Intervention de François Ruffin

Séance en hémicycle du jeudi 25 novembre 2021 à 9h00
Évolution de la formation de sage-femme — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Ce mouvement, qui est un mouvement de conquête et de reconquête par les femmes et pour les femmes, je voudrais ici en montrer le sens profond, le replacer dans le temps long.

Durant des siècles, les sages-femmes ont procédé seules, sans homme, sans médecin, aux accouchements. Mais voilà que d'un coup, dans l'après-guerre, tout leur savoir millénaire fut rejeté au rang de préjugés de grand-mère. « Elles subissent les diktats des médecins » – c'est d'ailleurs un médecin qui me l'a raconté, un gynécologue, Paul Cesbron, co-auteur d'un ouvrage intitulé La Naissance en Occident. « Tout le pouvoir réside, désormais, entre les mains de la science, me-disait-il – et c'est nous, les blouses blanches, qui savons. »

La science impose alors la position des femmes : toutes seront allongées, les jambes en l'air. La science impose, après la naissance, la position du bébé : il sera sur le ventre, et plus sur le dos. La science impose qu'on donne le biberon, et plus le sein. La science impose même les horaires des biberons : huit heures, onze heures, seize heures. Et elle impose surtout d'avoir le sexe tranché : « Suit la manie des épisiotomies, se souvient Paul Cesbron. Je me vois, avec une paire de ciseaux, en train de couper […] leur périnée. C'est tout de même violent, comme pratique. » La science impose enfin la date de l'accouchement, en introduisant le déclenchement : « À J + 4, hop, on déclenche. C'est que ça correspond au fantasme de la toute-puissance du médecin », conclut Paul Cesbron : « le bébé ne naît plus, on le fait naître. » La naissance est médicalisée, monitorée, technicisée, déclenchée. La femme devient « patiente », presque passive, elle subit plus qu'elle ne choisit.

Alors, à quoi assiste-t-on maintenant, depuis dix ou vingt ans ? À un retour de balancier. Les femmes ne veulent plus subir, mais choisir : elles veulent choisir leur position – accroupie, à quatre pattes ou sur le côté ; choisir d'être déclenchées, ou non ; choisir la péridurale, ou non ; choisir, bien souvent, un accouchement plus naturel.

Elles veulent reprendre du pouvoir sur leur vie et sur ce premier acte de la vie. Et en même temps, les sages-femmes font de même : elles aussi reprennent du pouvoir sur ce premier acte de la vie. Elles retrouvent leur place au premier rang dans la salle d'accouchement, pour de mauvaises raisons – la France manque de gynécos et les sages-femmes coûtent moins cher – mais aussi pour de bonnes raisons : elles cessent désormais de se taire, elles ne se laissent plus reléguer à l'arrière. Elles revendiquent leur savoir, leur savoir-faire qui est celui de la maïeutique, l'art de l'accouchement. Elles participent à une renaissance de la naissance, à une réinvention de ce geste millénaire par les femmes et pour les femmes, pour leur bien-être, pour leur santé, pour leur sécurité. Et déjà, les fruits sont là : le taux d'épisiotomie a diminué, même s'il reste élevé. Voilà le mouvement d'émancipation et de libération, historique et selon moi formidable, auquel nous assistons.

Mais ce mouvement de progrès est aujourd'hui entravé. Il l'est par les budgets, par les grosses maternités, par les manques – manque d'humains, manque de mains. Que se passe-t-il ? Quelle est cette contradiction à laquelle nous faisons face ? Une naissance plus naturelle, moins médicalisée, ça prend plus de temps, ça réclame plus d'accompagnement. Or combien sont-elles en salles d'accouchement ? Elles sont bien souvent deux sages-femmes, deux à courir entre quatre, cinq, six voire dix patientes. Elles assistent parfois à des histoires atroces, franchement gores, que je vous épargne ici, mais qui leur font dire : « Le matin, on arrive avec l'angoisse – j'espère qu'il ne va pas y avoir de mort – ; et le soir, quand on se rassoit dans la voiture, on fait : "ouf". »

Elles éprouvent surtout au quotidien, plus ordinairement, le sentiment de mal faire leur travail, toujours un œil sur le chronomètre. Voici ce qu'elles disent : « Ce matin, j'étais en chambre, ça sonne, ça sonne, chez une patiente qui voulait la péridurale. Mais on arrive trop tard, l'accouchement était en cours, et donc dans la douleur ». « Une patiente, je lui ai menti : elle était à trois centimètres, mais je lui ai dit : ''marchez encore une heure, et après ce sera bon'', parce que j'avais quatre dossiers en retard. » « Des déclenchements, on en fait par facilité, ça permet de programmer. » « On nous oblige à accoucher à la chaîne, et en même temps, on nous dit qu'il faut ''ac-com-pa-gner", alors que nous n'avons pas cinq minutes pour discuter. »

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