Intervention de Marietta Karamanli

Séance en hémicycle du mercredi 17 novembre 2021 à 15h00
Améliorer la protection des lanceurs d'alerte - rôle du défenseur des droits en matière d'alerte — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli :

Les deux textes dont nous discutons sont assurément des textes de progrès, et le sujet est important pour tout État ayant une visée ou une finalité démocratique. Après qu'en France la loi du 9 décembre 2016 a donné une première définition du lanceur d'alerte, la directive de 2019 a posé un cadre commun pour protéger les personnes signalant une violation du droit de l'Union européenne. En la matière, la réglementation de l'Union s'inspire des travaux de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, où j'ai, comme M. le rapporteur, l'honneur de siéger.

Le principe est simple, même si son application est parfois un peu subtile : protéger celle ou celui qui dénonce une atteinte disproportionnée à la loi, à l'intérêt général ou aux droits des personnes. C'est vrai dans des domaines sensibles comme ceux de l'alimentation, de l'environnement, de la santé ou encore de la contribution de tous par l'impôt.

Les textes soumis à notre examen sont à même d'améliorer sensiblement notre législation. D'une part, ils donnent une définition étendue et plus adaptée des lanceurs d'alerte, en supprimant la notion ambiguë de désintéressement. D'autre part, les canaux internes et externes sont mieux distingués et clarifiés – le lanceur d'alerte pouvant choisir librement entre l'un et l'autre – et des obligations sont fixées s'agissant des délais de réponse. En parallèle, des sanctions pénales et civiles renforcées sont établies à l'encontre de ceux qui divulguent l'identité des lanceurs d'alerte, cherchent à les faire taire ou lancent contre eux des procédures abusives.

Je ferai une première observation au sujet du rôle accru donné au Défenseur des droits. En 2019, j'avais fait devant l'APCE le constat suivant : sachant que bon nombre d'États – qu'ils appartiennent ou non à l'Union européenne – disposent déjà d'une structure nationale des droits de l'homme (SNDH) non juridictionnelle et indépendante, la création alors envisagée, dans chaque pays membre, d'une autorité chargée de la défense des lanceurs d'alerte pouvait s'appuyer sur ces structures dont la tâche est justement de protéger les droits des citoyens, notamment le droit de savoir, le droit de demander l'aide et l'intervention de la puissance publique, ou encore le droit à demander l'application du principe de précaution.

Je me réjouis donc que les deux textes que nous examinons établissent une telle connexion en étendant les prérogatives du Défenseur des droits : celui-ci devra orienter le lanceur d'alerte vers l'autorité la plus à même de traiter son signalement, en désigner une le cas échéant et informer l'auteur des suites qui seront données à ce signalement.

Toutefois, nous regrettons à nouveau que les deux textes présentent certaines insuffisances, même si elles seront peut-être l'occasion d'accomplir de nouveaux progrès. C'est le cas s'agissant des personnes morales : les ONG ou les syndicats ne pourront pas être considérés comme des lanceurs d'alerte, ce statut étant réservé aux seules personnes physiques, salariés et agents publics. Or de l'avis de certains lanceurs d'alerte eux-mêmes, l'engagement juridique d'une personne morale permettrait à d'autres lanceurs d'alerte potentiels de franchir le pas.

Concernant l'aide financière apportée aux lanceurs d'alerte, l'article 7 prévoit des mesures pour assurer la reconversion de ceux d'entre eux qui, auparavant salariés, ont dû démissionner du fait de leur initiative, tandis que l'article 8 prévoit une protection du juge administratif pour les agents publics qui alertent. L'article 9, quant à lui, crée une incitation, pour les autorités externes compétentes, à accompagner financièrement et psychologiquement les lanceurs d'alerte. Mais une incitation n'est pas une obligation, et les lanceurs d'alerte, tout comme les organisations de défense des droits, le disent : l'argent est le nerf de la guerre. En effet, comment résister face à une organisation riche, lorsqu'on est seul et modeste et que l'on doit aller devant la justice ? À tout le moins, un suivi ad hoc de la protection des lanceurs d'alerte, de la législation et des principes opérationnels à appliquer devrait constituer un utile complément permettant d'observer dans quelle mesure l'incitation fonctionnera.

Enfin, l'article 11 opère une avancée : il prévoit qu'« à l'occasion d'une instance relative à une atteinte au secret des affaires, le secret [ne soit] pas opposable lorsque son obtention, son utilisation ou sa divulgation est intervenue […] pour révéler, dans le but de protéger l'intérêt général et de bonne foi, une activité illégale ».

Au vu de tous ces éléments et de toutes les avancées promises par les deux textes, et malgré les limites que nous aurons l'occasion de rappeler – nous espérons que l'Assemblée pourra aller un peu plus loin en les examinant –, le groupe Socialistes et apparentés leur apportera tout son soutien.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.