Il avait 16 ans. Cela a commencé par des insultes et des brimades, puis des élèves de sa classe lui ont fait ingurgiter de force des médicaments avant de le tondre. Quelques semaines plus tard, le 30 mars 2017, Clément Brisse a été retrouvé mort dans une mare du parc Délicourt, à Ham dans la Somme, à quelques centaines de mètres du lycée où il était interne en seconde. Son assassin était un élève du même établissement, un harceleur. Les parents de Clément, que j'ai rencontrés, avaient alerté les professeurs et la direction mais malgré la vigilance de certains membres du lycée, rien de concret n'a permis d'enrayer la mécanique de la violence qui a arraché Clément à la vie.
Près de 800 000 enfants sont victimes de harcèlement scolaire en France. Certains faits sont trop graves pour que la justice n'intervienne pas. J'ai été moi-même professeur pendant trente ans : je sais comme il est difficile d'identifier les cas de harcèlement et de lutter contre ce phénomène. S'il se manifeste sous des formes très diverses, il a toujours des conséquences si lourdes pour les enfants qui le subissent que cela justifie qu'un article spécifique lui soit consacré dans le code pénal.
Malgré vos explications en commission, monsieur le rapporteur, deux de mes interrogations persistent.
Premièrement, la définition donnée dans ce nouvel article ne concernera que les faits commis par des personnes ou des élèves appartenant au même établissement que la victime alors que le harcèlement scolaire, souvent collectif, rassemble parfois des élèves issus de plusieurs établissements. Des agissements similaires au sein d'un groupe pourraient-ils constituer des infractions différentes selon l'établissement d'origine de ceux qui en sont les auteurs ? Je crois qu'il importe d'élargir cette définition pour laisser au juge le soin de bien caractériser les faits relevant du harcèlement scolaire afin de n'exclure aucun cas, aucune victime.
Cette question de la juste définition à retenir me conduit à m'interroger sur la nature des peines prévues à l'article que vous voulez créer par rapport à celles qui existent déjà. Nous partageons votre objectif : il faut faire preuve de fermeté à l'encontre des auteurs de harcèlement et leur appliquer une juste punition. Toutefois, nous ne voudrions pas que ce message soit affaibli par des considérations liées à la proportionnalité ou à la cohérence des peines. Là encore, une question se pose au sujet de votre choix : l'écart des peines pourra aller jusqu'à sept ans pour des élèves issus d'établissements différents mais ayant commis les mêmes infractions. J'y reviendrai lorsque je défendrai mes amendements.
Nous ne voulons pas non plus que la réponse pénale soit au centre du combat contre le harcèlement scolaire car si les faits qui en relèvent sont voués à être traités par le juge, cela signifie qu'il est déjà trop tard. Nous pensons que c'est au sein même de l'école qu'il nous faut intervenir, notamment par une meilleure prévention.
Il me paraît ainsi nécessaire d'agir pour changer les mentalités. Si l'éveil des enfants au risque que représente le harcèlement scolaire est une nécessité, c'est aussi les professeurs et le personnel encadrant qu'il importe de sensibiliser. De nombreux enseignants veillent à alerter lorsqu'ils sont témoins de situations de harcèlement, mais certains pensent encore que ce phénomène n'existe pas dans leur établissement et que certains mots ne sont que de saines moqueries qui forgent le caractère.
L'article 3 parle fort justement de formation, aspect très important, mais il faut surtout casser un tabou dans l'éducation nationale : il y a du harcèlement dans les établissements et même dans une très grande majorité des classes. Il importe donc d'inciter les établissements à plus de vigilance et demander aux directeurs de relever chaque fait qu'on leur aura rapporté afin qu'ils sachent comment adapter leur stratégie de lutte.
Je crois aussi qu'il faut rester à l'écoute de l'enfant et des parents. Une déscolarisation, un changement d'établissement n'est évidemment pas toujours souhaitable mais si l'élève le demande, s'il ne se sent plus en sécurité dans son environnement scolaire, il faut agir. Vous le savez d'autant mieux, monsieur le rapporteur, que c'est votre groupe qui a introduit la possibilité d'instruire un enfant à domicile sans délai lorsque celui-ci est victime de harcèlement scolaire.
Enfin, comment ne pas dire un mot du manque de psychologues scolaires, une situation dont les conséquences sont désastreuses. Il faut y remédier en gardant une idée simple en tête : chaque élève harcelé doit savoir qu'il existe une porte à laquelle il peut frapper pour trouver de l'aide.
Le sujet du harcèlement scolaire est vaste. Les députés UDI et indépendants soutiendront évidemment toutes les mesures allant dans le bon sens en espérant que nos débats permettront d'enrichir utilement le texte.
S'il est trop tard pour Clément, faisons-le pour Salvador, 17 ans, Camille, 6 ans, Fabien, 13 ans, et tous les autres : il faut que la peur et la honte changent de camp.