Il est des drames individuels qui sont aussi collectifs : le suicide de la jeune Dinah, qui a mis fin à ses jours le 5 octobre à l'âge de 14 ans, en est un. Agressions physiques, insultes racistes, homophobes et sexistes : la violence qui cessait autrefois à seize heures trente franchit désormais la grille de l'école et se poursuit de plus belle dans le confort de l'anonymat des réseaux sociaux.
Dinah n'est malheureusement pas un cas isolé. Ils s'appelaient Thybault, Chanel, Marjorie ou encore Alisha ; en tout, 18 élèves ont mis fin à leur jour depuis le début de l'année, sous la pression de leurs condisciples harceleurs. Ils sont le visage d'un fléau qui toucherait entre 6 % et 10 % des élèves, soit 700 000 à 1 million d'enfants ! Aucune région, aucune ville, aucun établissement, aucune classe sociale n'est épargné. Pourtant, la souffrance des victimes est trop souvent rendue invisible, passée sous silence. L'isolement, la honte et la peur d'en parler à ses parents ou à ses professeurs sont autant de verrous qu'il faut briser pour que cesse enfin la loi du silence. Car c'est bien là le véritable enjeu : libérer et mieux recueillir la parole des victimes. Pour le harcèlement scolaire comme pour toutes les autres formes de violence qui gangrènent notre société, la logique est la même : la peur et la honte doivent changer de camp.
Or, il faut bien reconnaître que notre pays a tardé à prendre conscience du phénomène et à bâtir une réelle politique publique de lutte contre les violences scolaires. Il a fallu attendre 2010 pour que le gouvernement de l'époque s'empare du sujet, sous l'impulsion de Luc Chatel. Depuis, tous les gouvernements et toutes les majorités qui se sont succédé ont œuvré pour combattre ce fléau. Notre majorité y a pris part, d'abord en inscrivant le droit à une scolarité sans harcèlement dans la loi pour une école de la confiance, adoptée en 2019, puis l'année dernière, en adoptant la loi contre la haine en ligne, à l'initiative de notre collègue Laetitia Avia.
Mais en matière de harcèlement scolaire comme dans beaucoup d'autres domaines, la loi ne fait pas tout ; la loi ne peut pas tout. De nombreux leviers d'action relèvent en effet du domaine réglementaire. Je pense notamment à la nécessité d'ouvrir les lignes téléphoniques d'écoute et de signalement vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept, pour encourager la libération de la parole.
Je salue l'action menée depuis 2017 par le Gouvernement, sous l'égide de Jean-Michel Blanquer, pour faire évoluer, dans la pratique quotidienne de la vie scolaire, la prévention des faits de harcèlement et la prise en charge des victimes. Je pense bien sûr à la généralisation du programme PHARE à partir de la rentrée 2021, qui se traduit concrètement, dans tous les établissements, par la présence d'élèves ambassadeurs vers lesquels les victimes et les témoins peuvent se tourner, mais aussi par la formation de plusieurs membres du personnel au repérage et au traitement des situations de harcèlement.
Le groupe Agir ensemble se réjouit par ailleurs des récentes annonces du Président de la République, parmi lesquelles figure la création d'une nouvelle application destinée à signaler les faits de harcèlement. Cette plateforme est l'une des mesures préconisées par Timothé Nadim, ancien élève harcelé qui a su relever la tête et qui milite aujourd'hui pour que les choses changent. Je veux ici saluer son engagement.
La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui permettra d'aller encore plus loin. Elle repose sur le triptyque suivant : prévention, accompagnement, protection.
Elle vise d'abord à prévenir les situations de harcèlement en consacrant un droit à une scolarité sans violence dans tous les établissements, publics comme privés. Notre groupe partage pleinement cet objectif. En commission, nous avons d'ailleurs précisé le contenu des mesures que devront prendre les établissements pour insister sur la prévention.
Elle cible ensuite l'accompagnement des victimes et des adultes qui les prennent en charge, dont elle renforce la formation. Le groupe Agir ensemble s'en réjouit et défendra un amendement visant à faciliter le recours des victimes, mais également des auteurs de faits de harcèlement scolaire, à des soins psychologiques.
La proposition de loi a enfin pour objectif de protéger. L'article 4 crée à cette fin un délit spécifique de harcèlement scolaire. Mais parce qu'au-delà des sanctions pénales, la première réponse doit d'abord être éducative, nous accueillons très favorablement l'article 6 qui instaure un stage visant à responsabiliser les élèves harceleurs.
Mes chers collègues, la mort de Dinah nous rappelle l'importance d'agir pour que l'école reste un lieu d'émancipation par le savoir, bien sûr, mais aussi par l'apprentissage du civisme et de la citoyenneté. Ce texte contribue à cette démarche et je veux remercier chaleureusement son rapporteur, Erwan Balanant, pour son engagement constant en faveur de la lutte contre les violences scolaires. J'espère que sa proposition de loi trouvera rapidement une place dans l'ordre du jour du Sénat, où je sais pouvoir compter sur la détermination de parlementaires engagés comme Colette Mélot.
Les membres du groupe Agir ensemble voteront donc avec conviction en faveur de cette proposition de loi qu'ils ont cosignée. Au mois de septembre, plusieurs membres de notre groupe avaient d'ailleurs demandé au Président de la République de décréter que la lutte contre le harcèlement scolaire serait la grande cause nationale pour 2022, afin de soutenir les efforts des acteurs de terrain, de sensibiliser toute la société et d'agir tous ensemble contre ce fléau. Il est peut-être encore temps.