Pour la douzième fois depuis un an et demi, les membres de l'Assemblée montrent leur capacité à répondre « présents » malgré l'urgence de la situation. Depuis un an et demi, les groupes socialistes à l'Assemblée et au Sénat se mobilisent pour que les libertés publiques soient préservées autant que possible ; pour que les moyens du Gouvernement pour lutter contre l'épidémie soient à la fois suffisants et bien encadrés ; pour que le rôle du Parlement soit respecté.
Nous ne sommes pas en train de parler du fond du projet de loi : nous n'avons même pas la possibilité de l'évoquer tant la forme pose de graves problèmes. Ce constat est unanime dans tous les rangs de l'opposition, à l'Assemblée comme au Sénat. Pourtant, vous avez décidé de rétablir le texte adopté en première lecture. Quand je vous entends parler de texte équilibré, monsieur le rapporteur, je vous avoue avoir l'impression que nous n'avons pas assisté aux mêmes débats. Est-ce à dire que seuls les 300 parlementaires de la majorité auraient raison ? Est-ce à dire qu'ils sont les seuls, monsieur Vigier, à se soucier de la santé de nos concitoyens et de l'état du pays ? Les 600 autres n'en auraient donc que faire ? En première lecture, ce texte a été adopté à une très courte majorité ; il a été l'objet d'une contestation unanime allant des bancs de la gauche à ceux de la droite.
Je suis sidérée par votre obstination, sidérée de voir le Gouvernement déterminé à retenir la date du 31 juillet 2022 pour la sortie de l'état d'urgence. Je vous repose une nouvelle fois la question : pourquoi faudrait-il prolonger si longtemps l'état d'exception, de surcroît en enjambant des échéances électorales essentielles pour le pays ? Les explications manquent et vos arguments ne persuadent pas grand monde – même des membres de la majorité sont sceptiques. Nous sommes attachés à l'équilibre des pouvoirs et à notre fonction de contrôle de l'action du Gouvernement. Je suis consternée de vous voir ainsi abdiquer en accordant au Gouvernement un blanc-seing en matière d'état d'urgence sanitaire et de gestion de la crise.
Chers collègues de la majorité, notre chambre n'est pas là pour ratifier la volonté du Gouvernement. Les parlementaires de l'opposition à l'Assemblée nationale et de la majorité au Sénat vous ont proposé d'autres solutions. Le Sénat a même présenté un contre-projet faisant consensus au sein de cette assemblée : il respecte le rôle de contrôle du Parlement, en prévoyant une durée de prorogation des régimes d'exception qui nous permettra d'examiner leur pertinence à la fin du mois de février ; il propose un meilleur encadrement des outils de gestion de la crise sanitaire eu égard à la circulation virale et au taux de vaccination ; il est proportionné. Mais, encore une fois, vous décidez seuls sans écouter nos propositions, ni même les mises en garde formulées sur vos propres bancs. Nous nous opposerons donc au projet de loi en l'état.
La covid-19 fait désormais partie de notre quotidien. Si nous devons apprendre à vivre durablement avec le virus – c'est ce qui se passe depuis dix-huit mois –, nous devons le faire sous un régime de droit commun. Nous ne pouvons prolonger durablement un régime d'exception contraire à l'État de droit et qui banalise complètement le régime d'état d'urgence.
Nous saisirons le Conseil constitutionnel afin de contester la prorogation de dispositifs dérogatoires du droit commun au-delà de la période électorale à venir. Il est ubuesque que le Gouvernement nous demande aujourd'hui un blanc-seing pour une nouvelle période de huit mois.
Nous le saisirons également sur les dispositions concernant le contrôle du statut vaccinal des élèves par les directeurs d'école. Elles ne pourraient se justifier que si la vaccination était rendue obligatoire, mais vous avez affirmé à plusieurs reprises que vous ne le souhaitiez pas. Les directeurs d'établissement s'opposent à cette mesure sur laquelle ils n'ont pas été consultés. Ne vous en déplaise, il s'agit d'une violation inacceptable du secret médical. En outre, il ne devrait pas incomber à la communauté éducative, déjà très éprouvée, d'effectuer un contrôle susceptible d'introduire une forme de discrimination à l'école.
Pour toutes ces raisons, nous nous opposerons à la prorogation de ce triple état d'exception et nous proposerons que le Parlement examine à nouveau sa pertinence avant la suspension de nos travaux.