Intervention de Valérie Rabault

Séance en hémicycle du lundi 8 novembre 2021 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Économie ; investissements d'avenir ; engagements financiers de l'État

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaValérie Rabault, rapporteure spéciale de la commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire :

J'aborderai ici les trois comptes spéciaux Participations financières de l'État, Participation de la France au désendettement de la Grèce et Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics. S'il fallait trouver un trait commun aux trois, ce serait sans doute le fait qu'ils mettent à l'écart le Parlement.

Concernant les crédits des Participations financières de l'État, je répète, comme chaque année, qu'ils ne sont qu'indicatifs. Depuis la création de ce compte d'affectation spéciale en 2006, nous votons en général 5 milliards d'euros de recettes et 5 milliards d'euros de dépenses. Toutefois, cette année, 8,9 milliards d'euros sont prévus en recettes comme en dépenses. Sur cette somme, nous ne disposons d'informations que pour 4,3 milliards d'euros.

Quant au compte d'affectation Participation de la France au désendettement de la Grèce, il traduit les engagements européens pris par le Gouvernement sans l'aval du Parlement, contrairement à ce qui se fait dans d'autres démocraties. Instauré à la suite d'un moratoire, ce compte vise à rembourser à la Grèce les intérêts qu'elle a versés à la Banque de France. Toutefois, en 2022, la France gardera encore en caisse 925 millions d'euros qu'elle aurait dû rétrocéder à la Grèce.

Enfin, le compte Avances à divers services de l'État ou organismes gérant des services publics n'a pas réellement d'enjeu budgétaire, car il regroupe des avances de trésorerie, par exemple pour la PAC – politique agricole commune. Cette année, le montant total des avances est de 11 milliards d'euros.

Puisqu'au fond le Parlement est spectateur plutôt qu'acteur pour cette mission, permettez-moi de revenir sur sept axes qui me sembleraient prioritaires pour les participations de l'État.

Premier axe : il faut définir un cadre stratégique. Où veut-on investir ? Le portefeuille de l'État, ce sont 125 milliards d'euros : 70 milliards de fonds cotés et 55 milliards de fonds non cotés. Cela représente quand même un peu moins de 10 % des dépenses publiques annuelles ou un quart des dépenses annuelles de l'État ; c'est donc beaucoup d'argent. Or il n'y a jamais de débat au Parlement sur la stratégie d'investissement. Ainsi, sur ces 125 milliards, EDF représente à lui seul le quart du portefeuille, sans que le Parlement soit saisi du projet de réforme du groupe. Autre point : la santé. Vous ne trouverez pas dans le portefeuille des participations de l'État une seule participation dans des sociétés du secteur de la santé. Celui-ci est totalement absent, alors même qu'il est présent dans d'autres fonds publics des grandes économies. Face à nos critiques, le Gouvernement a fini par dire qu'il faudrait sans doute investir dans les entreprises du secteur de la santé ; c'est écrit dans le plan France 2030, mais sans précision à ce stade.

Deuxième axe : faire voter par le Parlement le cadre stratégique d'investissement de l'État. On pourrait au moins le faire comme une loi de programmation ; ce ne serait pas totalement inutile.

Troisième axe : définir un cadre lisible. Pour qu'on s'y retrouve, l'Agence des participations de l'État (APE) devrait regrouper tous les investissements de l'État. Sinon, c'est le bazar et il faut aller chercher un peu partout dans la sphère publique, avec BPIFrance et les PIA, sans aucune consolidation qui fournisse de la lisibilité. Je reconnais qu'il y a bien une tentative de jaunes budgétaires, mais là non plus, toutes les informations n'y sont pas recensées.

Quatrième axe : l'évaluation. Trouvez-vous normal, mes chers collègues, que la mission "Participations financières de l'État " soit la seule, parmi les bleus que nous avons, pour laquelle les objectifs de performance imposés par la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) ne sont pas renseignés ? La seule ! Quant au programme 367 qui abonde le compte d'affectation spéciale, il n'est même pas doté d'indicateurs de performance. On ne risque donc pas de pouvoir faire une évaluation en bonne et due forme.

Cinquième axe : au-delà des objectifs stratégiques, la lisibilité devrait devenir une boussole, en tout cas pour les axes budgétaires. Le CAS Participations financières de l'État reçoit des dotations du budget général, mais n'encaisse pas les dividendes des sociétés dans lesquelles l'État a des participations. C'est une lecture biaisée. Depuis sa création en 2006 et jusqu'en 2020, le CAS Participations financières de l'État a reçu 43 milliards du budget général de l'État ; pendant ce temps, l'Agence des participations de l'État aurait dû recevoir 89,5 milliards de dividendes directement versés au budget général de l'État. Je réitère donc la proposition que je formule chaque année à l'occasion de ce débat budgétaire : faire en sorte que le CAS Participations financières de l'État reçoive les dividendes. Chaque année, le Parlement voterait pour déterminer la part des dividendes restant dans le CAS et la part retournant au budget général de l'État.

Sixième axe : fermer le Fonds pour l'innovation et l'industrie (FII). Dès sa création, j'ai dénoncé une usine à gaz. La Cour des comptes, plus polie que moi, a parlé de « […] mécanique budgétaire inutilement complexe et injustifiée ». Désormais, nous y sommes et nous voyons bien que le fonds ne fonctionne pas, puisque seul un tiers des crédits ont été décaissés, alors que 100 % des crédits auraient dû l'être.

Septième axe : arrêter d'utiliser le CAS Participations financières de l'État pour autre chose que l'investissement de l'État. Depuis la crise, il s'est vu doté de deux nouveaux programmes pour financer les situations d'urgence. Dans le projet de loi pour 2022, le Gouvernement en fait un véhicule de paiement pour rembourser 1,9 milliard de dette covid. Il va chercher l'argent dans le budget général de l'État, l'affecte au CAS Participations financières de l'État, qui lui-même le transfère. En matière de lisibilité, ceci brouille légèrement les cartes.

Ces sept axes me semblent prioritaires pour retrouver de la lisibilité et redonner son rôle au Parlement. Sinon, nous resterons des godillots. En tant que porte-parole de la commission des finances, j'indique néanmoins que celle-ci a adopté les crédits des trois comptes spéciaux concernés.

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