Le quinquennat qui s'achève aura vu se produire des bouleversements intenses et durables pour notre pays. Ces cinq années, faites de crises et de réformes – achevées ou abandonnées –, auront-elles été l'occasion d'un renforcement ou d'un affaiblissement de notre modèle social ?
Le mouvement des gilets jaunes nous a brutalement rappelé l'ampleur des fractures sociales et territoriales qui traversent la France et qui sont à l'origine d'un sentiment de défiance envers ses institutions et ses dirigeants. De la même manière, en abandonnant la réforme des retraites, vous avez renoncé à rompre avec un système opaque et injuste – puisque c'était là l'objectif affiché de cette réforme.
Plus largement, les questions posées en matière de solidarité intergénérationnelle n'ont pas trouvé de réponse. Dans notre société vieillissante, une préoccupation majeure demeure : celle de la prise en charge de la dépendance. Notre groupe n'a eu de cesse de placer le soutien à l'autonomie en tête de ses priorités, en plaidant pour que celle-ci soit assurée en premier lieu par la solidarité nationale. Enfin, les grèves dans les hôpitaux et dans les services d'urgence, qui ont mobilisé tous les professionnels de santé, ont rythmé le quinquennat.
Le thème de la santé s'est d'ailleurs imposé dans le cadre du grand débat national, preuve que ce sujet est central pour nos concitoyens. Pourtant, les réponses apportées jusqu'ici ne suffisent pas. En effet, en dépit des mesures adoptées pendant ce quinquennat et sous les précédentes majorités, la désertification médicale s'aggrave. Elle s'étend à tous les territoires, remettant quotidiennement en question le principe pourtant constitutionnel d'égal accès aux soins. Alors que l'hôpital public traversait une crise sans précédent, l'épidémie de covid-19 a porté à son paroxysme le constat que nous dressions tous : celui d'un système de santé à bout de souffle. Depuis bientôt deux ans, c'est bien grâce aux personnels soignants que le système tient, mais pour combien de temps ?
Plus largement, l'examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale du quinquennat est l'occasion de nous interroger sur notre capacité à faire face aux défis à venir.
Le premier, nous l'avons dit, concerne l'épidémie de covid-19. Dès le début de l'examen du texte, notre groupe a émis de vives inquiétudes quant aux capacités des établissements de santé à faire face à la reprise épidémique qui s'annonçait, d'autant qu'elle s'ajoute aux épidémies de grippe ou de bronchiolite qui saturent nos services d'urgence. À tout le moins, félicitons-nous, comme nous y invite le ministre des solidarités et de la santé, d'examiner le « premier PLFSS depuis 2007 sans économies, mêmes cachées, pour l'hôpital ». Ce constat en dit long, toutefois, sur les longues années de restrictions budgétaires que nous avons connues. Cette majorité y a contribué : souvenons-nous qu'elle a voté 4 milliards d'euros d'économies l'année dernière, en pleine crise sanitaire. Il était plus que temps de rompre avec cette logique.
Aussi l'augmentation de l'ONDAM en 2021 puis en 2022 était-elle nécessaire pour tenir compte des prévisions de dépenses liées à l'épidémie de covid-19. Elle était aussi indispensable pour étendre les revalorisations des personnels des établissements médico-sociaux, qu'ils soient rémunérés par l'assurance maladie ou par les départements. Il fallait mettre fin à cette iniquité. Le travail doit impérativement se poursuivre pour étendre ces avancées à tous ceux qui en sont encore écartés.
Mais nous le répétons : les revalorisations ne suffiront pas à répondre à la crise des vocations. Si les annonces du Ségur de la santé ont suscité beaucoup d'espoir, le quotidien des personnels sur le terrain n'a hélas pas changé : les praticiens et infirmières continuent de manquer, tandis que les lits et les services continuent de fermer.
Un autre défi a été en grande partie ignoré : celui de l'autonomie. La cinquième branche, récemment créée, demeure insuffisante, alors que la population vieillit et que les métiers du lien souffrent d'une crise d'attractivité.
Des efforts ont été consentis dans ce texte, mais nous continuons de penser qu'en l'absence d'un projet de loi dédié, pourtant promis, nous ratons une occasion décisive de réformer notre politique en faveur de l'autonomie et de la dépendance.
Je le demandais en introduction : quel est l'avenir de notre modèle social ? Aujourd'hui, l'incertitude règne. Nos comptes sociaux sont durablement fragilisés, avec un déficit stagnant autour de 15 milliards d'euros jusqu'en 2025. Quelles marges de manœuvre aurons-nous dans les mois et années qui viennent pour pérenniser nos outils de protection sociale ? Comment financer notre assurance maladie, nos dépenses de santé en augmentation ou encore notre politique de soutien à l'autonomie ?
Toutes ces questions restent malheureusement en suspens, à un moment décisif qui exige de renforcer notre cohésion sociale et de garantir les principes de solidarité nationale, de justice sociale et de redistribution. Le dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale ne permettant pas d'entrevoir de réponse précise, le groupe Libertés et territoires maintiendra, dans sa majorité, son vote contre.