Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du lundi 8 novembre 2021 à 9h00
Projet de loi de finances pour 2022 — Économie ; investissements d'avenir ; engagements financiers de l'État

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Bonjour, madame la ministre déléguée. Le budget de la mission "Économie " est étudié en l'absence du ministre de l'économie, des finances et de la relance ; cela me paraît surprenant, mais je ferai comme s'il était présent.

Monsieur le ministre, vous qui êtes un lettré, vous connaissez cette figure de style qu'on nomme lipogramme et qui consiste, pour les moins lettrés de cet hémicycle, à écrire tout un texte en s'imposant la contrainte d'en bannir une lettre ou un mot. Ainsi, Georges Pérec, dans son roman La Disparition, n'a utilisé, en 300 pages, aucun « e ». Vous en êtes un disciple dans votre genre.

Prenez la crise de l'énergie, la flambée du pétrole, qui inspire aux Échos ce titre : « Record battu : le litre de gazole n'a jamais été aussi cher en France ». Les ronds-points se sont réveillés, vous et votre Premier ministre avez pris la parole, vous avez lâché 100 euros aux Français mais sans prononcer une seule fois le nom de Total. Total qui, d'après la presse, « cartonne : bénéfice net multiplié par 23 » ; Total qui « profite à plein […] de la flambée historique » des hydrocarbures ; Total dont le cours en bourse grimpe de 20 % en un mois ; Total qui verse 8 milliards de dividendes à ses actionnaires, soit près de 300 euros par foyer français ; bref, Total qui se gave ! Mais à aucun moment vous ne vous êtes dit : « on taxera Total » ou « Total doit baisser le prix de l'essence » ou « Total paiera les 3 milliards de chèques carburant ». Rien de tout cela ne vous vient à l'esprit – ou alors peut-être à l'esprit, mais pas jusqu'à votre bouche. En tout cas, vous gardez bouche cousue : silence sur Total, motus sur les entreprises et leurs PDG, les tireurs de ficelles doivent demeurer dans l'ombre…

Une autre flambée peut être signalée, celle des fortunes. En une année de crise sanitaire, alors que les étudiants faisaient la queue pour un colis alimentaire, que les soignants s'enroulaient dans des sacs plastiques, que les familles pleuraient leurs morts, les milliardaires français ont vu leur fortune grimper – de combien ? Vous le savez : de 68 %, soit 300 milliards de patrimoine en plus, alors que le CAC 40 a atteint son Himalaya au-delà des 7 000 points. Avez-vous proposé une taxe sur les profiteurs de cette crise, un impôt spécial Amazon pour que les super-riches vident un peu leurs poches, afin, par exemple, de financer l'hôpital pour le sauver ? Jamais. Les mots « milliardaires », « fortune », « riches » ou même « actionnaires » n'existent pas dans votre dictionnaire : ils sont bannis, on risquerait de les fâcher rien qu'à les nommer, un peu comme Voldemort dans Harry Potter, celui dont on ne doit pas prononcer le nom. Pourtant, ces 68 %, ces 7 000 points sont énormes, colossaux, gigantesques, gros comme une vache au milieu du couloir – mais vous ne voulez pas la voir.

Cette dérobade vire parfois au comique. Un soir du mois de février dernier, lors de votre audition en commission des affaires économiques, mon collègue Sébastien Jumel vous a interrogé sur le scandale Open Lux : « Comment 15 000 de nos concitoyens peuvent-ils permettre à 4 % du PIB d'échapper à l'impôt ? Monsieur le ministre, […] mettrez-vous fin à ce scandale ? » Lorsque vous nous avez répondu de manière groupée, vous avez, par hasard, par coïncidence, oublié cette question. Alors, Sébastien a insisté : « Qu'avez-vous à dire concernant le scandale du Luxembourg ? » Vous lui avez juste répondu : « Pouvez-vous préciser votre question ? » Sébastien vous a donc précisé

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