Intervention de Elsa Faucillon

Séance en hémicycle du lundi 29 novembre 2021 à 21h30
Renforcement du droit à l'avortement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaElsa Faucillon :

Le magazine Causette de ce mois a donné, en lien avec le planning familial, la parole à treize personnalités pour briser le tabou qui continue d'entourer l'avortement. Il y a quelque chose de fou à l'idée que ces prises de parole soient encore et autant nécessaires aujourd'hui. Ce tabou doit cesser, il faut le combattre.

La rédactrice en chef du magazine nous interpelle en ces termes : « Vous qui avez pratiqué une IVG, en avez-vous déjà parlé librement avec vos amis ? Avec votre partenaire ? Votre famille ? Probablement pas. » Elle poursuit : « C'est un tort de notre part. Car il n'y a pas de honte à avorter. Pas de raison de garder cette information secrète. Nous ne sommes pas fautives quand nous devons y avoir recours. »

Si ces femmes s'expriment d'abord en soutien à d'autres femmes, ces quelques mots s'adressent aussi, évidemment, aux censeurs en tout genre, aux tartuffes, aux ultraconservateurs, mais également à toutes celles et ceux qui oublient combien les temps de crise sont propices aux régressions pour les droits des femmes. C'est donc une alerte nécessaire.

La situation sanitaire a lourdement affecté l'accès à l'IVG pour toutes les femmes. Mais le covid a déjà le dos bien large : regardons aussi l'œuvre de démantèlement des services publics de soin et de prévention partout sur notre territoire, comme celui des structures issues des mouvements militants féministes. Cela participe à restreindre l'égalité d'accès à l'IVG.

Nous le rappelions, chaque année en France, environ 220 000 IVG sont réalisées. Près des trois quarts concernent des femmes sous contraception. Une femme sur trois y aura recours dans sa vie.

Pour reprendre les mots de la tribune des 160 : « L'avortement n'est pas une exception, une erreur de parcours ou un échec. Il fait partie de la vie des femmes. »

Nous examinons une proposition de loi transpartisane qui vise justement à garantir aux femmes le droit fondamental de disposer de leur corps en allongeant le délai légal d'accès à l'IVG de douze à quatorze semaines de grossesse. Je veux ici remercier notre collègue Albane Gaillot pour son initiative et sa pugnacité à voir cette mesure aboutir, ainsi que Marie-Noëlle Battistel.

Cette mesure contribue à diminuer le risque d'avortement non sécurisé en permettant à toutes les femmes d'accéder à l'IVG dans des conditions sûres en France. Les femmes qui veulent avorter trouvent toujours des solutions, parfois au prix de leur santé et de leur vie : achat de pilules abortives sur internet, pratique de gestes désespérés. Rappelons-le, puisque cela semble nécessaire : absolument personne ne peut contraindre une femme qui refuse de donner la vie.

Beaucoup de demandes d'IVG après le délai légal de douze semaines de grossesse concernent les femmes victimes de violences. Elles sont souvent dans des situations conjugales ou administratives complexes. Quand on prétend lutter contre les violences conjugales, il faut entendre cette raison.

L'allongement des délais d'IVG permet aussi d'éviter de creuser les inégalités sociales entre les femmes : aller faire une IVG à l'étranger coûte trois à cinq fois plus cher pour les femmes qui ne peuvent la faire en France. Elles sont encore très nombreuses à partir à l'étranger en raison du dépassement du délai.

Cette proposition de loi est sérieuse. Elle est soutenue par bon nombre de médecins, non pour des raisons politiques, mais pour des raisons médicales, en relation directe avec le public concerné. Le Comité consultatif national d'éthique a donné son feu vert. L'allongement de ce délai se calque sur la technique d'avortement utilisée. À douze ou quatorze semaines de grossesse, il est encore possible de procéder à un avortement par aspiration. Cette pratique est d'ailleurs autorisée dans de nombreux pays européens.

Ce droit que les femmes ont arraché, parfois au péril de leur vie, est fortement mis en danger par la fragilisation des services publics avec la fermeture des centres d'orthogénie. Mais c'est également le fait d'un climat propice à la régression du droit des femmes. Nous entendons chaque jour des hommes politiques, des polémistes, alimenter un climat sexiste et misogyne, souvent doublé d'un climat raciste. Cela a un impact réel sur les droits des femmes. Encore une fois, les femmes, les plus précaires en particulier, en paient le plus lourd tribut.

Pour conclure, je citerai quelques mots d'Annie Ernaux issus de l'ouvrage qu'elle a consacré à son avortement : « Il était impossible de déterminer si l'avortement était interdit parce que c'était mal, ou si c'était mal parce que c'était interdit. On jugeait par rapport à la loi, on ne jugeait pas la loi. Pouvons-nous ici, ce soir, chers collègues, juger la loi qui fixe un délai d'avortement qui n'est plus approprié ? Votons cette proposition de loi !

À vous, monsieur le ministre, je pose une question décisive où il est aussi affaire de délai : pouvez-vous engager le Gouvernement à inscrire ce texte à l'ordre du jour du Sénat et à faire en sorte qu'il soit promulgué en 2022, avant l'élection présidentielle ? Il est des questions qui ne supportent pas les effets d'annonce.

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