Chacune et chacun d'entre nous, qui siégeons sur ces bancs, avons à un moment ou à un autre, d'une façon ou d'une autre, sous une forme ou sous une autre, voulu changer un peu le monde, faire progresser notre société et notre droit. À notre mesure, avec nos amendements ou nos propositions de loi, nous avons cette envie d'être utiles et d'apporter ce que nous pensons être un progrès pour la démocratie. C'est de cela, chers collègues, qu'il s'agit aujourd'hui car l'enjeu du texte que nous étudions est de donner aux lanceurs d'alerte leur juste place, en leur garantissant la protection de la loi et le traitement de leur alerte.
Il y a trois ans, j'ai écrit un rapport à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe (APCE) et étudié les divers droits européens en la matière. J'en ai acquis la conviction qu'à côté de la liberté de la presse ou de l'indépendance de la justice, les lanceurs d'alerte constituent un véritable pilier de nos systèmes démocratiques. Ils révèlent des atteintes à l'intérêt général, s'attaquent parfois à des intérêts puissants, exposent leur vie et celle de leurs proches pour un combat qu'ils estiment juste et nécessaire de mener. Ils font progresser l'État de droit parce qu'ils révèlent des situations qui l'entravent et le fragilisent.
Il ne se passe pas une semaine sans que l'actualité se fasse l'écho d'une alerte dans le domaine de l'environnement ou de la santé, de la lutte contre la corruption, des menaces sur nos libertés individuelles, de la sécurité ou des dérives du numérique. Les lanceurs d'alerte jouent un rôle déterminant, un rôle qui, à n'en pas douter, ira croissant au fil des années.
Il est donc indispensable de mieux protéger les lanceurs d'alerte contre les représailles dont ils peuvent faire l'objet, de protéger David contre Goliath, de garantir que leur alerte ne soit pas vaine. Notre démocratie n'en sera que plus forte, parce que le droit d'alerter deviendra dans les textes un droit fondamental et dans les faits une réalité accessible.
Chers collègues, le texte que je vous présente est notre texte. Il est écrit et porté par des parlementaires, ce qui est rare pour un texte qui procède également à la transposition d'une directive européenne. Le vice-président du Conseil d'État, lorsqu'il m'a accueilli pour rendre compte de son avis, s'en est d'ailleurs réjoui car son institution est le conseil juridique de la fabrique de la loi et pas seulement du Gouvernement. Il nous a apporté beaucoup de recommandations utiles et éclairantes, dont nous avons largement tenu compte.
Ce texte est aussi notre texte parce qu'il s'est nourri de deux rapports parlementaires : celui de l'APCE dont j'ai parlé et celui de nos deux collègues Raphaël Gauvain et Olivier Marleix, qui ont fait un travail remarquable pour analyser les forces et les limites du droit actuel, et notamment de la loi Sapin 2 ; or c'est bien dans les limites du droit en vigueur que l'on doit puiser les sources des lois nouvelles.
Ce texte est notre texte enfin parce qu'il s'est enrichi de la participation de nombre d'entre vous, en particulier nos commissaires aux lois. En plus d'Olivier Marleix et de Raphaël Gauvain, je tiens à citer Cécile Untermaier, Alexandra Louis et Ugo Bernalicis – ce dernier est d'ailleurs l'auteur d'un premier texte sur le sujet, dont je me suis inspiré, avec parcimonie mais avec intérêt.
Ce texte s'est appuyé en outre sur l'expertise déterminante des services de l'Assemblée et du ministère de la justice, une expertise de pointe sur des sujets de droit complexes qui nous a ouvert la voie aux innovations juridiques que comporte ce texte, notamment dans le domaine de la prise en charge, en cours de procédure, des frais de justice du lanceur d'alerte par la partie adverse.
Ce texte, enfin, s'est construit dans le dialogue avec les acteurs de la société civile, dont certains sont présents dans les tribunes : les associations – je pense en particulier à la Maison des lanceurs d'alerte –, les organisations non gouvernementales (ONG), comme Transparency International, mais aussi les syndicats des salariés et les organisations patronales, qui ont tous contribué activement et de manière constructive à nos travaux.
En somme, à l'heure où certains doutent de l'intérêt d'un parlement, je voudrais dire à nos concitoyens convaincus que le sujet des lanceurs d'alerte est d'importance majeure pour la démocratie que ce texte a été pensé, écrit, piloté, enrichi par leurs députés. Nous y travaillons depuis trois ans avec persévérance, avec l'intérêt général comme seule boussole, parce que nous avons pris la mesure de l'enjeu.
Comment ce texte fera-t-il progresser notre démocratie, comment redonnera-t-il aux lanceurs d'alerte toute leur place dans notre société ? Eh bien, si nous l'adoptons, ils ne seront plus, demain, contraints d'effectuer d'abord un signalement en interne, au sein de leur société ou de leur organisation – une obligation qui, aujourd'hui, en dissuade plus d'un d'agir. Ils pourront directement recourir à un canal externe. Ils disposeront d'une liste précise d'autorités indépendantes susceptibles d'être saisies et qui auront l'obligation de traiter leur alerte au fond dans un certain délai.
De même, demain, les lanceurs d'alerte ne pourront plus être civilement ou pénalement tenus responsables pour avoir soustrait les documents confidentiels nécessaires pour lancer l'alerte.
Demain, ils pourront être accompagnés par des facilitateurs, personnes physiques ou morales – des associations notamment – qui bénéficieront elles aussi d'une certaine protection.
Demain, lancer des représailles contre un lanceur d'alerte constituera un délit pénal sanctionné lourdement.
Demain, les lanceurs d'alerte pourront recevoir un soutien financier sous plusieurs formes. C'est d'ailleurs un point dont nous avons longuement débattu en commission. En plus de l'application du droit commun, ils pourront bien entendu se voir attribuer des dommages et intérêts par le juge en fin de procédure. En outre, il sera possible, en cours de procédure, de faire prendre en charge leurs frais de justice par la partie qui les attaque. Enfin, à la suite de nos échanges en commission, nous discuterons tout à l'heure de la possibilité de leur accorder des subsides.
Demain, le Défenseur des droits verra son rôle clarifié en matière de lanceurs d'alerte. Véritable pivot du dispositif, ayant une vue globale sur toutes les alertes traitées en France, il pourra statuer sur la qualité d'un lanceur d'alerte au sens où la loi le définit.
Chers collègues, si nous votons ce texte – et je le dis à la lumière de l'étude des différents droits européens que j'ai effectuée –, notre droit sera le fer de lance de la protection des lanceurs d'alerte en Europe. Dans une union européenne dont certains membres flanchent parfois, au point de trahir nos valeurs démocratiques essentielles, vous verrez que la façon dont les États reconnaissent et protègent les lanceurs d'alerte constituera un véritable marqueur démocratique. Les dirigeants qui refuseraient de transposer cette directive et considéreraient les lanceurs d'alerte comme des délateurs qu'il faut étouffer et mettre au pas feraient ainsi apparaître au grand jour une conception de la démocratie et de l'État de droit dont nous ne voulons pas et que nous combattons.
Chers collègues, continuons notre travail. Empruntons la juste ligne de crête pour élaborer un droit qui, à chaque étape du lancement d'une alerte, soit protecteur sans être excessif. Notre mission est noble et difficile. Noble parce que la cause des lanceurs d'alerte est un marqueur pour notre démocratie et parce que porter un texte comme celui-ci de bout en bout sur le temps long honore notre Parlement et son pouvoir d'initiative. Difficile aussi, parce qu'il s'agit de transposer une directive et de l'articuler avec notre droit national, et l'enjeu est bien de consacrer le meilleur des deux mondes au service de la cause des lanceurs d'alerte et d'une société plus démocratique et plus juste. C'est plus qu'un enjeu, d'ailleurs, c'est un véritable défi qu'ensemble nous nous devons de relever.