerais revenir sur cette montée en puissance et m'interroger sur les problèmes politiques qu'elle induit.
Commençons par le Conseil d'État. Depuis un an, jamais la plus haute juridiction administrative n'était autant entrée dans le quotidien des Françaises et des Français. Dans un pays en état d'urgence sanitaire, elle est devenue l'espace où chacun peut contester les mesures d'un Gouvernement aux pouvoirs sans cesse accrus. Elle respecte en cela l'un des rôles qui lui ont été assignés au moment de sa création en 1799, sans toutefois se départir de l'autre mission qui lui revient.
En effet, si le Conseil d'État juge la légalité des projets de loi, décrets ou autres ordonnances qui sont attaqués par un administré, il est aussi celui qui accompagne le Gouvernement dans la rédaction préalable de ces textes. Cette ambivalence est critiquée de toutes parts par des juristes qui estiment que le Conseil d'État penche quasi systématiquement en faveur du Gouvernement, en approuvant des dispositifs parfois franchement liberticides, aux dépens des libertés publiques qu'il doit garantir aux citoyennes et aux citoyens. Je ne crois pas que les décisions rendues par les conseillers d'État au cours des derniers mois soient de nature à contredire cette analyse. J'en veux pour preuve ces chiffres édifiants : sur les 840 requêtes déposées devant le Conseil d'État entre le premier confinement et mars 2021, 511 ont été écartées d'office sans débat contradictoire, 329 ont été instruites et 8 ont été jugées dans un sens défavorable au Gouvernement.
Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui réclament la suppression de cette institution d'essence bonapartiste qui, ne l'oublions pas, comprend en son sein de hauts fonctionnaires qui font des allers-retours incessants entre l'administration et le Palais-Royal. Dans ces conditions, comment penser que le Conseil d'État est aujourd'hui le plus légitime à rendre justice au nom du peuple français lorsque celui-ci a des différends avec l'État ? Comment défendre l'idée que le Conseil d'État défend l'intérêt général alors que sa dépendance au Gouvernement n'a jamais semblé aussi grande ? C'est une question démocratique majeure que nous devons mettre sur la table, singulièrement au moment où les lois d'exception entrent dans le droit commun malgré l'opposition tenace des députés communistes.
J'en viens maintenant au Conseil constitutionnel, qui voit son budget augmenter de 4 millions d'euros en 2022, soit une hausse de 33 %. Cette augmentation se justifie d'abord par le contrôle de l'élection présidentielle – l'histoire a montré qu'il valait mieux contrôler les choses –, confié aux sages dont la mission avait coûté 1,5 million d'euros lors du précédent exercice en 2017. De plus, comme l'a souhaité Laurent Fabius, l'institution est en passe de déployer son portail numérique sur les questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), afin de mieux suivre les décisions et d'informer les avocats sur cette procédure. Doit-on pour autant se satisfaire d'une augmentation qui laisse le Conseil constitutionnel, une fois encore, au milieu du gué ? Si, en 1958, le général de Gaulle avait volontairement imaginé le Conseil comme une institution marginale de la nouvelle Constitution, personne ne peut nier l'importance considérable qu'il a prise aujourd'hui dans notre vie politique.
Devenu une institution politico-juridictionnelle au cœur de l'État de droit et sollicitée – nous l'avons vu en juillet – de manière exponentielle, il ressemble de plus en plus à une Cour suprême qui ne dirait pas son nom, à une Cour suprême sans moyens adéquats et ne disposant pas de toutes les compétences nécessaires à son rôle. Compte tenu de cette transformation progressive, personne ne peut plus se satisfaire de l'actuel mode de nomination de ses membres, lesquels sont essentiellement d'anciens responsables politiques ainsi récompensés de services rendus à la nation. Faute de temps, j'en resterai là, mais vous aurez compris que ces questions demeurent cruciales : si elles ne trouvent pas rapidement une expression politique et budgétaire, il nous deviendra impossible de faire vivre notre idéal démocratique.