Intervention de Patricia Mirallès

Séance en hémicycle du jeudi 18 novembre 2021 à 9h00
Reconnaissance et réparation des préjudices subis par les harkis — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatricia Mirallès, rapporteure de la commission de la défense nationale et des forces armées :

C'est avec non seulement une grande fierté, mais aussi beaucoup d'émotion, que je prends la parole ce matin afin de rapporter devant vous le projet de loi soumis à notre examen. Mon enfance demeure marquée par le souvenir de mes amis harkis, avec lesquels j'ai vécu de très beaux moments, dans des quartiers réputés difficiles. Pourtant, dans la France dans laquelle nous avons grandi, celle des années 1960 et 1970, un grand nombre de harkis vivaient l'horreur en silence. Ces citoyens français, nos compatriotes, anciens combattants de l'armée française, engagés sous nos trois couleurs durant la guerre d'Algérie, ont été internés pendant de longues années parfois, dans des camps dont il ne sortait ni âme, ni espoir.

Je pense aujourd'hui à Serge Carel qui nous a raconté, en commission de la défense nationale et des forces armées, les actes de torture qu'il a subis de la part du Front de libération nationale (FLN), son évasion d'Algérie, son errance et l'indifférence, voire l'hostilité, à laquelle il s'est heurté une fois arrivé en France. Je pense à Dalila Kerchouche, qui a grandi derrière les barbelés du camp de Bias et qui a témoigné des vies brisées des enfants des camps.

Je pense à celles et ceux que j'ai auditionnés et qui ont témoigné des traumatismes qu'ils ont vécus dans les camps et hameaux de forestage, ces structures d'accueil qui portent si mal leur nom : les bébés morts de froid enterrés sans sépulture, les enfants déscolarisés, les mères et les sœurs humiliées, violentées, quand ce n'est pas violées, les pères et les frères internés à l'hôpital psychiatrique pour cause de rébellion, les familles entassées dans des pièces de 9 mètres carrés, les allocations détournées par les chefs de camp, les courriers ouverts, les prénoms français imposés, l'absence de liberté de circulation. Et puis, en définitive, le manque de tout : d'hygiène, d'intimité, de liberté, d'humanité.

Oui, la France a fauté et c'est l'honneur de la République de le reconnaître. Le projet de loi que j'ai l'honneur de rapporter ce matin est la traduction concrète de l'engagement pris par le Président de la République, le 20 septembre dernier, d'inscrire dans la loi la reconnaissance et la réparation à l'égard des harkis. Sa demande de pardon est historique. Tâchons de nous montrer à la hauteur de ce moment.

Bien sûr, beaucoup a déjà été fait. Je tiens d'ailleurs à saluer les présidents de la République qui, depuis Jacques Chirac, ont ouvert la voie à la reconnaissance de la responsabilité de l'État dans l'abandon des harkis. Notre majorité a soutenu et concrétisé un grand nombre de mesures en faveur des conditions de vie des harkis et de leurs familles. Vous avez ainsi annoncé en commission, madame la ministre déléguée, le prochain doublement de l'allocation de reconnaissance et de l'allocation viagère, déjà relevées de 600 euros depuis 2017. Les enfants de harkis n'ont pas non plus été oubliés, avec la création en 2018 d'un fonds de solidarité qui, après des débuts difficiles, semble mieux fonctionner.

Malgré ces avancées indéniables, le présent projet de loi marque un véritable tournant car il ne s'agit plus d'aider, mais de réparer ; il ne s'agit plus de soutenir financièrement, mais de reconnaître une faute de l'État et de l'indemniser. En somme, il s'agit de rendre justice.

Rendre justice, c'est d'abord reconnaître pour la première fois dans la loi la responsabilité de l'État dans l'indignité des conditions d'accueil et de vie des harkis et de leurs familles, dans les camps de transit et les hameaux de forestage. À cet égard, les mots revêtent un poids symbolique particulièrement fort et ils doivent être à la hauteur du drame qu'ont vécu les harkis et leurs familles. C'est la raison pour laquelle nous avons décidé, en commission, de pleinement reconnaître, à l'article 1er , l'abandon dont ils ont été victimes à leur arrivée en France au lendemain de la guerre d'Algérie.

Rendre justice, c'est ensuite réparer le préjudice subi par les harkis et leurs familles du fait de cet abandon. C'est l'objet de l'article 2 du projet de loi, qui crée un mécanisme d'indemnisation et de réparation simple et efficace, dont le montant est proportionnel à la durée passée dans les camps et les hameaux de forestage. Nombre de personnes que j'ai auditionnées ont cependant souligné l'existence d'une communauté de destins parmi les harkis. Elles estiment ainsi que l'ensemble des membres de cette communauté devraient être éligibles à ce mécanisme de réparation, qu'ils soient passés ou non par des camps de transit ou des hameaux de forestage. Il existe en effet des zones d'ombre, des lieux où la liberté allait de pair avec la misère, sans qu'ils soient pour autant inclus dans les mesures de réparation.

La liste des structures d'accueil, qui sera arrêtée par décret, est par conséquent susceptible d'évoluer, à l'image de celle des structures retenues au titre du fonds de solidarité qui a été actualisée en 2020. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé que la commission nationale de reconnaissance et de réparation créée à l'article 3 puisse, au vu de ses travaux, recommander toute évolution qu'elle jugerait souhaitable de la liste des structures ouvrant droit au mécanisme de réparation. J'ai ainsi tenu à ce que la mémoire des harkis ne se retrouve pas figée dans le marbre de l'histoire. J'ai tenu à ce que nous leur rendions enfin les clés de leur propre destin.

Par ailleurs, afin de redonner de la flexibilité à un mécanisme d'indemnisation forfaitaire qui peut apparaître comme en étant dépourvu, je vous proposerai, chers collègues, d'adopter un amendement permettant à la commission nationale de signaler aux services de l'ONACVG toute situation particulière nécessitant un accompagnement social ou financier spécifique. Ici encore, je tiens à ce qu'à la rigueur et à l'injustice de l'État envers les harkis, succèdent la souplesse et le pardon.

Enfin, rendre justice aux harkis, c'est contribuer à l'édification et à la transmission d'une mémoire. En conférant à la commission nationale de reconnaissance et de réparation une mission mémorielle, le texte répond à l'exigence d'un devoir de mémoire à l'égard des harkis et de leur histoire. Toutes les personnes auditionnées nous ont rappelé cette exigence, alors que les langues commencent à se délier. Car le temps de la reconnaissance est aussi le temps de l'écoute et du recueil de la parole des harkis, afin que ceux-ci puissent témoigner et transmettre l'histoire des drames qu'ils ont vécus. Un amendement a été adopté en commission de la défense, visant à renforcer encore cette mission mémorielle : il prévoit l'obligation, pour la commission nationale, de publier un rapport annuel qui devra rendre compte des témoignages qu'elle a recueillis. Cet ajout me paraissait essentiel pour valoriser les travaux de cette commission et rendre visible l'histoire des harkis, trop longtemps occultée. Le travail mémoriel doit cependant concerner l'ensemble des harkis rapatriés et leurs familles, et non pas seulement ceux qui sont passés par les camps et hameaux de forestage : je vous proposerai de voter un amendement en ce sens.

C'est aussi parce que la dimension symbolique en matière mémorielle est importante que je vous proposerai d'élever ensemble au niveau législatif la journée nationale d'hommage aux harkis du 25 septembre, qui est actuellement fixée par décret. Je vous proposerai aussi d'en élargir le champ afin qu'en cette journée il soit aussi rendu hommage à celles et ceux qui, tel le général Meyer, ont désobéi et ont ouvert les bras, portant secours et assistance aux harkis et à leurs familles à l'occasion de leur rapatriement et de leur arrivée sur le territoire national. Je suis en effet intimement convaincue, comme le Président de la République Emmanuel Macron, que la guerre d'Algérie est à la fois question de souffrances et de nuances.

Pour moi qui suis fille de rapatriés, le fait de pouvoir contribuer à réparer la mémoire des harkis est un immense motif de fierté. Je profite de cet instant pour adresser une pensée pleine de compassion et de reconnaissance à celles et ceux qui ont traversé cette tempête de notre histoire que fut la guerre d'Algérie. Qu'ils aient été civils, militaires de carrière, appelés, hommes ou femmes, enfants ou doyens, quel que soit le bord qui fut le leur, tous ont eu à vivre des souffrances que nous devons entendre et respecter.

Bien sûr, la loi ne peut pas tout : elle ne ramènera pas aux harkis et à leurs familles les parents, les frères, les sœurs et les enfants décédés ; elle n'effacera pas les blessures, les drames, les déchirures, les traumatismes vécus par les harkis et leurs familles ; elle ne pansera certainement pas les plaies encore ouvertes d'un passé marqué par les sacrifices pour un pays qui les a, un temps, abandonnés.

Je crois sincèrement, cependant, que ce projet de loi constitue une avancée décisive dans le processus de reconnaissance de la Nation et de réparation à l'égard des harkis. Montrons-nous aujourd'hui, chers collègues, à la hauteur de l'engagement des harkis auprès de la France, à la hauteur de leurs souffrances et de leur dignité, afin que la France cesse enfin d'être une histoire qui nous divise pour devenir une culture qui nous rassemble.

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