Intervention de Cédric Villani

Réunion du jeudi 7 décembre 2017 à 9h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCédric Villani, député, premier vice-président de l'Office :

Merci beaucoup, cher Rémi, pour cette belle présentation, dont j'avais eu un avant-goût lors de notre discussion d'hier. Je dois avouer que je suis assez admiratif de nombre d'éléments de cet exposé, à commencer par le fait qu'un scientifique avec une carrière du plus haut niveau comme la tienne accepte de consacrer autant de temps à des questions à l'interface entre science et politique, avec les implications que cela peut avoir sur sa vie de recherche mais aussi avec la satisfaction d'apprendre beaucoup de choses, d'être en contact permanent avec l'interface science-société et d'avoir un réel impact.

Par ailleurs, on sait que le contact entre science et politique n'est jamais simple et peut prendre des formes très variées d'un pays à l'autre. Vous avez mis au point un modèle dans lequel il existe une confiance remarquable, avec une nomination pour une longue durée, une possibilité de contrôle et d'influence réellement importante sur les fonds et les politiques. Nous n'avons rien d'équivalent en France. Le constat est cruel pour nous lorsque l'on considère nos institutions de contact entre science et politique, dont le niveau d'influence n'est pas du tout à la hauteur. Nous avons l'ambition que cet Office parlementaire, jouissant d'une histoire prestigieuse et de productions de belle qualité, gagne en possibilité d'influence. Quant aux autres organismes censés assurer cette interface, le bilan n'est pas brillant, notamment pour ce qui concerne le Conseil stratégique de la recherche, placé sous l'autorité directe du Premier ministre mais qui n'a, je pense, pas été réuni depuis deux ans et n'a, de ce fait, plus aucun rôle.

Depuis longtemps se pose, en France la question de savoir s'il serait intéressant d'avoir un conseiller en chef, sur le modèle du chief science advisor du monde anglo-saxon, dont le plus célèbre au plan international était sans conteste, jusqu'à récemment, le conseiller du président des États-Unis, sachant que ce poste, après avoir été très important pendant une quarantaine d'années, n'a pas été renouvelé par le président Trump, dans le cadre d'une révolution administrative qui a laissé sceptiques les scientifiques du monde entier. Il n'est prévu ni dans notre Constitution ni dans nos règles que le système français puisse se doter d'un tel organe. On voit toutefois, à l'international, que cela fonctionne plutôt bien quand on arrive à le mettre en place. Un chef de gouvernement a souvent besoin, pour être éclairé dans son action, d'une présence permanente, de conseils, de réactivité au quotidien plus que d'un conseil scientifique consultable à intervalles assez longs. Il y a une articulation à trouver entre le temps court du politique et le temps long du scientifique. Le fait d'avoir une personne bénéficiant d'une légitimité scientifique et ayant la disponibilité nécessaire pour être aux côtés du monde politique et réagir rapidement est un atout. J'ai eu, à ce propos, de nombreuses discussions avec Sir Peter Gluckman, qui joue ce rôle de chief science advisor auprès du gouvernement néo-zélandais et est reconnu en quelque sorte comme l'autorité internationale en matière de construction d'interfaces entre science et politique. Au moment où j'avais rédigé, voici quelques mois, le document de prospective sur les possibles évolutions de l'OPECST, j'avais pris en compte son avis. La présence, aujourd'hui, de notre collègue Rémi Quirion et les bonnes nouvelles qu'il nous montre doivent nous inciter à réfléchir à la façon dont nous pouvons faire évoluer nos institutions.

Je souhaiterais enfin exprimer mon admiration devant l'évolution récente du Canada, et du Québec en particulier, sur le sujet de l'intelligence artificielle. En quelques années, le Canada s'est placé sur la carte internationale des endroits les plus « chauds » en matière d'intelligence artificielle, a réussi à mettre sur la table des centaines de millions de dollars provenant d'investissements publics et privés et attire de façon importante. Cela s'est fait grâce à une combinaison de talents, une articulation entre monde scientifique et secteur de l'entreprise mais aussi par l'image. Nous avons bien vu, dans ta présentation, l'importance que tu accordes aux questions de communication, de mise en récit et d'images. Lorsque nous avons mené des auditions sur l'intelligence artificielle et rencontré des collègues québécois, comme Denis Terrien qui fait partie de cette aventure du deap learning autour de Yoshua Bengio, nous avons été frappés de constater à quel point l'image véhiculée avait été importante pour attirer des fonds. Elle est celle d'un écosystème scientifique autour de l'intelligence artificielle à la fois libre, plein d'énergie, sans peur, sans contrainte, et en même temps avec l'objectif de servir le bien public, travaillant en coopération avec les universités, c'est-à-dire, pour caricaturer, aussi libre que les États-Unis d'Amérique et aussi éthique et soucieux du bien public que l'Europe. Cela a été un réel succès et doit nous inspirer.

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