Je suis heureux de prendre la parole à la tribune pour m'exprimer sur cette proposition de loi ! En effet, ce texte constitue l'aboutissement d'une démarche entreprise de longue date, à la fois par M. Waserman, en tant que rapporteur de la commission des questions juridiques et des droits de l'homme de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, mais aussi par La France insoumise, puisque j'ai défendu, en mars 2020, lors de la niche parlementaire de notre groupe, la proposition de loi visant à la protection effective des lanceuses et des lanceurs d'alerte, dont l'objectif était de transposer dans notre droit national la directive du 23 octobre 2019.
Il était d'ailleurs un peu étrange et inédit qu'une telle transposition soit proposée à l'occasion de la niche parlementaire d'un parti de l'opposition, en l'occurrence le groupe La France insoumise, connu pour son scepticisme à l'égard des institutions européennes. Cependant, cette directive constituait une avancée évidente pour toutes celles et tous ceux qui lancent des alertes.
Parce que j'ai longuement échangé avec elle et parce que son action a été déterminante pour la cause des lanceurs d'alerte, je veux commencer par rendre hommage à ma camarade Céline Boussié, qui a dénoncé les maltraitances d'enfants auxquelles elle avait assisté dans l'institut médico-éducatif qui l'employait. Je salue son courage et sa détermination. Dans son combat, elle est passée par toutes les étapes que traversent les lanceurs d'alerte et par la plus difficile, quand on est au fond du trou, face à soi-même, psychologiquement affaibli et qu'on se demande si le jeu en vaut la chandelle. Je la remercie, et avec elle Denis, Françoise, Antoine, Amar : tous les lanceurs d'alerte auxquels je pense, qui n'ont pas attendu ces propositions de loi pour agir, se reconnaîtront. Mais si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est précisément pour nous prononcer sur ce texte qui permettra de mieux les protéger demain.
Nous n'avons que cinq minutes de temps de parole et je parle déjà depuis plus d'une minute : je serai donc un peu rapide dans mon intervention, j'en suis désolé.
Je veux tout d'abord évoquer les amendements jugés irrecevables, qui concernaient pourtant des sujets importants pour les lanceurs d'alerte, dont nous ne pourrons malheureusement pas débattre.
Je commencerai par les décisions d'irrecevabilité prises au titre de l'article 45 de la Constitution sur des amendements considérés comme des cavaliers. Le groupe La France insoumise avait proposé un amendement visant à instaurer l'obligation, pour les structures qui reçoivent des alertes, d'orienter les personnes qui ne sont pas, selon elles, des lanceuses d'alerte, mais qui sont fragilisées par une souffrance psychologique importante. Cet amendement a été considéré comme un cavalier. Je le répète, il n'est pas acceptable de dire aux personnes qui lancent des alertes et qui manifestent une grande souffrance : « Vous n'êtes pas lanceurs d'alerte : circulez, il n'y a rien à voir. » Il faudra bien, le moment venu, prendre ces personnes en considération.
De même, il paraît indispensable de réformer le cadre de l'enquête administrative diligentée après une alerte. Nous le savons, cette enquête est parfois opaque et ne respecte pas toujours le principe du contradictoire. Or les représailles contre les lanceurs d'alerte, notamment lorsqu'ils sont fonctionnaires, sont fréquentes. Les responsables hiérarchiques profitent de l'opacité du cadre de l'enquête administrative pour s'en prendre à eux.
S'agissant des décisions d'irrecevabilité prises au titre de l'article 40 sur des amendements dont on considère qu'ils aggravent les charges publiques, je ne suis pas certain que ce motif soit réellement justifié s'agissant de notre amendement qui proposait de prévoir un accompagnement, non seulement psychologique, mais aussi médico-psychologique, pour les lanceurs d'alerte. Je m'en suis expliqué en commission : le psychique a un impact sur le somatique. Du fait de leur souffrance psychique, il n'est pas rare que les lanceurs d'alerte développent d'autres pathologies, d'où la nécessité d'une prise en charge complète, pour leur permettre d'assumer des frais médicaux parfois exorbitants.
Si le Gouvernement souhaitait reprendre cet amendement dans le cadre d'un autre dispositif, nous y consentirions bien volontiers. Je regrette, par ailleurs, qu'il n'ait prévu aucune disposition en matière de secours financier. Cela nous aurait évité d'avoir à déposer des amendements, jugés irrecevables au titre de l'article 40 – qui dit secours financier, dit évidemment argent. Souhaitons que le Sénat apporte des améliorations au texte dans ce domaine, afin qu'un dispositif efficace puisse demain entrer en vigueur. J'avais proposé – je le rappelle, bien que cette mesure ne fasse pas l'unanimité – que la commission d'indemnisation des victimes d'infraction (CIVI) soit dotée d'une nouvelle compétence et chargée d'évaluer le préjudice, passé et futur, subi par les lanceurs d'alerte. Toute la complexité de leur situation tient précisément dans le fait que l'on ne peut pas attendre qu'ils aient agi et subi un préjudice pour les protéger – dans ce cas, il serait bien trop tard.
Je terminerai par deux remarques. Premièrement, nous devrons veiller, lorsque nous examinerons les amendements, à privilégier des mesures d'application effective. Il ne s'agit pas simplement d'instaurer un nouveau droit ; nous devons prévoir sa traduction concrète et réelle. Après la promulgation de la loi Sapin 2, de nombreux lanceurs d'alerte ont regretté les réponses tardives ou insatisfaisantes qu'ils ont reçues après avoir saisi le Défenseur des droits. On leur a alors expliqué qu'ils n'avaient pas respecté la procédure ou qu'il n'y avait pas de secours financier possible. En tout état de cause, sans effectivité réelle des mesures qu'elle contient, la proposition de loi ne saurait être de qualité et protéger véritablement les lanceurs d'alerte.
Ma seconde remarque concerne les lanceurs d'alerte étrangers. Le père de Julian Assange, que nous avons reçu hier à l'Assemblée nationale, nous a de nouveau exhortés à accueillir son fils en France. Notre pays s'honorerait à offrir le droit d'asile à Julian Assange. L'amendement que nous avons déposé en commission en vue d'une telle initiative a été repris par plusieurs de nos collègues.