Intervention de Dominique Potier

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 9h35
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Potier, rapporteur :

Je vous remercie, madame la présidente, pour votre sollicitude. La barre est placée très haut, ce matin : on a affaire à des amendements de suppression défendus par le groupe Les Républicains, mais qui sont en réalité le fait d'un seul député de ce groupe, lequel met le groupe La République en Marche au défi de s'abstenir, ce qui revient, en l'occurrence, à adopter les amendements en question, mais sans vouloir le faire… Je vous laisse à ces abîmes de réflexion quand, pour ma part, j'essaierai de répondre à vos critiques sur le fond et sur la forme.

Je sollicite de votre part une bienveillance concrète ; nous vous demandons de nous croire quand nous affirmons que nous nous inscrivons dans un combat au long cours. Il s'agit de la même philosophie et des mêmes acteurs que lors du combat en faveur du devoir de vigilance : les syndicats, les organisations non gouvernementales (ONG), une partie du patronat – le patronat le plus éclairé de France et qui n'est pas toujours représenté par les organisations qui sont tout en haut de l'affiche –, etc. Croyez-nous donc quand nous vous rappelons que, le 5 octobre dernier, nous avons publié une tribune dans Le Monde – je suis le seul parlementaire à l'avoir signée parce que je suis associé de longue date à ces combats – et que l'opposition est fondée à poser des jalons et n'est pas seulement vouée à réagir à une hyper-présidentialisation qui infuse dans le Parlement.

M. Balanant a pu, lors des auditions, constater l'enthousiasme des représentants syndicaux, de ceux du secteur de l'économie sociale, des ONG et d'une partie du patronat ; il a été témoin que non, le code civil n'a pas été réformé, sinon à deux reprises, en 1978 et 1985, sur des éléments tout à fait limités concernant le partage des pertes ou la société unipersonnelle. Sur le fond, Boris Vallaud l'a souligné, nous en sommes donc encore à l'ère napoléonienne ; or nous avons changé de monde, et c'est pourquoi il faut réformer le code civil.

Non, Madame Avia, il n'y a pas eu de méprise : je ne confonds pas l'article 1832 avec l'article 1833 du code civil ; et je vous rappelle, malgré votre admiration, que je ne discute pas le fait que le Président de la République, alors ministre de l'économie et des finances, ce dernier avait proposé, dans un avant-projet de loi – loi à laquelle on a donné son nom –, il avait proposé une modification de l'article 1833 prévoyant que la société devait être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l'intérêt général, économique, social et environnemental. Or il nous semble que notre proposition, tout en relevant de la même philosophie, est plus précise et plus prudente. Je suis certain que ceux qui, peut-être, vous influencent aujourd'hui les uns et les autres, je pense aux représentants de l'Association française des entreprises privées (AFEP) ou du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), préféreraient in fine notre version à celle qui était proposée à l'époque, prêtant le flanc, sur le plan juridique, à des critiques bien plus importantes.

Nous ne confondons pas, Monsieur Rupin, entreprise et société mais, par humilité, nous n'avons pas osé définir l'entreprise dans le code civil. Nous avons simplement associé pour la première fois, c'est important, et de manière assez subtile – les universitaires qui y ont travaillé en ont tout le crédit –, l'entreprise et la société. Cette proposition de loi, assez aboutie, ne peut être contestée parce qu'elle serait confuse. Par ailleurs, la lettre « L. », de trop, sera supprimée par un amendement rédactionnel que nous sommes sur le point d'examiner, tout comme les autres amendements que je défendrai permettront la correction d'erreurs mineures, cela pour peu que vous nous laissiez les défendre.

Vous savez mieux que moi, monsieur Balanant – vous êtes un homme de droit –, qu'une proposition de loi émanant de l'opposition ne bénéficiera jamais de la procédure accélérée – à moins que vous n'en décidiez autrement pour le présent texte – ; aussi aurons-nous tout le temps de faire en sorte que la concertation publique qui a été lancée enrichisse le débat. Il n'y a donc pas de contradiction entre notre démarche et celle du Gouvernement.

Vous avez évoqué Nicole Notat. J'ai débattu avec elle pendant deux heures et demie à la fondation Jean-Jaurès – débat toujours en ligne et que je vous invite lire parce qu'il dit tout de notre complicité philosophique sur le fond mais également de nos différences d'approche. Nous n'avons pas attendu la création par tel ou tel ministère d'une mission pour débattre. Quant au groupe Michelin, je puis vous assurer, pour avoir connu une fermeture sur mon territoire et pour avoir dialogué longuement avec les représentants du groupe sur la RSE et le devoir de vigilance, que nous connaissons également leurs positions qui convergent avec les nôtres malgré, parfois, de légères différences. C'est que le monde ne commence pas parce qu'une mission est créée et qu'un nouveau gouvernement est constitué : il y a une continuité de la vie publique, il y a un débat d'idées même, dans ce pays, et des traditions politiques.

Je vous invite à ne pas tomber dans le piège de la suppression de l'article 1er – vous la regretteriez – et par conséquent à examiner l'amendement que je défends, issu des auditions. Il permet d'introduire une idée qui nous est chère et il s'agira de l'un des amendements de fond que nous proposerons. Nous entendons rédiger ainsi le premier alinéa de l'article 1832 du code civil : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise des biens ou leur industrie en vue de développer une activité et de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. » Par rapport à la version de 1804, nous souhaitons ajouter les mots : « en vue de développer une activité ».

Je le dis avec force : le travail n'est pas uniquement mû par l'appât du gain ou par le bénéfice matériel, mais peut également être motivé par l'accomplissement d'une oeuvre – c'est vrai pour le salarié, c'est vrai pour l'entrepreneur, c'est vrai pour les dirigeants et c'est vrai pour une entreprise codéterminée. Le développement même d'une activité, au-delà du bénéfice qu'on en attend, peut être une motivation suffisamment noble pour figurer dans le code civil. Nous voulons donc enrichir l'article 1832 par la précision indiquée qui, sur le plan philosophique, me paraît avoir beaucoup de prix.

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