Intervention de Dominique Potier

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur :

Je suis heureux de me retrouver à la commission des Lois – c'est toujours un honneur pour un député qui siège habituellement à la commission des Affaires économiques –, aux côtés de Mme la présidente Yaël Braun-Pivet, après le débat éthique qui nous a opposés, il y a six mois, lors de l'examen du projet de loi pour la confiance dans la vie politique, car je sais que nous travaillerons dans un état d'esprit dominé par la réconciliation.

En demandant l'examen de la proposition de loi pour laquelle vous avez bien voulu me désigner comme rapporteur, le groupe Nouvelle Gauche n'adopte pas une démarche de rescapé amer ; il veut contribuer de façon positive à la vie publique dans la continuité de combats qu'il a déjà menés, et il s'inscrit dans une logique d'éclaireur, car, je le sais, ce sujet suscite de nombreuses attentes dans tous les rangs.

Au fond, la proposition de loi Entreprise nouvelle et nouvelles gouvernances est d'abord un acte de foi dans l'entreprise. Certes, l'un des grands enjeux mondiaux du XXIe siècle face aux défis posés par le changement climatique, ou les risques en matière de sécurité et de la paix, consiste en un rééquilibrage de la puissance publique par rapport à la puissance privée : il faut moderniser la puissance publique et l'adapter au monde nouveau. Cependant, cette dernière ne pourra pas tout : la puissance publique doit indiquer à la puissance privée comment contribuer au bien commun et apporter des solutions au monde.

Cette proposition de loi est rédigée dans cet esprit : il s'agit de ne pas opposer l'attractivité et la compétitivité à la responsabilité sociale et environnementale, ni le capital au travail, ni l'exigence de compétitivité et d'agilité à court terme aux intérêts de l'économie réelle à moyen et long termes. Ce texte cherche à réconcilier la société d'aujourd'hui, dans ses aspirations les plus profondes, avec le monde de l'entreprise.

Nos propositions en ce sens se déclinent dans les onze articles de la proposition de loi. J'ai toute confiance dans le fait que nous prendrons le temps d'examiner chacun de ces articles, comme nous le ferons pour les autres propositions de loi que nous espérons pouvoir discuter durant cette matinée. Nous abordons, pour notre part, ce débat dans un esprit d'ouverture, de dialogue, et de contribution. Je ne doute pas que, dans le « monde nouveau », nous pourrons avancer et même accélérer la cadence par rapport au combat en faveur d'un devoir de vigilance des multinationales que j'ai mené avec la majorité précédente : ce combat avait mis quatre ans avant d'accoucher d'une loi – je crois que l'on peut parler d'un accouchement dans la douleur.

Dans le monde d'agilité que vous appelez de vos voeux, j'espère que cette proposition de loi pourra être adoptée après une navette entre l'Assemblée et le Sénat. Elle constituera ainsi le socle d'autres textes que le Président de la République et le Gouvernement ont l'intention de présenter ultérieurement afin de réformer l'entreprise.

Nous vous proposons donc d'adopter dès ce matin en commission une proposition de loi que nous qualifions de « socle ». Ce texte permet de dégager quelques grands axes.

Il s'agit d'abord de la définition et du fondement même de l'entreprise. Albert Camus disait que mal nommer les choses revenait à ajouter aux malheurs du monde : qui peut prétendre aujourd'hui que la définition des sociétés est satisfaisante ? Personne ne peut plus affirmer que l'approche du code Napoléon de 1804, selon lequel une société se définit uniquement par la poursuite du profit à court terme, est satisfaisante. Il faut revoir le code civil et son article 1832 afin de définir la société et l'entreprise avec des mots justes.

Nous devons ensuite rattraper notre retard sur les pays du nord de l'Europe qui ont depuis longtemps modernisé leurs relations sociales. Notre pays reste encore parfois dans le mythe de la doxa néolibérale qui amène à croire que le dialogue social et le dialogue avec toutes les parties prenantes constituent un handicap. Pour notre part, nous affirmons, au contraire, que la codétermination – et nous pensons à un modèle français prudent – constitue une arme et une force pour affronter le futur. Ce matin même, dans L'Est Républicain, Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, affirmait que le partage du pouvoir dans l'entreprise était une force.

Enfin, plusieurs articles du texte relèvent des thèmes de la loyauté et de l'ouverture.

Les relations fiscales, les chaînes de valeur à l'échelle du monde, les relations aux territoires se caractérisent par leur absence de loyauté qui constitue un véritable handicap pour le bon et juste commerce. Il nous faut à tout prix moderniser et rétablir ce principe de loyauté.

Il faut également donner à nos entreprises la capacité de remplir de nouvelles missions. Nous aborderons la question d'un label de l'économie sociale, et celle des sociétés de mission. Nous traiterons aussi de la double notation des entreprises qui permet, à chacun d'entre nous, entrepreneurs, épargnants, collaborateurs et consommateurs, tout en respectant la liberté du commerce, d'identifier non seulement la valeur économique d'une entreprise à l'instant T, mais aussi sa valeur intrinsèque, c'est-à-dire sa capacité à produire des externalités positives.

J'insiste sur le fait que chacune de nos propositions a été pesée avec mesure. Certaines d'entre elles sont finalisées, et s'inscrivent dans des voies médianes par rapport à des réalités mondiales. Nous ne sommes pas dans une logique de décroissance ou de sortie de l'histoire, mais bien dans une démarche d'entrée dans la modernité.

Sur certains autres sujets, lorsque nous avions des doutes, comme, par exemple, sur le niveau d'un écart maximal de revenus ou sur les conditions dans lesquelles une citoyenneté active pouvait se manifester en même temps qu'un salariat moderne, nous avons été prudents : nous avons demandé au Gouvernement de nous présenter des rapports, ce qui constitue autant d'ouvertures. Si d'autres véhicules législatifs se présentent – ce qui pourrait advenir dès le premier semestre de l'année –, ces rapports pourront se muer en amendements utiles.

À un socle « en dur » de propositions, nous avons donc ajouté quelques jalons, qui constituent autant de rendez-vous pour l'avenir.

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