Intervention de Guillaume Garot

Réunion du mercredi 10 janvier 2018 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Garot, rapporteur :

Mes chers collègues, des millions de Français, vous le savez aussi bien que moi, peinent à trouver un médecin près de chez eux, qu'il s'agisse d'un généraliste ou d'un spécialiste. La réalité, vous la connaissez : des patients parfois en détresse ; des médecins en souffrance, en mal-être – en particulier en période d'épidémie – car la charge de travail devient parfois inhumaine, ils nous le disent ; des élus inquiets, car il y va aussi de l'attractivité de leur territoire.

Entre 2007 et 2017, le nombre de médecins en France est resté globalement stable – autour de 216 000 au total. Mais durant la même période, le nombre de généralistes a baissé : de 97 000, il est passé à 88 000. Mais le plus dur est à venir : un médecin sur deux a ou aura plus de soixante ans dans les années à venir.

Par ailleurs, les inégalités sont criantes entre les territoires et donc entre les citoyens. Certains départements sont bien pourvus en présence médicale – vous savez aussi bien que moi : Paris, les Hautes-Alpes, les Hautes-Pyrénées, la Savoie, les Alpes-Maritimes, l'Hérault, pour citer les mieux dotés. À l'inverse, d'autres sont très mal lotis : ainsi la Seine-et-Marne, l'Eure, l'Eure-et-Loir, l'Aisne, le Cher.

Qui plus est, depuis 2013, les inégalités s'aggravent : certains territoires concentrent de plus en plus de médecins – la Savoie, le Morbihan, la Haute-Corse, les Hautes-Alpes ; d'autres, à l'inverse, en ont de moins en moins : l'Yonne, l'Essonne, le Cher, le Loir-et-Cher, la Mayenne. Autrement dit, le problème tient autant au nombre de médecins qu'à leur répartition.

Nous arrivons là au coeur du sujet et de notre proposition. Qu'avons-nous fait – droite et gauche confondues – depuis dix ou quinze ans ? Nous avons mis le paquet sur les politiques d'incitation à l'installation, et nous avons fait le maximum. Il nous fallait des maisons de santé pour l'exercice pluridisciplinaire et le travail en équipe ; on a fait des maisons de santé. Il fallait repérer les zones sous-denses et allouer des moyens pour les médecins qui viendraient s'installer ; c'est ce qu'on a fait – le zonage a d'ailleurs été revu récemment et publié au Journal officiel début janvier et les aides financières peuvent aller jusqu'à 50 000 euros par installation. Partout en France, dans ces territoires sous-dotés, les collectivités locales ont pris le problème à bras-le-corps, tous les élus locaux présents peuvent en témoigner. J'ai été maire de Laval : nous avons mis à disposition des logements pour accueillir les stagiaires. Nous avons appelé les médecins généralistes à se mobiliser pour accueillir des internes dans leurs cabinets ; ils l'ont fait. Mais au total, tout cela a-t-il produit les résultats attendus ? Non. Force est de constater que ces politiques incitatives n'ont pas eu les effets escomptés. Dans mon département, on estime que 10 000 Mayennais n'ont pas accès à un médecin traitant.

Que faire dans cette situation ? Pour paraphraser un homme célèbre, contre la désertification médicale, nous n'avons pas tout essayé. En particulier, nous n'avons pas essayé la régulation : c'est l'objet de la proposition de loi que je vous présente ce matin. Et cette régulation peut se faire par le biais d'un conventionnement territorial, comme le propose l'article 1er de notre proposition de loi.

L'idée n'est pas neuve : elle avait été avancée en 2016 par plusieurs députés, aujourd'hui membres de différents groupes. À l'époque, un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale avait été déposé par Mme Annie Le Houérou, députée des Côtes-d'Armor, et un grand nombre de députés socialistes, dont certains, comme vous-même, madame la présidente, sont depuis devenus d'éminents responsables gouvernementaux ou parlementaires.

L'idée de ce conventionnement territorial, également appelé conventionnement sélectif, a été reprise dans un rapport de la Cour des comptes parus à l'automne dernier et que vous avez sans doute lu, mais également dans un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Quel en est le principe ? Dans certains territoires bien pourvus, l'assurance-maladie ne conventionnerait plus avec un médecin libéral là où les besoins sont déjà satisfaits. Bien sûr, libre à lui de s'installer partout ailleurs, où il le souhaite, mais surtout là où on a besoin de lui.

La régulation, à travers le conventionnement territorial, doit surtout nous permettre de refonder le contrat entre la Nation et ses médecins. Un contrat suppose des engagements réciproques. La Nation forme les médecins, leur assure un revenu au travers de l'assurance maladie et de nos cotisations ; cela impose des contreparties. En tout cas, tout doit être mis sur la table. Des précisions pourront être apportées lors du débat parlementaire, mais également dans le cadre du débat national qui doit avoir lieu : quels sont, ou quels devraient être les termes de ce contrat s'agissant du système de formation, des conditions de stages en médecine générale – évoquées lors des auditions –, ou encore de certains aspects très concrets de la protection sociale des médecins ? Il faut tout mettre sur la table.

Avec les médecins, nous devons poser la question de leur juste répartition sur le territoire national, afin de garantir à chaque Français un principe constitutionnel : l'accès à un médecin près de chez lui. Qu'y a-t-il de choquant de dire à un médecin que c'est là que les patients l'attendent, et non là où les besoins sont déjà largement pourvus ?

Du reste, cette régulation existe pour d'autres professions de santé : les pharmaciens, les infirmiers, les kinésithérapeutes. Pourquoi ne pas inventer un système non pas similaire, mais comparable, avec les médecins ?

Nous avons eu des heures et des heures d'auditions passionnantes, très riches, parfois vives. Des arguments ont été développés ; il est normal d'y répondre.

On nous dit que la régulation ne fonctionnerait que pour ce qu'on appelle les professions « démographiquement dynamiques », en augmentation, quand il faudrait gérer un trop grand nombre d'installations. J'ai du mal à comprendre cet argument : pourquoi la régulation ne fonctionnerait-elle qu'en cas de surnombre ? C'est un principe, qui s'applique à une situation. Du reste, d'une certaine façon, la régulation existe déjà à l'hôpital : lorsqu'un poste y est disponible, on ne va pas en créer un deuxième au motif qu'un autre médecin a envie de s'installer dans le même hôpital. Pourquoi une telle forme de régulation ne fonctionnerait-elle pas pour l'exercice libéral ?

On nous a également opposés que l'on ne sait pas ce que sont les zones sur-denses. Là encore, je ne comprends pas : nous savons identifier les zones sous-denses – on en a fait une cartographie, parue au Journal officiel début janvier, pour cibler les aides allouées aux médecins qui viendraient s'y installer –, mais pas les zones sur-denses… J'ai donc interrogé le ministère de la santé : la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère de la santé est parfaitement capable de définir une zone sur-dense, par rapport à une moyenne nationale. Le ministère dispose de données précises, qu'il m'a transmises : actuellement, on considère que plus de 4 millions de Français vivent en zones sur-denses. Au-delà, l'enjeu est de définir une véritable cartographie des besoins de santé et surtout de l'offre de santé, spécialité par spécialité. Les généralistes, mais également l'ensemble des spécialistes, doivent être inclus, afin que nous disposions d'une vision très objective des choses et que nous puissions répondre de la façon la plus fine possible aux attentes de nos concitoyens.

Troisième argument : la régulation va décourager l'installation en médecine générale. À l'heure actuelle, ce sont souvent les médecins installés en zones sous-denses qui sont découragés : ils ont une charge de travail extrêmement lourde, n'en peuvent plus et se demandent ce qu'ils vont devenir si l'on ne fait rien. Le découragement pourrait aussi être celui des Français : la Cour des comptes a chiffré à près de 3 milliards d'euros le coût pour les finances publiques de ces inégalités entre les territoires et les citoyens.

Par ailleurs, le conventionnement territorial pour lequel nous plaidons ne s'appliquerait pas uniquement à la médecine générale, mais à l'ensemble des spécialités : ce serait un véritable nouveau principe pour notre système de santé. Il ne s'agit pas de coercition, mais bien de régulation : on n'oblige pas un médecin à s'installer à tel endroit, on lui indique simplement qu'il ne peut pas s'installer là où les besoins sont satisfaits.

Au final, ce principe de régulation donnerait pleine puissance aux mesures d'incitation. Tout ce que l'on a fait depuis dix à quinze ans ne l'a pas été en pure perte, heureusement – elles sont d'ailleurs toujours défendues par l'actuel gouvernement. Mais il faut mettre en oeuvre la régulation si l'on veut que les mesures incitatives soient vraiment efficaces.

Les articles 2 et 3 de notre texte proposent par ailleurs la mise en place du tiers payant intégral dans les maisons et les centres de santé. Pourquoi ? Le Gouvernement a annoncé le report de la mise en oeuvre du tiers payant intégral. Notre objectif est donc de garantir en priorité le bon fonctionnement du tiers payant intégral dans les maisons de santé et les centres de santé dans lesquels le tiers payant est déjà en vigueur pour la part obligatoire. Nous voulons garantir aux médecins que le tiers payant intégral sera techniquement valide dans ces structures collectives d'exercice de leur métier. Les médecins souhaitent exercer dans ces structures, pour échanger avec d'autres professionnels de santé – cela fait d'ailleurs partie des mesures d'incitation. Là encore, l'idée est de leur donner leur pleine puissance.

Si j'ai bien compris, le tiers payant intégral reste un objectif pour notre pays. Pour la pratique quotidienne de nos médecins, il est très important que le temps de travail soit d'abord du temps médical, et pas du temps administratif. C'est en effet la critique – que je peux parfaitement entendre – qui a été opposée au déploiement du tiers payant intégral. Nous proposons que l'État et les organismes d'assurance complémentaire valident ensemble un procédé technique qui garantira le bon fonctionnement de ce tiers payant intégral. Ce n'est pas au médecin d'en assurer la viabilité technique.

Au cours de toutes les auditions que nous avons menées, extrêmement riches, beaucoup de propositions ont été émises. Elles ne sont pas toutes d'ordre législatif, mais parfois d'ordre réglementaire ou conventionnel : la formation, les stages, le numerus clausus, le soutien aux sites multiples d'activité médicale, tous ces sujets ont été évoqués et doivent être mis sur la table, dans le cadre du contrat national qu'il faut refonder avec nos médecins. Mais ce que je retiens surtout de ces auditions, et de ce que les Français nous disent dans nos circonscriptions, c'est que l'attente est forte, l'inquiétude grandit ; si nous n'apportons pas de solutions, et la régulation en est une parmi d'autres, nous ne serons pas au rendez-vous de notre responsabilité. Celle-ci est de garantir à chaque Français que, demain, il aura accès à un médecin près de chez lui.

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