Intervention de Agnès Firmin Le Bodo

Séance en hémicycle du lundi 29 novembre 2021 à 21h30
Renforcement du droit à l'avortement — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAgnès Firmin Le Bodo :

Depuis la Grèce antique ou les cités romaines jusqu'au XXe siècle en passant par le Moyen Âge, les historiens trouvent des traces de pratiques abortives. Chaque fois elles sont décrites comme des histoires de femmes : femmes qui subissent, femmes qui souffrent, femmes qui pratiquent, femmes qui meurent.

Au-delà de la physiologie, l'avortement est donc bien une histoire de femmes, comme si le rapport sexuel qui avait entraîné cette grossesse était ignoré et comme si les hommes ne voulaient pas voir. Ce sont bien les femmes qui, de tout temps, ont subi la pression induite par la maîtrise de la fécondité et font face aux conséquences de grossesses non désirées.

L'histoire de l'interruption volontaire de grossesse est donc indissociable de celle des droits de la femme et du rôle que la société lui donne par rapport à l'homme. « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question », écrivait Simone de Beauvoir. Il nous faut donc être vigilants, hommes et femmes, pour que ce droit conquis de haute lutte soit préservé et trouve en France les conditions de son exercice, y compris dans un contexte de crise comme celui que nous connaissons actuellement.

Or, en France, l'IVG est davantage une « concession » faite aux femmes qu'un droit à part entière, comme l'écrivait le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes en 2013. Pour être pleinement un droit, les conditions de son exercice doivent être claires et accessibles.

Le nombre d'IVG en France demeure relativement stable : environ 210 000 chaque année. On estime ainsi que près de 40 % des femmes y auront recours au moins une fois dans leur vie. Le nombre des IVG, y compris chez les plus jeunes, ne s'explique pas forcément par un défaut de couverture contraceptive. D'après une enquête de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), deux femmes sur trois ayant eu recours à une IVG utilisaient une méthode contraceptive qui n'avait pas fonctionné.

Dès lors, on voit bien que les politiques publiques dans ce domaine doivent comporter deux pans complémentaires : une politique de prévention des grossesses non désirées et une politique d'information sur l'accès à l'IVG. Or l'État évalue peu ces politiques. Le dernier rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui date de février 2010, indiquait que des progrès pouvaient encore être accomplis en matière de prévention.

Toutefois, au-delà des statistiques, il s'agit d'histoires humaines jamais anodines. « Aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement, il suffit d'écouter les femmes. C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame », disait Simone Veil à cette tribune. Derrière ces drames, il y a des femmes, des travailleurs sociaux qui les accompagnent, des familles qui parfois les soutiennent, parfois les ignorent, parfois les rejettent ; il y a aussi des médecins, des sages-femmes et des personnels soignants.

Chaque fois, c'est une histoire personnelle et unique. Cependant, les politiques publiques ne doivent pas laisser les femmes seules. Nous leur devons d'abord une information juste, rigoureuse, dénuée de passion et objective. Cela peut paraître simple à l'heure des moteurs de recherche ; pourtant, l'accès à l'information peut parfois s'avérer difficile quand des lobbys ou des associations, sous couvert d'aider les femmes, les incitent à ne pas recourir à l'IVG. Il en va de même pour les forums dits de soutien sur lesquels on peut lire certains témoignages montés de toutes pièces par des opposants au droit à l'avortement.

C'est difficile également quand on réside loin de structures médicales et que l'on ne dispose pas de moyens de transport. C'est difficile encore quand l'infirmière scolaire n'a pas le temps de recevoir car elle est seule pour de trop nombreux élèves. C'est difficile quand la pression familiale et la promiscuité rendent compliquées des recherches. C'est difficile quand la précarité ajoute des difficultés à l'angoisse d'une grossesse non désirée. C'est difficile quand on vous propose à l'hôpital un rendez-vous trop tardif faute de moyens, alors que la Haute Autorité de santé préconise que toute patiente obtienne une consultation dans les cinq jours. C'est difficile.

C'est difficile de subir un avortement.

Il nous faut donc mieux accompagner les femmes pour garantir l'effectivité de ce droit conquis il y a plus de quarante ans mais toujours menacé par des entrepreneurs de morale qui voudraient le faire reculer.

Parce que ce texte touche à l'intime, dans le respect des convictions et des croyances personnelles de chacun de ses membres, le groupe Agir ensemble ne donnera aucune consigne de vote.

Reste que nous partageons tous la même conviction : il est nécessaire de mettre plus de moyens pour accompagner ces femmes. La première des réponses à cet enjeu si fondamental est de permettre aux femmes d'avoir accès à ce droit qui doit être réel et plus seulement informel.

Ce soir, au moment où nous discutons de cette proposition de loi, nous devons aussi avoir une pensée pour toutes les femmes qui vivent dans des pays où ce droit recule.

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