Intervention de Sarah El Haïry

Séance en hémicycle du mercredi 17 novembre 2021 à 15h00
Améliorer la protection des lanceurs d'alerte - rôle du défenseur des droits en matière d'alerte — Présentation commune

Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement :

Les lanceurs d'alerte ont acquis ces dernières années une nouvelle place dans l'espace public. En France comme dans le reste du monde, ce terme a été popularisé par quelques figures médiatisées : Irène Frachon dans l'affaire du Mediator, Edward Snowden dans celle des écoutes de la NSA, ou plus récemment Frances Haugen sur le traitement des informations par certains réseaux sociaux.

Ces femmes et ces hommes nous interpellent : anticipant un risque ou dénonçant des pratiques qu'ils estiment illicites, ils révèlent des faits au bénéfice de l'intérêt général. Mais parce que ces révélations peuvent mettre en cause les organisations dans lesquelles ils travaillent ou avec lesquelles ils sont en contact, elles les exposent à des risques de représailles. Discriminés, licenciés, parfois poursuivis en justice, certains d'entre eux subissent pendant des mois, voire des années, des difficultés professionnelles et parfois des drames humains.

Une telle situation n'est pas seulement le sort des quelques figures médiatisées. Tous les jours, des salariés, des fonctionnaires ou de simples citoyens sont témoins d'infractions ou de menaces pesant sur l'intérêt général et sont confrontés à un dilemme bien connu : se taire et les laisser prospérer ou parler et risquer des représailles. C'est pourquoi l'objectif essentiel que doit viser un texte portant sur les lanceurs d'alerte est celui de leur protection.

En effet, s'il ne prévoit pas une protection effective, des garanties réelles et efficaces, un texte sur les lanceurs d'alerte ne sera rien d'autre qu'un dispositif procédural creux. Nous le verrons au cours de l'examen des articles, le cœur et l'objectif même de la proposition de loi que nous allons examiner sont d'apporter aux lanceurs d'alerte ces garanties et cette protection, et je me réjouis qu'elle le fasse de manière aussi ambitieuse.

Cependant, si la révélation de dangers ou de faits délictueux est favorable au bien commun, certaines alertes peuvent également se révéler malveillantes, mal calibrées, vagues ou d'un champ trop étendu. Le risque serait donc de contribuer à faire émerger une société de la suspicion, du « tous contre tous ». Mais nous verrons tout à l'heure que les conditions claires exigées par la proposition de loi pour se voir offrir une protection légitime permettent de tracer une frontière juste et dénuée d'ambiguïté.

Un texte sur les lanceurs d'alerte est ainsi le lieu d'un équilibre : il s'agit de définir un cadre pour recueillir efficacement les alertes sans encourager les règlements de comptes, d'accorder une protection effective mais au bénéfice des seuls comportements vertueux.

Afin de parvenir à cet équilibre, les textes que nous allons examiner ne partent pas d'une feuille blanche. La France s'est d'abord progressivement dotée de nombreux dispositifs spécifiques permettant de lancer des alertes sur des sujets particuliers, comme en matière fiscale ou concernant le harcèlement au travail. Surtout, depuis la loi du 9 décembre 2016 dite Sapin 2, la France connaît un dispositif général d'alerte qui couvre un champ très vaste. Cette loi pionnière a d'ailleurs inspiré la directive européenne dont nous allons assurer la transposition aujourd'hui et c'est ce texte qui sert de socle aux améliorations prévues par les propositions de loi que nous allons examiner.

Grâce au soutien actif du Gouvernement, la directive du 23 octobre 2019 relative à la protection des personnes qui signalent des violations au droit de l'Union européenne s'est en effet très largement inspirée du droit français, même si elle va encore plus loin sur certains aspects. Les propositions de loi que nous allons examiner vont permettre de transposer en France ces avancées européennes.

Dans ce contexte, je tiens à saluer le travail remarquable réalisé par le rapporteur Sylvain Waserman, tant sur le fond que sur la méthode. Il a su inscrire ses propositions dans un cadre normatif complexe. Il a élaboré un texte ambitieux et équilibré tout en conservant le souci de transposer justement la directive. Pour cela, il a su s'appuyer sur son expérience personnelle, mais également se nourrir des idées et des préoccupations exprimées par l'ensemble des parties prenantes. La protection des lanceurs d'alerte concerne en effet notre société dans son ensemble, et le Gouvernement se réjouit que tous les acteurs concernés aient pu prendre place dans le débat. Le Gouvernement lui-même a participé à le faire vivre, en organisant notamment une grande consultation publique en début d'année, sur le site internet du ministère de la justice. Des dizaines de citoyens, de syndicats, d'organisations non gouvernementales (ONG), de représentants d'entreprises y ont répondu. Ils ont ainsi pu exprimer leurs attentes et leurs propositions, qui ont été rendues publiques dans une synthèse. Je tiens à les remercier, parce que leur participation a pleinement contribué à l'équilibre obtenu dans le texte des propositions de loi.

Ces textes permettent d'abord d'inscrire dans notre droit les avancées de la directive européenne. Certaines d'entre elles méritent une attention particulière. Une première évolution concerne l'accessibilité des procédures d'alerte. Le droit en vigueur est fondé sur l'idée qu'une alerte est a priori traitée plus efficacement en interne, par l'organisme directement concerné. Cette idée demeure juste, mais les dispositions qu'elle a inspirées, en obligeant un lanceur d'alerte à s'adresser d'abord à son employeur, sont sans doute excessives. Ce n'est en effet qu'en l'absence de diligence de ce dernier, ou en cas de danger grave et imminent, que le lanceur d'alerte peut se retourner vers l'autorité judiciaire, l'autorité administrative ou un ordre professionnel.

Cette hiérarchie entre alertes interne et externe présente deux difficultés. Tout d'abord, elle oblige en principe le lanceur d'alerte à s'adresser à son supérieur, ce qui peut l'exposer à un risque accru de représailles, surtout dans les petites structures. En outre, les critères autorisant à faire usage du canal externe sont complexes et demeurent, aujourd'hui encore, peu connus en pratique. Cette complexité a pu priver certains lanceurs d'alerte de bonne foi de la protection qu'ils auraient pourtant méritée. Par exemple, le salarié d'une boucherie a souhaité émettre une alerte au sujet de violations de règles d'hygiène, mais il l'a fait directement auprès de l'administration, et non de son employeur. Celui-ci l'a appris et l'a licencié. Le licenciement a été confirmé en justice, parce que le salarié, en n'alertant pas son employeur avant tout, n'avait pas respecté la loi. Il n'a donc pas pu bénéficier d'une protection contre son licenciement.

La directive, reprise à l'article 3 de la proposition de loi ordinaire, permet de renoncer à la hiérarchie des canaux d'alerte et donc d'assurer une protection plus complète des auteurs. Mais elle n'abandonne pas pour autant l'idée qu'une alerte est a priori mieux traitée en interne. Elle appelle en effet à encourager le recours au canal interne lorsque celui-ci paraît plus efficace, ce qui sera fait par la voie réglementaire, notamment en assurant une promotion active de ce canal auprès des salariés et des agents.

Une deuxième avancée européenne consiste à étendre la protection au-delà du seul lanceur d'alerte : désormais, ses proches, ses collègues, les personnes morales qui lui sont liées et toute personne qui l'aide au cours de la procédure – tous les « facilitateurs » de l'alerte – pourront bénéficier de la même protection. Il s'agit de tracer un véritable cercle de protection autour du lanceur d'alerte et de rompre son isolement.

Mais les propositions de loi soumises à votre examen ne se contentent pas de transposer la directive : elles prévoient des avancées supplémentaires significatives, ambitieuses et conformes aux attentes exprimées par la société. La première amélioration, à laquelle le Gouvernement est très attaché, consiste à simplifier le paysage des dispositifs d'alerte. Elle est cruciale car les personnes souhaitant lancer une alerte ont été très nombreuses à exprimer leur désarroi face à la complexité, et parfois l'inertie, à laquelle elles se trouvent confrontées. En réponse, le texte pose un cadre accessible et exigeant au traitement des alertes en interne comme auprès des autorités externes. Ces dernières seront clairement identifiées par décret en Conseil d'État afin que le lanceur d'alerte sache à qui s'adresser. De plus, le Défenseur des droits voit sa compétence étendue afin de pouvoir jouer pleinement son rôle de conseil et d'orientation.

Mais cette simplification est également essentielle pour les entreprises et les entités devant mettre en place les dispositifs internes de signalement, car nombreuses sont celles pour qui le cumul des dispositifs entraîne des difficultés d'organisation. En réponse, le Gouvernement a préparé des amendements – qui pourront être complétés au niveau réglementaire – prévoyant de supprimer certaines procédures sectorielles d'alerte et d'en harmoniser d'autres avec le dispositif général.

La deuxième amélioration significative de la proposition de loi concerne la lutte contre les procédures dites bâillons, qui consistent à instrumentaliser la justice pour intimider ou réduire au silence un lanceur d'alerte. En la matière, le texte prévoit plusieurs mesures. Par exemple, un lanceur d'alerte pourra obtenir du juge, dans un délai bref et dès le début du litige, la prise en charge provisoire par son adversaire des frais de justice. Par ailleurs, les procédures bâillons seront plus sévèrement sanctionnées.

Pour conclure, la directive européenne nous a placés devant l'obligation d'améliorer sur quelques points précis, et dans un champ restreint, notre dispositif général d'alerte. Les propositions de loi organique et ordinaire vont bien au-delà de ces quelques exigences : elles instituent un cadre lisible, efficace et simplifié pour traiter les alertes ; elles apportent une protection et des garanties effectives à ceux qui en sont les auteurs ; surtout, elles précisent et réaffirment clairement le modèle français tracé par la loi Sapin 2 : celui d'un juste équilibre permettant d'accorder une protection effective à ceux qui ont le courage de défendre l'intérêt général. Le Gouvernement y apportera tout son soutien.

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