Car, chers collègues, le terme de génocide est, dans le cas des Kurdes d'Irak, parfaitement approprié ; à l'inverse de ce que je peux entendre ou lire ici et là, ils n'ont pas seulement été victimes d'une politique contre-insurrectionnelle menée par le gouvernement irakien de Saddam Hussein. Oui, ce régime qu'une partie de l'Occident soutenait dans sa guerre contre l'Iran a détruit de manière parfaitement délibérée, par des massacres de masse, une partie de la minorité kurde d'Irak, non pas en raison de ce qu'elle avait fait, mais uniquement parce qu'elle avait commis le crime d'exister !
Et ce n'est pas le groupe UDI et indépendants qui réécrit ou qui interprète l'histoire, mais bien 14 tonnes de documents, soit 847 cartons et plus de 4 millions de pages émanant de la bureaucratie irakienne et tombés entre les mains des Kurdes après la chute de son régime qui le prouvent. Cette politique de destruction était parfaitement délibérée, préparée, organisée, exécutée, et elle fut même consignée dans les archives.
Ainsi, le cousin de Saddam Hussein, communément appelé « Ali le chimique » ou « le boucher du Kurdistan », était nommé en 1987 pour ramener la région kurde sous le contrôle du gouvernement central. Il devait régler le problème kurde une bonne fois pour toutes et, pour remplir cet objectif, l'ensemble des ressources de l'État irakien a été coordonné. C'est avec le plus grand zèle et la plus grande monstruosité qu'il s'est affairé à cette tâche, comme en témoignent ses enregistrements et ses directives ordonnant de tuer le plus grand nombre de personnes présentes dans les zones interdites, où tous les habitants étaient considérés comme des insurgés.
Peu de choix s'offraient alors aux Kurdes : rentrer dans le rang ou abandonner leur maison, leurs activités et accepter le déplacement forcé dans un camp placé sous surveillance, ou encore perdre leur citoyenneté, être considérés comme déserteurs et mourir… Et les huit opérations militaires, baptisées « Anfal », qui se sont déroulées du 23 février 1988 au 6 septembre de la même année ont constitué l'apogée de cette folie génocidaire : elles débuteront à Sergalou et à Bergalou, puis continueront à Qara Dagh, à Germian, dans la vallée du Zab puis dans celles de Shaqlawa et Rawanduz, et enfin à Badinan, et ce même après le cessez-le-feu avec l'Iran.
Dans ces régions, toutes les opérations militaires irakiennes se sont déroulées sur un mode similaire : utilisation massive d'armes chimiques, massacre de civils de tous les âges et de tous les sexes, disparition complète de plusieurs dizaines de milliers de non-combattants, établissement de camps de concentration, destruction quasi totale des biens et des infrastructures, pour finir par l'abandon total de milliers de personnes dans des conditions extrêmement dures.
Lors de son déplacement au Kurdistan irakien le 29 août dernier, Emmanuel Macron a annoncé la mise en place de projets de coopération, notamment avec l'hôpital de Halabja, lui aussi victime d'un terrible massacre. Si le nom de cette ville devait évoquer chez certains quelques souvenirs, je tiens, pour les autres, à rappeler qu'en mars 1988, près de 5 000 Kurdes y périrent en quelques heures au cours d'attaques chimiques perpétrées par l'armée irakienne. Sur ce point, les témoignages des rescapés recueillis dans le rapport de Human Rights Watch sont à la fois limpides et insoutenables ; tous font état des odeurs des gaz rappelant la pomme douce mélangée à l'ail, tous gardent en mémoire ces scènes cauchemardesques et abominables de femmes, d'enfants et de vieillards blottis inertes, de corps jonchés sur le sol, la bouche ouverte, ou de personnes mortes derrière le volant de leur voiture.
Si l'événement provoqua un court instant une forte indignation internationale, l'action de la France, pourtant dépositaire de la convention de Genève de 1925, se limita à un communiqué condamnant l'« usage d'armes chimiques où que ce soit ». Comme si on ne savait pas… Il faudra attendre septembre 1988 et l'afflux de réfugiés en Turquie, fuyant une nouvelle offensive à l'arme chimique, pour que François Mitterrand exprime son « inquiétude devant les informations concernant les moyens de répression employés à l'encontre des populations kurdes en Irak, notamment l'emploi de moyens chimiques ». On ne pouvait pas faire moins.
Loin de condamner et de tout faire pour que cesse cette politique, Washington refusera les sanctions et accordera même une nouvelle ligne de crédits à Bagdad, d'un montant de 1 milliard de dollars. Il faudra attendre août 1990 et l'occupation du Koweït pour que le président de l'Irak soit enfin qualifié par les Américains de « nouvel Hitler ». Pour autant, la communauté internationale et les États-Unis n'empêcheront pas au printemps 1991, alors même que l'Occident avait gagné la guerre, la garde présidentielle de Saddam Hussein d'écraser dans le sang la révolte des Kurdes que le président américain avait pourtant appelés à se soulever.
Ce n'est que le 5 avril 1991 que la communauté internationale se réveillera sous l'impulsion de la France, monsieur le secrétaire d'État, et que le Conseil de sécurité des Nations unies adoptera la résolution 688. Par la suite, l'opération Provide Comfort permettra d'apporter de l'aide d'urgence aux réfugiés kurdes tout en établissant des zones de sécurité.
Mais le bilan de cette folie génocidaire se révèle particulièrement lourd, comme le détaille Kendal Nezan, président de l'Institut kurde de Paris : 90 % des villages kurdes, et de nombreuses villes, ont été rayés de la carte ; 15 millions de mines ont été posées dans les campagnes afin de les rendre impropres à l'élevage et l'agriculture ; 1,5 million de paysans kurdes ont été internés dans des camps. Mais il y eut aussi des cécités, des fausses couches et des malformations congénitales pour les victimes des armes chimiques. Au final, cette guerre de l'État irakien contre les Kurdes se sera soldée depuis 1974 par plus de 400 000 morts ou disparus, soit environ 10 % de la population kurde de l'Irak.
Le groupe UDI et indépendants est convaincu que la France, qui sait mieux que d'autres pays du globe ce que veut dire le mot « génocide », devrait reconnaître que les Kurdes ont été victimes d'un génocide en Irak, sous le régime de Saddam Hussein. Je le répète : il ne s'agissait pas de dommages collatéraux ni d'actes d'égarement isolés d'officiers irakiens, c'est bien sur ordre du gouvernement de Saddam Hussein que les Kurdes ont été victimes d'une mise à mort à la fois programmée, systématique et massive. La grande majorité des morts n'étaient pas des combattants ou des forces de soutien, mais bel et bien des civils tués parce qu'ils habitaient ces territoires et qu'ils avaient le tort d'être kurdes. Comme le souligne le rapport de Human Rights Watch, les Kurdes ont été tués « des jours, voire des semaines, après avoir été rassemblés dans des villages destinés à être détruits, ou alors qu'ils fuyaient les assauts de l'armée contre les zones dites interdites ».
Si les Kurdes sont bien les grands oubliés de l'histoire, chers collègues, mettons cette soirée à profit pour inverser la tendance, exprimer la vérité telle qu'elle fut et reconnaître le génocide dont ils ont été victimes. Nous pensons que les Kurdes ont des droits sur nous, d'abord au nom de l'histoire, parce qu'il est sain de reconnaître un génocide quand il a été perpétré – c'est même la meilleure façon de prévenir sa répétition –, mais aussi parce que les Kurdes sont ceux qui, par le choix et par le sang, ont combattu nos ennemis de Daech, ceux qui nous ont attaqués sur notre territoire et dont le procès se déroule en ce moment.