Intervention de Pierre Dharréville

Séance en hémicycle du jeudi 4 novembre 2021 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Santé ; solidarité insertion et égalité des chances

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Dharréville, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales :

Pour des raisons que vous comprendrez, mon propos se concentrera sur la mission "Solidarité, insertion et égalité des chances" , qui concerne effectivement la solidarité et l'accès aux droits, en somme la réduction des inégalités. Et force est de constater qu'il s'agit d'un bien maigre budget pour corriger les conséquences de votre politique qui est, de surcroît, vouée à les accroître.

Il faudrait s'attaquer aux causes, à ce capitalisme prédateur, à cette finance cupide, à ce marché vorace. Il faudrait renoncer aux mauvaises réformes qui abîment les services publics, ferments d'égalité des droits, à ces réformes qui nuisent à la sécurité sociale ou étiolent l'assurance chômage. Vous avez beau jeu de vous présenter devant nous pour parler de lutte contre la pauvreté, alors que la réforme de l'assurance chômage va elle-même renforcer le phénomène : selon l'UNEDIC, plus de 1 million de demandeurs d'emploi verront leurs indemnités baisser, parfois considérablement.

Les crédits du programme 304 Inclusion sociale et protection des personnes ont été augmentés. Mais, comparativement à l'augmentation de la précarité et de la pauvreté, c'est insuffisant. La réalité est alarmante : d'après la dernière étude du baromètre de la pauvreté Ipsos-Secours populaire 2021, près d'un tiers de la population rencontre des difficultés pour payer son loyer ou rembourser un prêt. Et l'inflation qui se développe entraînera des effets supplémentaires : déjà 7 à 8 millions de personnes, soit plus de 10 % de la population, font aujourd'hui appel à l'aide alimentaire. Dans mon département des Bouches-du-Rhône, le volume des produits alimentaires distribués a bondi de 20 % depuis le début de la pandémie et le collectif Alerte PACA s'alarme de constater que l'ultraprécarité, déjà implantée, a continué de se développer en 2020. Dans certains secteurs, les demandes d'aide alimentaire ont augmenté de 100 %. Alerte PACA enjoint de s'attaquer aux causes du problème, et de soutenir les actions immédiates.

Si l'expérimentation lancée en Seine-Saint-Denis répond enfin à une revendication exprimée de longue date, je ne m'explique pas la baisse des crédits consacrés au RSA en Guyane, à Mayotte et à La Réunion. Nous nous interrogeons également sur le RSA jeune actif, dont ne bénéficient que 3 000 personnes : il pourrait sans doute aider des jeunes qui n'entrent pas dans le cadre de la garantie jeunes, ni du très fumeux contrat d'engagement – que nous venons d'adopter, et dont nous ne savons pas tout.

Au-delà, les deux principaux programmes budgétaires de la mission résident dans l'allocation aux adultes handicapés, pour 15 milliards d'euros, et la prime d'activité, pour 12 milliards. Le montant de l'AAH a certes été augmenté ces dernières années – décision bienvenue –, mais cette dynamique s'est interrompue ; elle devrait être poursuivie, de sorte que l'AAH ne reste pas inférieure au seuil de pauvreté. Par ailleurs, vous ne serez pas surpris de m'entendre insister sur la nécessité impérieuse de déconjugaliser l'AAH : ce serait une mesure de dignité, de justice et de reconnaissance la plus élémentaire – exigences auxquelles vous ne répondez pas, préférant inventer des échappatoires. Vous aurez l'occasion de répondre à cette revendication largement partagée le 2 décembre, lors de la journée d'initiative parlementaire du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.

Pour ce qui est de la prime d'activité, qui s'ajoute à une exonération quasi totale des cotisations patronales sur les rémunérations les plus modestes, elle pérennise la pratique des bas salaires subventionnés par l'État – lequel se substitue aux responsabilités des entreprises. Ce ne peut être une solution de long terme : elle créerait une sorte de dépendance et n'encouragerait pas à augmenter les salaires, bien que ce soit nécessaire. Il faut prendre à bras-le-corps la question du pouvoir d'achat, c'est-à-dire des salaires et des traitements ; malheureusement, vos mesures confirment que vous vous y refusez.

J'évoquerai par ailleurs les mineurs non accompagnés. Dans l'action 17 Protection et accompagnement des enfants, des jeunes et des familles vulnérables, le dispositif destiné à ces mineurs est raboté de 27 millions d'euros : cela traduit votre pari que l'extrême durcissement des mesures de contrôle de la minorité porte des fruits budgétaires. Selon Médecins du monde, pourtant, 70 % des jeunes concernés se voient refuser une prise en charge, au motif qu'ils ne seraient pas mineurs ou isolés – ce faisant, on ne règle en rien leur situation de détresse. La France se grandirait à les considérer autrement.

Concernant, enfin, le plan « 1 000 premiers jours », la création d'une application mobile est certes bienvenue, mais elle ne peut remplacer une caisse d'allocations familiales (CAF) à plat, dont les effectifs baissent alors que le besoin d'accompagnement humain, lui, n'a pas diminué.

En conclusion, cette mission budgétaire ne saurait suffire à réparer tous les dégâts que causent l'ensemble des autres missions réunies.

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