Intervention de Sébastien Jumel

Séance en hémicycle du jeudi 2 décembre 2021 à 9h00
Pour une santé accessible à tous et contre la désertification médicale — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Jumel, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Nous parlons ce matin d'au moins 11 millions de Françaises et de Français. Ils vivent dans tous nos territoires : en Seine-Maritime, dans toute la Normandie, en Auvergne, en Seine-Saint-Denis, dans les outre-mer, en ville ou à la campagne. Partout, le constat est le même, documenté, chiffré, analysé depuis des années : chez eux, l'offre de soins est déficiente ; ils vivent dans ce qu'on appelle des déserts médicaux.

Cette expression est malheureusement entrée dans le langage courant. Nous avons tous entendu, dans nos circonscriptions, les mêmes récits et les mêmes questions. Comment faire renouveler son ordonnance quand il n'y a plus de généraliste ? Comment accéder à un spécialiste quand ce dernier n'a pas de remplaçant ? Comment se faire soigner s'il n'y a pas de médecin près de chez nous ? C'est à ces drames du quotidien que le groupe de la Gauche démocrate et républicaine veut répondre aujourd'hui.

Cette proposition de loi n'a pas vocation à susciter la polémique, mais plutôt à nous rassembler. Le mouvement des gilets jaunes et le grand débat national ont fait émerger cette question comme l'une des principales sources d'inquiétude des Français. La résolution du problème central des déserts médicaux n'est ni de gauche, ni de droite, comme dirait l'autre. Elle est d'intérêt national.

Quelques chiffres pour nous rendre compte du problème et partager ensemble un diagnostic : la densité médicale n'a cessé de baisser ces dernières années, passant entre 2012 et aujourd'hui de 325 à 318 médecins pour 100 000 habitants ; les inégalités sur notre territoire sont criantes et s'aggravent, les régions du sud de la France bénéficiant d'une densité médicale globalement plus favorable que celles situées au Nord. Les anciennes régions Picardie, Centre et Pays de la Loire ont des densités particulièrement faibles, entre 127 et 130 médecins généralistes pour 100 000 habitants.

De nombreux indicateurs ont été créés pour mesurer ce phénomène complexe. Tous font apparaître une situation très inquiétante. Ainsi, l'indicateur « accessibilité potentielle localisée », créé par le ministère de la santé en 2012, montre que le taux de personnes habitant dans un désert médical est passé de 8,6 % en 2015 à 11,6 % aujourd'hui.

Même les zones dites surdenses sont concernées, puisqu'elles connaissent une désertification médicale par la carte bancaire. Le constat est frappant ! On observe une corrélation claire, déjà dénoncée par la Cour des comptes : là où il y a davantage de médecins, il y a beaucoup de dépassements d'honoraires. À Paris, qui en compte 765 pour 100 000 habitants, 62 % de médecins sont en dépassement d'honoraires ; dans les Alpes-Maritimes, ce sont 42 % des médecins qui sont en dépassement d'honoraires. Nos concitoyens les plus modestes vivant en zone surdense n'ont donc pas toujours les moyens de payer une consultation chez un spécialiste. Certains territoires pourtant bien dotés doivent donc être considérés comme des déserts médicaux financiers.

Le manque structurel de médecins a des répercussions en cascade, en particulier sur l'hôpital. Presque tous les départements ont connu, au cours des dernières années, une hausse des passages aux urgences. Il existe ainsi un risque plus important de saturation des services d'urgences dans les zones sous-denses.

En outre, nous devons tous être frappés par le taux de vacance des postes de praticiens hospitaliers : il est supérieur à 30 % ! Cela dit quelque chose de la situation très difficile dans laquelle nos hôpitaux se trouvent aujourd'hui après les ravages du covid, le risque de black-out de la loi Rist, et les milliers de lits supprimés.

Le travail que j'ai conduit porte plus particulièrement le regard sur certains territoires encore plus frappés. Dans les outre-mer, la situation est encore plus préoccupante. Dans les zones rurales aussi fortement concernées, les habitants vivent en moyenne deux ans de moins que les urbains.

J'insiste aussi sur le fait que ces difficultés d'accès aux soins touchent en priorité les Français économiquement les plus fragiles : les personnes pauvres ont trois fois plus de risques de renoncer à des soins que les autres. Si elles se situent en zones sous-dotées, ce risque est plus de huit fois supérieur à celui encouru par le reste de la population !

Enfin, je voudrais rappeler que 11 % de nos concitoyens n'ont pas de médecin traitant : cela représente 6 millions de personnes. L'UFC-Que choisir a interrogé des médecins : dans ces zones, 44 % d'entre eux refusaient les nouveaux patients, et on peut les comprendre ! C'est là une véritable bombe sanitaire à retardement.

La situation est donc très grave. Bien sûr, des actions ont été entreprises depuis plusieurs années pour tenter d'endiguer ce phénomène, je ne le nie pas ! La loi de 2019 a notamment transformé le numerus clausus. Ce dispositif malthusien en vigueur depuis 1971 a contribué, au fil des ans, à tarir l'offre de soins : sa réforme est une bonne nouvelle.

Mais je voudrais vous alerter ici sur le fait qu'elle mettra au moins dix ans pour produire ses premiers effets.

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