Merci pour ces nombreuses questions. J'espère que Mme Tanguy et M. Bourlanges ne m'en voudront pas si je leur réponds en même temps.
La période de transition doit être limitée dans le temps : elle ne doit pas excéder deux ans et Michel Barnier envisage même qu'elle soit un peu plus courte. Ce qui compte pendant cette période de transition, demandée par les Britanniques et dont le principe est examiné favorablement par les 27, est que le Royaume-Uni respecte l'ensemble des réglementations de l'Union européenne, actuelles et à venir, que son accès au marché intérieur et à l'union douanière soit conditionné à un respect entier des quatre libertés et que, dans le même temps, ce pays ne puisse plus participer au processus de décision au sein des instances de l'Union européenne, puisqu'il n'en est plus membre. Voilà les lignes directrices pour le travail sur cette période de transition, à partir du mois de janvier prochain.
S'agissant plus généralement du calendrier, nous n'avons pas perdu de vue l'idée initiale. Il s'agit toujours de traiter séparément l'accord de retrait, que Michel Barnier va commencer à négocier sur la base des progrès qualifiés de « suffisants » en ce qui concerne les trois principaux sujets, mais aussi sur la base des négociations qui se poursuivent sur des sujets annexes. L'objectif est que l'accord de retrait puisse être signé en octobre 2018. Il sera distinct de l'accord futur, qui prendra davantage de temps, que ce soit pour sa négociation, sa signature ou – plus encore – sa ratification. Il devra être ratifié dans chacun des États membres.
Est-on resté vague dans les domaines prioritaires où des progrès « suffisants » ont été attestés par le Conseil ? Ce n'est pas le cas de l'accord financier. On est d'accord sur le périmètre des engagements du Royaume-Uni et sur la méthode de calcul. Il n'avait jamais été question d'afficher un chiffre, pour des raisons qui sont notamment politiques. Le Royaume-Uni a peiné, dans la période antérieure au référendum, à admettre le principe qu'il y aurait un règlement financier, mais les Britanniques sont totalement venus sur le terrain qui est celui des exigences de l'Union européenne. Le flou qui peut subsister vaut pour l'ensemble des États membres. Chaque année, nous ne savons que tardivement quel sera le montant de notre prélèvement sur recettes – cela dépend des consommations de crédits au niveau européen et il n'est pas totalement possible de savoir jusqu'à quel point certains engagements seront effectivement exécutés. Il y a en revanche un plein accord sur le périmètre des engagements financiers du Royaume-Uni et sur la méthode de calcul. Je l'ai dit, et c'est un point de très forte satisfaction.
Vous avez raison en ce qui concerne l'Irlande. Dès le début, néanmoins, on avait du mal à envisager que la question irlandaise puisse être réglée indépendamment de l'accord futur, les deux sujets étant liés. Imaginons – ce n'est pas ce qui nous est dit aujourd'hui – que la position du gouvernement britannique sur l'accord futur soit de rester dans le marché intérieur et l'union douanière : ce serait extrêmement simple pour la relation entre le Nord et le Sud de l'île d'Irlande. On adaptera les contrôles sur les biens et les services en provenance du Royaume-Uni et vers la République d'Irlande en fonction de l'accord futur. Dès que j'ai pris mes fonctions, il a été clair pour moi que le sort de la frontière irlandaise se situait à cheval entre les conditions du retrait et les détails de l'accord futur.
En matière d'Europe sociale, vous avez compris, Madame Grandjean, que nous sommes au début de la prise de conscience des attentes des Européens. Le sommet de Göteborg a vu la proclamation d'un socle de droits sociaux, mais il n'y a aucun engagement juridique. C'est une première étape. Il faudra ensuite travailler sur un grand nombre de sujets et attendre de nos partenaires qu'ils soient prêts à sauter le pas. Beaucoup d'entre eux pensent que ces politiques correspondent à des compétences purement nationales. Des pays du Nord de l'Europe, considérant que leur modèle social est supérieur à la moyenne européenne, estiment qu'un travail européen ne ferait que dégrader leur situation. En réalité, ils figurent parmi les plus hostiles à ce que l'on légifère sur les questions sociales au niveau européen. De l'autre côté de la table, des pays de l'Est jugent que leur compétitivité est d'abord low cost et que la protection des travailleurs, quels qu'ils soient, est un enjeu de pays riche, qu'ils ne peuvent pas encore se permettre. Telle est la réalité du débat.
Vous avez raison : la question de l'inclusion par l'emploi est absolument prioritaire. La formation professionnelle et l'acquisition de compétences ont été traitées comme des sujets de préoccupation à Göteborg. On ne peut pas dire qu'il y ait dans l'Union européenne un pays qui soit davantage prêt que les autres à la transformation de sa main-d'oeuvre et à la montée en compétences en vue de nouveaux métiers. Nous avons beaucoup à faire et notre intérêt est d'avancer ensemble. Des dizaines de millions de travailleurs européens devront être formés à de nouveaux métiers.
Mme Deprez-Audebert s'est dite réservée sur les consultations citoyennes, ce que je regrette. C'est justement dans les territoires éloignés de l'Union européenne qu'il faut écouter : les consultations citoyennes consistent d'abord à écouter ce que nos concitoyens ont à dire de l'Europe et à porter une parole crédible sur l'ambition européenne, mais aussi critique sur les manques et ce que l'Europe n'a pas su traiter. Il faut aussi avoir le courage de dire que ce n'est pas l'Europe qui crée la mondialisation et la transformation technologique, mais qu'elle peut apporter des réponses. Je serais heureuse d'en parler avec vous, afin de voir comment essayer d'animer des débats dans des régions a priori rétives.
On doit commencer, en effet, dès le plus jeune âge. On a des moments d'inquiétude quand on regarde la manière dont la construction européenne est présentée aux collégiens et aux lycéens dans les manuels scolaires. J'en ai d'ailleurs parlé avec Jean-Michel Blanquer. Des idées existent, comme l'instauration d'une « journée de l'Europe » partout dans les classes. La question a été discutée au Conseil la semaine dernière : il a été dit que l'idée sera rejetée si elle vient des institutions européennes, mais je crois qu'il faut arrêter d'avoir l'Europe honteuse. On doit commencer par dégager les bases de ce qui nous rassemble, en mettant en évidence les raisons de ce projet et sa pertinence au XXIe siècle. C'est aussi l'idée qui anime le Président de la République quand il propose d'harmoniser les diplômes de l'enseignement secondaire et de donner à de jeunes lycéens la possibilité d'avoir une expérience en dehors de leur pays d'origine, afin de donner corps à l'ambition européenne.
La question de M. Anglade sur l'Autriche est évidemment au coeur de l'actualité. Ce pays s'est doté d'un gouvernement dont le contrat de coalition fait 183 pages. Je ne vous mentirai pas en prétendant l'avoir lu – mais je l'ai fait lire. Dès sa victoire, Sebastian Kurz a voulu rassurer ses partenaires sur le plein engagement proeuropéen du nouveau gouvernement. Vous aurez d'ailleurs remarqué que la compétence en matière de questions européennes est restée au niveau du chancelier, au lieu d'aller à la nouvelle ministre des affaires étrangères. Il a aussi envoyé son conseiller diplomatique faire le tour de l'Europe afin d'évoquer, comme il est de coutume, la présidence de l'Union qui sera exercée par l'Autriche dans un peu plus de six mois. Aujourd'hui même, M. Kurz a entamé son mandat par un déplacement à Bruxelles, où il doit rencontrer Jean-Claude Juncker et Donald Tusk.
Cela signifie-t-il que nous lui signons un chèque en blanc et que nous donnons par avance quitus à son gouvernement ? Évidemment non. L'Europe est plus qu'un marché : ce sont des États partageant des valeurs. Nous serons très attentifs au respect des valeurs européennes, de l'État de droit, de la séparation des pouvoirs et de la protection des médias, comme nous le sommes partout, y compris dans d'autres pays en Europe. Je pense en particulier à la Pologne : contrairement à ce que souhaitait l'Union européenne, ce pays a adopté de nouvelles réformes de la justice qui sont extrêmement préoccupantes. La Commission doit se réunir demain pour décider si elle enclenche le processus prévu à l'article 7 du traité. Nous soutenons la Commission dans sa démarche. Arriverons-nous à nous faire entendre de la Pologne ? Nous devons, en tout cas, nous faire entendre du peuple polonais, qui a le dernier mot, comme dans toute démocratie. Il doit savoir comment les évolutions des institutions polonaises sont accueillies dans les autres États membres. Par ailleurs, nous posons comme principe pour la discussion du prochain cadre financier pluriannuel le fait que les bénéficiaires des fonds de cohésion doivent respecter un certain nombre de conditionnalités, notamment liées à l'État de droit.
M. Bourlanges m'a demandé pourquoi nous ne prenons pas position, comme les Italiens le souhaiteraient, pour une remise en cause complète du règlement de Dublin. Il s'agirait d'abandonner complètement le principe de responsabilité en espérant conserver, dans le même temps, un principe de solidarité qui ne s'appuierait plus sur lui. Je pense que ce serait une erreur. Nous sommes favorables au maintien du principe de responsabilité du pays de première entrée, avec une pleine solidarité comme corollaire. Aujourd'hui, cette solidarité ne s'exerce pas comme il le faudrait en ce qui concerne les relocalisations. Elle existe par le soutien apporté à des pays tels que la Grèce et l'Italie : ils bénéficient d'une aide financière massive de l'Union européenne face à l'afflux de migrants depuis 2015.
Dans cette perspective, Monsieur Naegelen, nous sommes évidemment favorables à un renforcement de l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes, Frontex. Un premier renforcement a déjà eu lieu, mais il faut aller plus loin en faisant en sorte que Frontex puisse bénéficier d'effectifs permanents, mais aussi de réserve beaucoup plus nombreuse, avec des experts utiles, que l'on peut déployer dans de bonnes conditions. Cela fait partie des propositions du Président de la République, comme l'idée d'une Agence européenne de l'asile qui pourrait véritablement harmoniser les procédures et les critères d'octroi dans l'Union européenne. Une des grandes faiblesses de l'Europe tient à la grande disparité des procédures, de la durée de traitement des demandes et des critères pour l'attribution de l'asile. Nous sommes favorables à des doubles critères, qui seraient non seulement européens mais aussi, le cas échéant, nationaux – il s'agirait de critères supplémentaires destinés à tenir compte du fait que certains pays connaissent des flux plus spécifiques, venant de certains États tiers.
Un des grands sujets auxquels l'Union européenne est confrontée est celui des mouvements secondaires de demandeurs d'asile. Environ 300 000 personnes ont été déboutées en Allemagne, mais sont restées dans l'espace Schengen, notamment en France. Nous avons besoin de progresser sur cette question, y compris à titre national. Le projet de loi qui sera présenté au début de l'année prochaine ne sera pas contraire à la volonté d'harmoniser les procédures dans l'Union européenne. Nous devons les accélérer : la durée d'examen est aujourd'hui de 14 mois, ce qui est considérable. Il faut la réduire à six mois, appel compris. On doit aussi progresser dans des pays tels que la Grèce où une demande d'asile est traitée dans un délai compris entre deux et trois ans. Il faut davantage de soutien et d'engagements pour éviter l'engorgement, notamment dans les îles grecques.
Qu'en est-il d'un préalable institutionnel à l'élargissement ? Vous avez entendu ce qu'a déclaré le Président de la République. Même en l'absence d'élargissement, une Europe comptant 28 commissaires – et bientôt 27 – n'est pas optimale. Nous sommes parfaitement d'accord sur ce point, Monsieur Bourlanges. Il est nécessaire d'inciter les autres États membres à réfléchir à une réforme. On n'aurait jamais dû revenir sur le principe d'une limitation du nombre de commissaires. La France est prête, et elle l'a dit, à renoncer à son propre commissaire si elle peut amener les autres États membres à aller dans la même direction. Si un élargissement devait se produire, par ailleurs, ce ne serait pas en bloc. Tous les États des Balkans occidentaux n'en sont pas au même niveau de maturité par rapport à l'Union européenne et, de toute façon, la question que vous avez évoquée se poserait.