Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du mardi 19 décembre 2017 à 16h40
Commission des affaires européennes

Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je tiens tout d'abord à vous remercier de votre accueil et je me réjouis de vous retrouver pour cet échange après le Conseil européen des 14 et 15 décembre derniers. Outre le Brexit et la zone euro, discutés dans des formats spécifiques, cinq sujets thématiques principaux étaient à l'agenda : les migrations, la défense, le social, l'éducation, la culture et le climat. Je reviendrai aussi sur les questions internationales discutées jeudi soir lors du dîner des chefs d'État et de gouvernement, ainsi que sur la présentation par le Président de la République des consultations citoyennes.

La question politiquement la plus sensible de ces deux journées était le Brexit. Les chefs d'État et de gouvernement ont, comme le leur recommandait la Commission, estimé que les progrès effectués par les négociateurs étaient « suffisants » pour passer à la phase 2 des négociations.

Les droits des citoyens européens au Royaume-Uni – dont 300 000 Français – seront protégés : ils pourront continuer à résider, travailler, étudier comme aujourd'hui. Je précise que leurs qualifications professionnelles resteront reconnues, y compris pour les professions de santé comme les infirmières et les médecins. Ils auront accès aux soins de santé, à la retraite et aux prestations de sécurité sociale. Les droits de leurs proches sont aussi garantis : s'ils ne vivent pas au Royaume-Uni au moment du retrait, les membres de la famille des citoyens européens résidant au Royaume-Uni pourront rejoindre leurs proches dans le futur, leurs enfants seront protégés, y compris leurs enfants à naître. Il s'agissait principalement de veiller à ce que le plein respect de ces droits soit assuré. Les cours britanniques en seront chargées et devront prendre en compte la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), passée, présente et future. Elles pourront, pendant huit ans, poser des questions préjudicielles à la CJUE pour éviter des interprétations différentes de ces droits. Nous veillerons, dans la rédaction juridique de l'accord de retrait, qui sera soumis aux États membres, à offrir aux citoyens européens le maximum de garanties.

En ce qui concerne l'Irlande, la solution acceptée par le Conseil européen et soutenue par le Royaume-Uni, la Commission mais aussi l'Irlande est fondée sur le principe d'une absence de frontière physique sur l'île d'Irlande – c'est un point fondamental de l'accord du Vendredi Saint. Cela doit être concilié avec l'appartenance de l'Irlande au Marché unique. Pour ce faire, le Royaume Uni s'est engagé à ce que la question soit réglée dans le cadre de la relation future, à défaut par des solutions spécifiques concrètes sur le commerce des biens entre le Nord et le Sud de l'Irlande, ou encore, si cela ne suffit pas, par un « alignement » du Royaume-Uni sur les règles du marché intérieur et de l'union douanière nécessaires à la bonne coopération entre le Nord et le Sud de l'Irlande. Que ce soit lors de la rédaction de l'accord de retrait ou pour la définition du cadre futur des relations du Royaume Uni et de l'Union européenne, nous devrons être extrêmement vigilants pour faire respecter l'intégrité du marché intérieur et de l'union douanière.

Quant au règlement financier, le Royaume-Uni a finalement accepté de prendre en charge les dépenses qui lui reviennent : sa contribution aux budgets européens jusqu'en 2020, ce qu'on appelle les « reste à liquider », les passifs, ou encore la retraite des fonctionnaires. Ce résultat est très satisfaisant.

Sur la base de l'accord trouvé au Conseil européen, nous allons maintenant pouvoir négocier sur trois types de sujet. Ce sont, tout d'abord, les autres sujets liés au retrait, ce qui inclut des sujets aussi importants que les marchés publics, par exemple. Le deuxième type de sujet concerne la période de transition. Le Conseil européen a rappelé vendredi des principes clairs : pas de participation du Royaume-Uni aux institutions et à tous les organismes européens, mais application de toutes les règles européennes. La transition doit aussi être limitée dans le temps et non-reconductible. Le troisième type de sujet concerne la définition du cadre de nos relations futures, sachant que l'accord détaillé qui les définira ne pourra pas être prêt avant mars 2019. Un mandat de négociation révisé sera, comme nous le souhaitions, donné par le Conseil européen à Michel Barnier au mois de mars 2018.

Pour mener cette tâche à bien, il est indispensable que les Vingt-sept restent unis. Nous devons y prendre garde, les tentations seront bien plus fortes encore en phase 2. Il faudra impérativement que les États membres résistent à la tentation d'entrer dans des discussions bilatérales avec Londres sur certains aspects de la négociation. Alors, oui, je le confirme : le plus dur reste à venir.

Les chefs d'État et de gouvernement se sont également retrouvés en formation plénière zone euro, donc à 27, pour débattre du renforcement de l'Union économique et monétaire. La Commission a eu le grand mérite de nourrir le débat que le Président de la République avait lancé en présentant ses idées le 6 décembre. Nous voulons cependant aller plus loin. La discussion a permis tout d'abord de marquer la volonté des chefs d'État et de gouvernement d'achever l'union bancaire et de renforcer le mécanisme européen de stabilité pour que la zone euro ne puisse plus être prise au dépourvu par une crise financière. Les échanges ne pouvaient aboutir à une décision sur des projets encore plus ambitieux comme la mise en place d'une capacité budgétaire de la zone euro et les modifications institutionnelles que cela entraînerait, notamment pour en renforcer le contrôle démocratique. Comme vous le savez ces questions sont très sensibles pour certains États membres qui, comme l'Allemagne, cherchent à constituer une coalition ou, comme l'Italie, préparent de prochaines élections. Le Président de la République a cependant obtenu deux rendez-vous très importants : l'organisation d'un sommet de la zone euro au mois de mars et l'adoption d'une feuille de route commune au mois de juin 2018.

Quant aux thèmes discutés dans le cadre du Conseil européen à vingt-huit, avec la défense, nous avons matière à nous réjouir des progrès accomplis depuis le mois de décembre 2016, même si une attention de tous les instants reste bien entendu indispensable dans ces domaines, largement nouveaux pour l'Union européenne. Je pense au lancement de la coopération structurée permanente avec vingt-cinq États membres qui ont pris des engagements financiers, opérationnels et politiques assez ambitieux, mais aussi aux progrès de la négociation sur le programme de développement industriel pour la défense, qui préfigure le fonds européen de défense et doit pouvoir, très concrètement, comme l'a rappelé le Conseil européen, financer, sur le budget européen, des premiers projets dès 2019.

Il était important que le Conseil européen revienne sur le sommet sur le climat, le One Planet Summit, qui s'est tenu à Paris le 12 décembre dernier, et a souligné la nécessité de renforcer les financements publics et privés indispensables pour lutter contre le dérèglement climatique. L'enjeu était aussi de marquer la mobilisation de l'Union européenne pour faire appliquer l'accord de Paris dans le contexte créé par la décision de retrait de l'administration américaine et, de façon concrète, sa détermination à conclure rapidement la négociation du paquet énergie-climat 2030 ambitieux que la Commission a proposé. Le Conseil européen s'est exprimé en ce sens et, je le souligne, car cela n'avait rien d'évident ni d'automatique, grâce à un projet d'amendement franco-polonais, la Pologne accueillant l'année prochaine la vingt-quatrième conférence annuelle de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP24) à Katowice.

Sur les questions sociales, cette réunion du Conseil européen a permis de renforcer l'ambition d'une « convergence accrue » que nous nourrissons pour l'Union européenne, expression reprise dans les conclusions. C'est dans cet esprit que le Conseil européen a salué le « socle européen de droits sociaux » proclamé lors du sommet social qui s'est tenu à Göteborg du 17 novembre dernier et a demandé à la Commission de mettre en place un programme de contrôle de sa mise en oeuvre. C'est aussi dans cet esprit que le Président de la République a souligné au cours du débat l'importance de l'idée d'Autorité européenne du Travail, évoquée par le président Juncker dans son discours sur l'état de l'Union. La Commission travaille déjà à une proposition législative pour le printemps 2018. Le Conseil européen s'est engagé à revenir sur l'ensemble du programme de travail social de la Commission dès mars 2018. Cela étant, tempérons notre bel enthousiasme : un certain nombre de pays à l'Est de l'Europe, soucieux de leur compétitivité, sont réticents à la convergence sociale, un certain nombre de pays du Nord de l'Europe, très attentifs au respect du principe de subsidiarité, ne reconnaissent pas à l'Union européenne de compétence pour traiter d'un certain nombre de sujets. Nous devons poursuivre nos efforts sur ce point, car c'est ce que nos concitoyens attendent de l'Union européenne, mais pas forcément ce qu'elle est le plus habituée à traiter.

Dans le domaine de l'éducation et de la culture, les conclusions vont nous permettre d'avancer dans la direction fixée par le Président de la République. Le Conseil européen a invité les États membres à faire émerger, d'ici à 2024, une vingtaine d'« universités européennes », en constituant des réseaux d'universités de différents pays. Le travail va également porter sur la maîtrise par les étudiants de deux langues européennes et sur une reconnaissance mutuelle des diplômes du secondaire, dont nous souhaitons qu'elle s'inscrive dans ce que nous appelons un « processus de la Sorbonne » permettant la mobilité des jeunes en Europe et complétant le « processus de Bologne » qui existe pour l'enseignement supérieur. Enfin, l'idée d'un renforcement de la connaissance des langues européennes par les étudiants a été retenue.

Lors du dîner des chefs d'États et de gouvernement, le thème des migrations a donné lieu à des discussions parfois difficiles sur les relocalisations de personnes en besoin de protection depuis la Grèce et l'Italie vers les autres pays de l'Union européenne. Ce n'est pas une nouveauté. Les divergences sur ce point, déjà bien connues, ne doivent cependant pas masquer une grande convergence sur trois points : d'abord la nécessité d'accroître la mobilisation de l'Union européenne pour soutenir les pays d'origine et de transit, comme le fait la France, avec le sommet que nous avons organisé à propos du G5 Sahel le 13 décembre dernier ; ensuite, l'idée de disposer de moyens financiers accrus sur les migrations dans le cadre du prochain cadre financier pluriannuel (CFP) et d'un instrument financier spécifique au lieu de fonds ad hoc comme nous en créons jusqu'à présent ; enfin, la nécessité de trouver un accord sur le régime commun de l'asile au cours du premier semestre de l'année 2018. À propos des migrations, je relève tout de même que les quatre pays du groupe de Visegrád se sont engagés à verser 35 millions d'euros au fonds fiduciaire d'urgence – signe de solidarité nouveau et bienvenu, quoiqu'insuffisant.

Le Président de la République et la Chancelière allemande ont fait le point sur les discussions menées dans le format « Normandie » et sur la mise en oeuvre des accords de Minsk. Une discussion approfondie a eu lieu, à l'issue de laquelle le Conseil européen a décidé du principe d'un renouvellement des sanctions sectorielles à l'égard de la Russie, qui arrivent à échéance le 31 janvier 2018. Le Conseil des ministres adoptera des conclusions en ce sens dans quelques semaines. La discussion a également porté sur la reconnaissance par les États-Unis de Jérusalem comme capitale d'Israël et sur l'annonce du transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem. Il était important que le Conseil rappelle son attachement à la solution des deux États dans ses conclusions.

Enfin, le Président Macron a présenté les grands principes du projet de « consultations citoyennes » et a appelé les États membres et la Commission à y participer. Le travail va maintenant s'engager avec nos partenaires au plan technique dès le mois de janvier. Je ne reviens pas sur ce projet mais permettez-moi de saluer la qualité du travail effectué par Mme Gomez-Bassac et par le groupe de travail que l'Assemblée a constitué sur le sujet et que préside M. Herbillon.

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