Le Conseil constitutionnel a notamment considéré que l'un des préalables indispensables était, outre l'adoption de dispositions de portée normative, une reconnaissance des faits de génocide par des juridictions internes ou internationales. Il existe donc une procédure très exigeante. Une telle reconnaissance est indissociable d'un processus juridique et historique, qui ne peut être mené qu'au long cours. Cela n'enlève rien aux drames relatés et aux faits rappelés.
Je me dois également d'appeler l'attention de la représentation nationale sur l'enjeu de souveraineté que soulève la proposition qui est défendue. Non pas parce qu'il faudrait fermer les yeux, mais parce que dans l'Irak de 2021, qui n'a plus rien à voir avec l'Irak de Saddam Hussein, la souveraineté du pays est un enjeu essentiel. La France prend une part active aux efforts visant à conforter cette souveraineté. C'est tout l'enjeu de la conférence de Bagdad qui s'est tenue le 28 août 2021 avec notre soutien, et à laquelle le Président de la République était le seul participant occidental. Cette conférence visait à réaffirmer l'importance de la souveraineté du pays, au bénéfice de l'ensemble des Irakiens, qu'ils soient arabes, kurdes ou turkmènes, musulmans chiites comme sunnites, chrétiens ou yézidis. Il est essentiel qu'un sujet d'une telle importance dans la mémoire nationale irakienne soit traité d'abord par les Irakiens eux-mêmes. C'est donc d'abord au nouveau parlement irakien, élu il y a quelques semaines seulement, qui n'a pas encore eu le temps de siéger et qui est fortement renouvelé, qu'il revient de se prononcer sur cette question, comme sur celle d'éventuelles réparations, soulevée par la proposition de résolution.
Je veux plus particulièrement souligner l'actualité et la complexité de ce dernier aspect. Depuis plusieurs années, le gouvernement fédéral et le gouvernement régional du Kurdistan ont engagé des négociations sur un certain nombre de sujets, qui incluent notamment un volet financier. Ces questions sont éminemment politiques, alimentées par les fractures récentes et les blessures de l'histoire, et elles ont trait – j'insiste – à la souveraineté même de l'Irak, à sa propre mémoire et à son organisation institutionnelle.
Enfin, l'Irak est un pays complexe où hiérarchiser les mémoires, c'est prendre le risque, aujourd'hui encore, dans un contexte fragile, de les diviser, voire de les monter les unes contre les autres. Les chiites ont, eux aussi, subi la répression massive et extrêmement violente du régime de Saddam Hussein : nous avons toujours pris cela en compte. Je souhaite mentionner également les Yézidis, qui ont terriblement souffert des actions de Daech, ainsi que les chrétiens, qui n'ont pas été épargnés par ces décennies de sang.
Il revient aux Irakiens eux-mêmes, avant tout, de faire le travail de mémoire, de vérité, de justice et de réparation sur leur passé. Nous devons les accompagner et les soutenir. Notre débat ce soir y aide sans doute, mais c'est une responsabilité préalable qui, je crois, leur appartient.
Pour l'ensemble de ces raisons, je suis convaincu qu'à ce stade, l'adoption par un pays tiers d'une telle déclaration ou résolution pourrait nuire aux objectifs qu'elle veut servir. Aussi, vous comprendrez que si nous condamnons sans aucune hésitation, et de longue date, les actions menées par le régime de Saddam Hussein contre les Kurdes, notamment les massacres chimiques que vous avez relatés, d'une gravité indicible, celui de Halabja en particulier, dont nous n'avons cessé de tirer les conséquences dans notre action internationale, nous ne pouvons soutenir votre proposition de résolution.