Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du mardi 19 décembre 2017 à 16h40
Commission des affaires européennes

Nathalie Loiseau, ministre des affaires européennes :

Monsieur Mendes, sur l'Albanie et sa perspective européenne, le Président de la République en a clairement posé le principe pour les pays des Balkans occidentaux. Il faut l'affirmer sans ambiguïté dans la mesure où ces pays sont situés dans une partie du monde qui a connu des tensions et des conflits graves, et qui est aussi tentée par d'autres que l'Union européenne. Si l'Union européenne ne tend pas la main aux Balkans occidentaux, d'autres le feront, et sans doute aurons-nous des motifs de le regretter.

Cela étant, la perspective européenne est un processus exigeant en matière de réforme d'État de droit et de rapprochement de l'acquis communautaire. Il n'est pas question de fixer un délai artificiel et de se précipiter vers un élargissement alors que les pays candidats ne seraient pas prêts. Hier, l'Union européenne a ouvert deux nouveaux chapitres de négociations avec la Serbie et le Monténégro, qui ont progressé en direction de leur adhésion. Tel n'est pas le cas d'autres pays des Balkans occidentaux. Ce n'est pas faire de la discrimination que de le dire : nous devons à nos concitoyens et aux pays candidats d'être sérieux, lucides et cohérents dans notre approche. Rejoindre l'Union européenne est un processus extraordinairement exigeant. Nous serons vigilants sur les questions de lutte contre la corruption, la criminalité organisée et les trafics. Les pays des Balkans occidentaux le savent, et cela aide d'ailleurs les progressistes et les réformistes de ces États. Il ne faut donc pas baisser notre seuil d'exigence.

S'agissant de la question des relocalisations, nous n'avons cessé de dire que l'asile en Europe est un régime de responsabilité et de solidarité. C'est un régime de responsabilité pour les pays de première entrée, car ce sont eux qui doivent enregistrer les demandes de ceux qui se présentent sur leurs côtes ou à leurs portes. C'est un régime de solidarité car, en cas d'afflux massif de migrants, il est normal que l'ensemble des pays de l'Union européenne se montre solidaire. Il ne serait pas acceptable qu'un pays s'estime exclu de cette solidarité au motif, par exemple, qu'il n'a pas d'histoire coloniale – de tels propos ont été tenus par certains États. La décision prise en 2015 par le Conseil s'impose à tous, et les décisions déjà prises par la Cour de justice de l'Union européenne ou à venir devront être respectées.

Nous-mêmes nous sommes engagés à relocaliser 10 000 personnes en demande de protection. Nous tenons nos engagements s'agissant des demandeurs d'asile qui se trouvent en Grèce, et davantage que par le passé s'agissant de ceux qui se trouvent en Italie, lorsque nous sommes face à des personnes en besoin manifeste de protection. Le cas se présente davantage en Grèce qu'en Italie, où il y a beaucoup plus de migrants économiques illégaux.

Arriverons-nous à réformer le régime européen de l'asile ? Ce n'est pas la première fois que le Conseil réaffirme la nécessité de progresser. Le sujet a été débattu pendant le dîner, sans aboutir à une conclusion, notamment à la demande de pays en période de campagne électorale, comme l'Italie. Nous connaissons tous en effet l'utilisation qui peut être faite des questions migratoires par les uns ou les autres lors des campagnes électorales.

Le paquet asile progresse, mais de manière désordonnée. Ce n'est pas vraiment un paquet : des progrès ont été enregistrés sur certains sujets, et sur d'autres, tels que la révision du Règlement de Dublin, ils sont plus lents. Il faut continuer à avancer, engranger tous les progrès qui peuvent être faits et travailler, comme nous le faisons, à la dimension externe de la gestion des flux migratoires grâce à un meilleur contrôle des frontières extérieures de l'Union européenne, au renforcement du corps des gardes-frontières de l'Union européenne, et un travail beaucoup plus intense avec les pays d'origine et les pays de transit. C'est ce que nous faisons, c'est la fierté de la France d'avoir incité à cette accélération du processus de gestion de la dimension externe des flux migratoires.

S'agissant du Brexit, Monsieur Gollnisch, vous me demandez pourquoi ne pas négocier pays par pays avec le Royaume-Uni. Eh bien parce que ce n'est pas ce qui est prévu par l'article 50 du traité, et que ce n'est tout simplement pas notre intérêt. Le Royaume-Uni est peut-être tenté de diviser pour régner, mais les intérêts que nous avons à défendre, qu'il s'agisse de politique de la pêche, de politique agricole commune ou de politique de la recherche, sont communs à l'ensemble des États membres de l'Union européenne. Et nous serons plus forts pour peser dans la négociation à Vingt-sept, plutôt que vingt-sept fois un État membre qui tenterait de tirer la couverture vers lui.

Cela n'empêche pas des accords bilatéraux avec le Royaume-Uni : nous en avons, et un sommet bilatéral franco-britannique se tiendra le 18 janvier au Royaume-Uni. Nous veillerons à la préservation de nos intérêts bilatéraux, ainsi qu'à ce que la relation future du Royaume-Uni avec l'Union européenne soit très particulière, qu'elle soit celle d'un grand partenaire et pas n'importe lequel de nos partenaires. Mais cette relation sera différente de celle que les États membres ont entre eux. Il faut qu'il soit moins avantageux pour le Royaume-Uni d'être hors de l'Union européenne qu'à l'intérieur.

S'agissant des premiers projets de la coopération structurée permanente dans laquelle se sont engagés vingt-cinq des vingt-sept futurs États membres de l'Union européenne, à ce stade, ils sont au nombre de dix-sept. Nous sommes en tête de file sur plusieurs de ces projets, l'Allemagne ainsi que l'Italie le sont sur d'autres. Ces projets réunissent toujours plusieurs États membres. Il s'agit pour partie de projets de recherche sur certains matériels militaires, tel le développement de capacités de lutte contre les mines sous-marines. Il y a aussi des projets d'harmonisation de matériels et de procédures. Ainsi, la France est tête de file sur un projet d'utilisation de logiciels radio entre armées de l'Union européenne. Il s'agit également de projets capacitaires, à la fois sur le plan des matériels et des entraînements, de partage de renseignements et de planification entre les armées souhaitant travailler ensemble au sein de l'Union européenne, en particulier pour des opérations extérieures. Il en est ainsi par exemple au Mali. Nous devons progresser s'agissant du matériel que nous utilisons ensemble et des habitudes de travail de nos armées, pour mieux nous projeter à l'extérieur.

Madame Gomez-Bassac, vous avez évoqué les conventions démocratiques. Je vais vous contrarier, puisque nous les avons renommées « consultations citoyennes ». Certains États membres craignaient en effet que les conventions démocratiques soient le premier pas vers une révision des traités, et trouvaient donc la terminologie intimidante. En réalité, nous parlons bien de consultations citoyennes, autant les appeler par ce qu'elles sont. Elles ont été abordées par le Président lors du dîner le premier jour du Conseil européen. Nous avons envoyé aujourd'hui même une forme de cahier des charges aux États membres de l'Union européenne ; nous l'avions déjà adressé au président de la Commission et au président du Conseil, pour aller ensemble, d'un même pas, vers ces débats que nous souhaitons organiser dans les territoires des États membres volontaires entre le printemps et l'automne de l'année prochaine. Ne pas commencer avant à la fin du mois de mars permettra d'avoir comme partenaire un gouvernement allemand stable et un gouvernement italien renouvelé après les élections qui devraient se tenir début mars – il était évidemment important de passer ce cap électoral. Et terminer pour la fin octobre pour ne pas interférer avec la préparation des élections européennes. L'implication de la Commission sera celle qu'elle souhaitera. Nous aimerions qu'il y ait une phase aussi commune que possible entre les États membres participants. Elle peut se faire sous l'angle d'un questionnaire commun, qui serait mis en place par la Commission si elle le souhaite, d'un apport de la Commission à l'organisation de débats dans les États membres. Et lors de la phase de restitution, la Commission et le Conseil examineront ensemble ce qui sera remonté des débats dans les différents États membres.

Madame Hennion, sur les questions du numérique, de la cyber-sécurité et de l'intelligence artificielle, je n'entrerai pas dans le détail car toute cette audition n'y suffirait pas ! Pour faire simple, le Marché unique du numérique est une ambition forte et nécessaire que la présidence estonienne du deuxième semestre a vigoureusement portée. La révision de la directive sur les droits d'auteurs n'a pas totalement abouti. Un projet est préparé par la Commission, il comporte beaucoup de points positifs. Nous sommes très attentifs à la définition du partage de la valeur entre les auteurs, les éditeurs et les plateformes. Nous souhaitons pousser la notion de responsabilité des plateformes, nous n'y sommes pas encore totalement parvenus.

Le Règlement général sur la protection des données personnelles entrera en vigueur l'année prochaine, avec le projet de directive « e-privacy ». Nous sommes très attentifs à la notion de consentement de l'utilisateur, mais tout le monde n'est pas encore d'accord. Nous ne voulons pas faire remonter le consentement de l'utilisateur à l'utilisation de ses données uniquement au niveau des plateformes, car ce serait un cadeau en or aux grands acteurs du numérique, et autant de connaissance de leurs clients perdue pour les éditeurs en ligne. Le débat est ouvert, et nous y prenons une grande part.

Sur la cyber-sécurité, des propositions intéressantes ont été faites par la Commission, nous les examinons avec la satisfaction de constater que cela devient un sujet européen, ce qui est absolument nécessaire. Mais nous avons l'exigence que la convergence se fasse vers le haut. Un certain nombre d'États membres, dont la France, ont des pratiques exigeantes en matière de cyber-sécurité ; nous ne voudrions donc pas qu'une agence européenne vienne lisser nos exigences vers le bas sur la notion essentielle de certification. Nous en discutons avec la Commission et nous souhaitons vivement être entendus d'autant que beaucoup d'États membres partagent nos préoccupations.

Enfin, sur les questions liées à l'intelligence artificielle, sur lesquelles votre collègue Cédric Villani a été missionné – je l'ai rencontré ce matin même –, la Commission s'est engagée à fournir une communication au premier trimestre 2018. C'est, de notre point de vue, un sujet dont l'Union européenne doit s'emparer au plus vite. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous portons le projet d'Agence européenne de l'innovation de rupture, qui nous permettra de lever des investissements publics et privés considérables, nous plaçant à hauteur de nos grands partenaires mondiaux, dont les échelles d'investissement se situent à des niveaux dont les seuls États membres ne sont pas capables.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.