J'ai indiqué que la France agissait avec constance et dans un esprit de continuité et de justesse historique. Trente ans avant ce soutien à l'hôpital de Halabja et cette lutte contre les causes durables des attaques chimiques, nous avions saisi les moyens à notre disposition sur la scène internationale. La France, fidèle à ses principes comme à ses responsabilités, en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, a relancé dès janvier 1989 la conférence sur le désarmement. Cette conférence internationale, qui s'est conclue à Paris, a vu 149 États, soit presque la totalité des États du monde alors, réaffirmer leur rejet de l'arme chimique. Grâce à cette initiative, la convention sur l'interdiction des armes chimiques a vu le jour en 1993. Aujourd'hui encore, la France demeure intransigeante sur l'application de ce traité multilatéral qui interdit la mise au point, la fabrication, le stockage et l'emploi des armes chimiques. L'actualité internationale nous rappelle malheureusement combien la question de l'emploi de ces armes reste prégnante. C'est avec la même intransigeance que nous avons répondu à l'emploi d'armes chimiques en Syrie, par des moyens diplomatiques à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques et dans le cadre de notre initiative nationale de lutte contre l'impunité, mais aussi par la force face à un régime syrien qui, comme celui de Saddam Hussein en son temps en Irak, avait choisi d'employer ces armes contre sa propre population.
Cette action déterminée et concrète et notre engagement constant auprès des Kurdes nourrissent l'amitié que se portent nos peuples – je crois que nous partageons tous cette volonté et cette fierté. Consciente de son statut, la France a su agir, parfois seule, avec efficacité et détermination sur la scène internationale pour protéger les Kurdes d'Irak lorsque les circonstances internationales l'exigeaient. En avril 1991, pendant la guerre du Golfe, durant laquelle l'Irak de Saddam Hussein réprimait de nouveau les populations civiles, particulièrement au Kurdistan, la France a saisi les Nations Unies d'un projet de résolution exigeant que l'Irak mette fin sans délai à la répression des populations civiles irakiennes, y compris dans les zones de peuplement kurde. Cette résolution n° 688, adoptée le 5 avril 1991 par le Conseil de sécurité, qui est mentionnée à juste titre dans l'exposé des motifs de la proposition de résolution, a permis de mettre fin à la progression de l'armée irakienne, aux bombardements et à la répression qui menaçaient de conduire à nouveau, notamment dans les zones kurdes, à des massacres de grande ampleur.
Enfin, c'est grâce à nos relations exceptionnelles avec les Kurdes d'Irak que la France, près de vingt ans plus tard, a pu vaincre l'État islamique en Irak, au sein de la coalition internationale contre Daech. La France n'oublie rien de ce qu'elle doit aux peshmergas, à ces combattants kurdes qui se sont montrés décisifs par leur courage pour libérer l'Irak de la menace territoriale de Daech. Aujourd'hui encore, la France poursuit la lutte contre le terrorisme dans la région et elle sait ce qu'elle doit aux autorités kurdes et à leur soutien : le Président de la République l'a affirmé avec force, encore récemment, lors de sa visite.
Mesdames et Messieurs les députés, les événements que vous avez relatés et sur lesquels je viens de revenir ont marqué durablement notre mémoire collective. Ils ont aussi marqué les consciences, en Irak et bien au-delà. Ainsi, les composantes de la société irakienne ont engagé une démarche, à la chute de Saddam Hussein, en revenant avec gravité sur ces événements. Le tribunal spécial irakien, comme c'est fort justement indiqué dans la proposition de résolution, a condamné en 2007 les responsables de ce massacre, dont Ali Hassan Al-Majid. En complément d'une démarche judiciaire, l'Irak, dans toutes les composantes de sa société, a également entamé une démarche mémorielle. L'Irak, enfin, s'est engagé dans une démarche visant à offrir une place à toutes les communautés qui composent sa société, qu'elles soient minoritaires ou majoritaires. Cette démarche demeure fragile, et les blessures restent vives. Halabja restera notre aiguillon, puisque nous continuons à lutter contre la prolifération et contre l'impunité et que nous apportons tout notre soutien à l'Irak et à sa gouvernance renouvelée et ouverte à ses différentes composantes. Le Président de la République l'a redit à Erbil, le 29 août 2021 : « la France est solidaire du peuple kurde face aux blessures de l'histoire ». L'amitié qui lie Français et Kurdes est profondément liée à ce rapport à l'histoire.
S'agissant de la position du Gouvernement à l'égard de la proposition de résolution que nous examinons, et en ayant à l'esprit les faits dramatiques que je viens de rappeler, il me semble essentiel d'appeler l'attention de l'Assemblée nationale sur les interrogations que soulève une telle résolution. Ce ne sont ni les faits, ni notre émotion partagée, ni notre engagement commun qui sont en cause. Néanmoins, la reconnaissance d'un génocide, à laquelle invite cette proposition de résolution, doit être préparée et accompagnée – MM. Wulfranc et Mbaye l'ont rappelé – par un long travail, celui des historiens, mais également celui des juristes. Cette tâche dépasse notre travail commun et le seul exécutif. À ce titre, je renvoie vers deux décisions du Conseil constitutionnel des 28 février 2012 et 26 janvier 2017, qui ont censuré des lois visant à réprimer la contestation de l'existence de génocides reconnus par le législateur.