Intervention de Rémi Quirion

Réunion du jeudi 7 décembre 2017 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec :

Merci beaucoup, M. le président, pour cette invitation. C'est vraiment un plaisir d'être avec vous ce matin.

J'ai effectué la majorité de ma carrière à l'université McGill, dans le domaine des neurosciences. J'y ai mené des recherches sur le cerveau, et plus précisément sur la dépression, le suicide, la schizophrénie, la maladie d'Alzheimer. Cela m'a offert la chance de côtoyer des étudiants du monde entier, dont certains venant de France, et j'ai trouvé très stimulant de travailler avec toutes ces personnes au cours des trente dernières années. En bout de piste, j'ai été nommé membre du comité scientifique international pour le plan Alzheimer France, auquel je contribue toujours et qui se réunit deux fois par an.

Avant d'échanger avec vous, je souhaiterais vous donner quelques éléments d'information sur le rôle du scientifique en chef du Québec et sur les Fonds de recherche, puis terminer, pour faire le lien avec la deuxième partie de votre réunion, par quelques réflexions autour de la question de l'intelligence artificielle.

Le poste de scientifique en chef a été créé voici près de sept ans par le gouvernement du Québec. J'en suis le premier titulaire. Mon mandat est de conseiller le ou la ministre de l'économie, de la science et de l'innovation en matière de développement de la recherche et de l'innovation au Québec. Mon activité s'effectue donc du côté des élus, non des fonctionnaires. Ma ministre, Mme Dominique Anglade, est également vice-première ministre du Québec. Le lien est particulièrement étroit avec ce ministère, mais je noue de plus en plus de partenariats avec tous les ministères du gouvernement du Québec et travaille en interaction avec le bureau du Premier ministre actuel, M. Philippe Couillard, neurochirurgien de formation, que je connais de longue date puisque nous avons fréquenté la même université et avons eu l'opportunité de travailler ensemble bien avant qu'il entre en politique. Il est certain que lorsqu'il s'agit d'avoir avec un gouvernement des discussions relatives à la recherche et à l'innovation, le fait d'avoir un Premier ministre neurochirurgien peut aider.

Une autre de mes missions importantes concerne les partenariats internationaux de recherche. Par exemple, j'étais à Rome cette semaine pour explorer des partenariats à l'international avec l'Italie. Le Québec, s'il dispose d'un territoire très vaste, est un pays relativement peu peuplé puisqu'il ne compte qu'environ huit millions d'habitants. C'est, en quelque sorte, la banlieue de New-York ou de Shanghai. Si l'on veut augmenter l'impact de ce que l'on fait, il convient donc de travailler en réseau, en collaborant avec des collègues aux États-Unis, bien évidemment, mais également de plus en plus en Europe.

Au Québec, les universités sont très souvent organisées en facultés disciplinaires et en départements (biochimie, chimie, etc.). Une autre de nos missions est de développer la recherche intersectorielle, pour faire face aux grands défis de société, largement partagés à travers le monde. On pense, par exemple, aux changements démographiques, avec le vieillissement des populations. Le Québec est le deuxième État au monde en termes de moyenne d'âge de sa population, le pays le plus âgé étant le Japon. Les autres provinces canadiennes sont un peu plus jeunes. Cela n'est pas uniquement négatif mais représente un défi : il s'agit de voir comment développer de nouvelles façons de vieillir en santé. Or cela ne relève pas uniquement du champ de la médecine mais a des implications en termes d'art, de culture, de nouvelles technologies qui permettent de rester à la maison plus longtemps. Les changements climatiques et le développement durable sont également des enjeux importants, qui requièrent les regards d'experts en océanographie, en santé, en sciences sociales, etc.

Il nous appartient en outre de promouvoir les carrières en recherche pour les jeunes Québécois et les jeunes étrangers qui viennent faire leurs études dans notre réseau universitaire.

Par ailleurs, nous avons pour mission de promouvoir auprès du grand public la culture scientifique, en travaillant avec la société civile pour expliquer la méthode scientifique, sans toutefois entrer dans le détail des résultats. Cela nous semble de plus en plus important, dans un monde de faits alternatifs et de fausses nouvelles.

Particularité du modèle québécois, je préside les conseils d'administration et dirige les trois Fonds de recherche du Québec : le premier dans le domaine de la santé, le deuxième dans le secteur du génie des sciences pures et le troisième dans le champ des sciences humaine et sociales, des arts et de la culture. Le mandat qui m'est confié est donc assez vaste. Toutefois, je bénéficie énormément de l'apport des membres des trois conseils d'administration (environ 15 membres par conseil), experts dans différentes disciplines. Cela me permet, lorsque je reçois des demandes de ma ministre de tutelle ou de collègues, d'y répondre rapidement.

J'ai beaucoup appris en un peu plus de six années au poste de scientifique en chef. Par exemple, j'ai connu, au cours de cette période, trois gouvernements et six ministres différents : l'une des clés est d'établir un lien de confiance avec les élus et les hauts fonctionnaires, qui ne passe pas nécessairement par la rédaction de longs rapports mais, bien souvent, par des contacts téléphoniques et une réactivité face aux demandes exprimées et aux questions posées.

Il est également important de ne pas oublier que mon rôle est celui d'un conseiller du gouvernement du Québec : il m'appartient donc de fournir au gouvernement des données probantes, sur la base de la science, de formuler des recommandations mais pas de décider. C'est le politique qui décide au bout du compte. Il ne faut pas l'oublier.

Il est en outre très important pour moi de comprendre l'environnement du décideur, dont la science n'est que l'un des aspects. Il faut également considérer d'autres données, en lien avec la réalité du monde politique.

Par ailleurs, il est essentiel de bien comprendre le processus de décision politique. Très souvent, en milieu académique, on rédige de longs rapports, des articles scientifiques, des demandes de subventions, qui impliquent de nombreux aller-retours, sur des mois : le processus est souvent très long. Or, aujourd'hui, lorsque la ministre m'appelle, elle a besoin d'avoir les informations qu'elle demande très rapidement, afin de pouvoir prendre une décision dans les heures suivantes. Les temps de réaction sont donc très différents.

Il est évident que l'on ne peut agir en vase clos : il est donc très important d'avoir un réseau d'appui au niveau du gouvernement, ce qui se passe relativement bien.

Il est aussi important de bien expliquer les raisons pour lesquelles on propose telle ou telle solution plutôt que telle autre : il ne faut pas laisser les faits parler d'eux-mêmes. Il est essentiel de bien communiquer le message.

Maintenir sa crédibilité scientifique apparaît également comme un élément clé auprès des élus comme des chercheurs. Il est fondamental de garder une crédibilité forte dans tous les secteurs et pas uniquement, en ce qui me concerne, dans le domaine des neurosciences, afin d'avoir l'appui de la communauté scientifique.

Il faut adopter une vision transversale et, par-dessus tout, faire preuve de résilience puisque, comme je vous l'indiquais, nous avons changé de gouvernement et de ministre de tutelle assez souvent. L'avantage de ce poste est de ne pas être associé à un gouvernement donné et de s'inscrire dans la durée, contrairement au poste de conseiller scientifique du gouvernement américain, qui est associé au président et change avec lui ou est supprimé.

Très souvent, les collègues du ministère des finances veulent des données pour pouvoir mesurer l'impact économique des investissements en recherche et innovation. En collaboration avec la filiale québécoise KPMG, nous avons ainsi mené une étude pour évaluer les retombées économiques d'investissements en recherche académique au Québec. Cette étude a montré que cela était équivalent, en termes de nombre d'emplois, au secteur des sciences de la vie (privé et public) et de l'aéronautique. Le retour sur investissement est donc très important, en plus de fournir des personnes de très haut niveau pour s'assurer d'une société du savoir de demain.

Plusieurs indicateurs quantitatifs sont utilisés. Le pourcentage du PIB consacré à la recherche et innovation est, au Québec, de l'ordre de 2,6 %. On visait 3 % mais le niveau a baissé depuis quelques années. Il n'empêche qu'au Canada, le Québec occupe la première place en termes d'investissements en recherche et innovation, la moyenne canadienne se situant à 1,9 %.

D'autres types d'activités de recherche sont facilement quantifiables, comme les brevets, les publications, etc.

Au Québec, nous avons, en outre, fait le choix de développer des programmes complémentaires aux programmes fédéraux : cela fait effet de levier et est un bon argument pour le ministère des finances.

Mais ces données ne rendent pas suffisamment justice à l'impact réel de la recherche dans la société. Certes les indicateurs quantitatifs sont nécessaires, mais nous avons aussi besoin d'histoires. J'assimile ainsi souvent les chercheurs à des conteurs. Imaginons, par exemple, qu'un député me demande de lui expliquer ce qu'apporte la recherche à son comté : je peux lui parler de la qualité de l'eau d'une rivière, de certains éléments de santé, de l'exploration minière ou de la préservation de l'environnement. Il est important de pouvoir disposer d'exemples très pratiques, concrets et probants de l'impact de la recherche sur l'ensemble du territoire québécois. Les chiffres sont importants mais il est aussi essentiel de pouvoir mettre tout cela en mots, surtout dans une période pré-électorale, comme c'est le cas actuellement.

Nous essayons par ailleurs de travailler avec les élus de tous les partis, de les informer régulièrement sur les activités scientifiques, notamment lors de petits déjeuners à l'Assemblée nationale du Québec. En général, deux chercheurs y sont invités à présenter leurs travaux en quatre à cinq minutes. Récemment, nous avons organisé une séance sur la recherche dans le grand nord québécois, avec la présentation de travaux en géologie et de leurs impacts sur la société. L'exercice est souvent assez difficile pour les chercheurs, habitués à donner de longues conférences, mais cela fonctionne très bien. De plus en plus de députés de tous les partis assistent à ces rendez-vous. Les informations aux élus passent également par le site web du scientifique en chef. Nous organisons aussi des rencontres avec le milieu politique : dans mon mandat à l'international, je participe de plus en plus à différentes missions du Premier ministre du Québec ou de certains ministères (dont le ministère des relations internationales et de la francophonie).

Pour ce qui est de la sensibilisation du grand public, nous travaillons avec les médias, notamment avec les médias sociaux. Par exemple, nous développons, avec l'agence Science Presse, un projet intitulé « Détecteur de rumeurs » qui permet, toutes les semaines, de mettre l'accent sur deux fausses nouvelles parues dans la presse. Il arrive, en effet, que certaines découvertes soient survendues : on lit régulièrement dans la presse que telle molécule va rapidement permettre de guérir Alzheimer ou telle autre maladie. Ce Détecteur de rumeurs nous permet d'insister sur la réalité du processus scientifique, les certitudes, les incertitudes. Le grand public est très friand de ce genre d'information. Ce programme est développé en collaboration avec les Fonds de recherche du Québec, l'Agence Science Presse et l'ensemble du réseau universitaire québécois.

Je souhaiterais à présent citer deux exemples dans lesquels les données probantes ont bien fonctionné pour l'un, moins bien pour l'autre. Le premier concerne la pêche hivernale. Des études de chercheurs dans le domaine montraient les risques liés à l'utilisation de poissons-appâts vivants, car il s'agissait souvent de carpes-roseaux extrêmement envahissantes. Sur la base de ces travaux, nous avons fait une proposition au ministère des forêts, de la faune et des parcs en vue d'interdire l'utilisation de ces appâts, dans le but de contrôler la prolifération de ces carpes. Notre préconisation a été suivie par le gouvernement du Québec même si cela a, bien sûr, eu un impact, en termes de tourisme, sur la pêche sportive.

Dans le deuxième exemple, notre proposition n'a pas reçu un accueil aussi favorable. Il s'agissait de protéger la migration des caribous dans le nord du Québec, par rapport à l'exploration forestière. Nous avions suggéré d'utiliser un chemin forestier comme voie alternative aux chemins prévus initialement par la compagnie qui souhaitait exploiter les forêts dans le grand nord. Finalement, notre proposition a été rejetée pour des raisons économiques.

Ainsi, si les données scientifiques sont importantes, les élus doivent aussi tenir compte d'autres types de données et paramètres. Je pense toutefois qu'il est toujours aidant, pour la prise de décision, de disposer de données probantes.

En résumé, après six ans comme scientifique en chef, il faut se rappeler que mon rôle est, avant tout, celui d'un conseiller et que la confiance est l'élément essentiel, à tous les niveaux : avec les élus, la haute fonction publique, la communauté scientifique et la société civile. Les données probantes et les évidences scientifiques sont également d'une grande importance : elles ne sont cependant que l'un des aspects du processus de décision politique. Les histoires à succès sont aussi très importantes. Enfin, je dirais que ce poste nécessite, par-dessus tout, d'avoir une grande capacité de résilience et de prendre du plaisir dans ce que l'on fait. J'apprends chaque jour des choses nouvelles : c'est l'une des raisons pour lesquelles j'apprécie particulièrement cette fonction.

Je dirige par ailleurs les trois Fonds de recherche du Québec. Nous finançons ainsi l'excellence de la relève, c'est-à-dire les jeunes chercheurs, dans différents secteurs, avec trois domaines prioritaires : le vieillissement, le climat et la créativité, l'esprit d'entrepreneuriat. Nous venons ainsi de lancer un programme intitulé « Audace », dans lequel nous demandons aux chercheurs de nous faire des propositions audacieuses, impliquant de l'expertise dans au moins deux ou trois disciplines, afin de trouver de nouvelles solutions à nos grands défis de société. Je prends souvent, pour illustrer cela, l'exemple du base-ball : on ne veut pas nécessairement toujours aller du premier au deuxième but mais disposer, parfois, d'un coupe-circuit. Maintenant, les taux de succès en sciences dans les programmes sont tellement faibles que l'on prend de moins en moins de risques. Je pense donc qu'il faut essayer de réveiller cette capacité d'audace.

Nous sommes actuellement en pleine phase de planification stratégique pour nos trois Fonds de recherche. Nous avons, pour cela, consulté les partenaires habituels (ministères, recteurs et présidents d'université, chercheurs, étudiants-chercheurs) ainsi que la société civile. Nous avons interrogé le grand public pour connaître son opinion sur les études qu'il penserait intéressant de mener sur le vieillissement, le climat et autres, et avons recueilli des propositions absolument exceptionnelles, en provenance notamment de régions du Québec n'abritant même pas d'université. Nous développons de plus en plus cette démarche consistant à aller chercher des suggestions auprès de la population, à solliciter la participation du grand public. Cet aspect me semble très important.

Je souhaiterais maintenant faire le lien avec la suite de cette matinée, au cours de laquelle vous allez évoquer, avec Cédric Villani, la question de l'intelligence artificielle. Depuis deux ou trois ans, Montréal est un pôle internationalement reconnu pour les recherches en matière d'intelligence artificielle et d'apprentissage profond grâce, notamment, à l'équipe de recherche menée par Yoshua Bengio. Cela a attiré l'attention de nombreux investisseurs privés dont Google, Amazon et Facebook et suscité le lancement de start-up comme MILA et Element AI. Le secteur est en plein essor et draine beaucoup de ressources. Par exemple, le gouvernement fédéral investit de façon importante dans le domaine, tout comme le gouvernement du Québec. Nous manquons d'ailleurs de personnel : des compagnies comme Element AI recrutent, par exemple, dix nouveaux employés par semaine, de niveau PhD, dont la très grande majorité ne viennent pas du Canada mais sont des jeunes issus du monde entier.

Cela est très stimulant mais pose de nombreux défis : il s'agit par exemple de recruter les meilleurs cerveaux et talents et de savoir les garder à long terme, sachant que la compétition est féroce avec les régions de San Francisco, Boston et Seattle. Il convient également de s'assurer de la viabilité du secteur universitaire : les jeunes reçoivent en effet des offres tellement fortes des entreprises qu'ils sont tentés d'aller dans le secteur privé très rapidement avant même, parfois, d'avoir obtenu leur diplôme. Il faut donc envisager la manière de s'adapter au mieux à cette réalité. Enfin, dernier élément d'importance, l'appréciation des impacts de l'intelligence artificielle et du numérique sur notre société : cela va, en effet, sans aucun doute, modifier considérablement nos façons de faire, en droit, en sécurité publique et en santé. Il faut donc préparer la future génération de travailleurs à la réalité de l'intelligence artificielle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.